Consacrée capitale française de la couleur il y a une quinzaine d'années pour ses tons chauds, Lyon se pastellise. La tendance générale à l'éclaircissement des teintes n'explique pas tout. Les architectes des Bâtiments de France ont leur propre sensibilité.
Alors que la Ville de Lyon s'apprête à présenter officiellement sa nouvelle charte lyonnaise du ravalement de façade en y intégrant "l’adaptation des immeubles face au dérèglement climatique", Lyon Capitale republie une enquête parue dans le magazine Lyon Capitale de juin 2017.
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C'est une jolie vue sur le quai Fulchiron, l'église Saint-Georges et ses toits bleus, ses immeubles hétéroclites, oscillant entre les ocres et les jaunes, la verte colline de Fourvière, le beige-rosé de la basilique et le gomme-gutte du ciel. Pour accentuer cette atmosphère florentine, un Riva (bateau de plaisance italien des grandes fortunes et des stars de cinéma des années 60), qu'on imagine en acajou vernis, chromes et sellerie de cuir, remonte le bleu-vert de la Saône. Le poster est déjà collector. Il est signé Alex Asfour, un illustrateur américain mondialement connu pour ses affiches vintage de grandes capitales. L'office de tourisme se l'est "payé" après avoir décroché, en fin d'année dernière, le "Graal", à savoir le titre de "Meilleur destination week-end en Europe" aux World Travel Awards. Les couleurs italiennes de Lyon sont désormais connues aux quatre coins de la planète. Sauf qu'à y regarder de plus près, le visage chromatique de la ville s'est affadi, les teintes se sont émoussées. Rien à voir avec les tonalités sursaturées de l'affiche lyonnaise. "Les couleurs d'origine peuvent-elles revenir ?" chante Souchon.
Le "Plan couleur" de la Ville de Lyon précise "la philosophie d'ensemble". "Il vous donne l'esprit, vous parle de couleurs, d'ombres et de lumières, de teintes et de pigments. Le reste vous appartient." peut-on lire dans le document de vingt-trois pages. Autrement dit, les Lyonnais sont invités à choisir leur ton dans le nuancier proposé. Quarante-huit "couleurs de fonds", allant des beiges aux ocres en passant par les gris colorés, et douze "ponctuelles", orientées sur les bleus.
Années 90, Lyon reprend des couleurs
Avec l'émergence de la notion d'espace public au tournant des années 1990, la ville de Lyon s'est dotée d'une politique d'aménagement urbain qui, en quelques années, est devenue une référence nationale, voire européenne, par la qualité de ses nombreuses réalisations (rue de la République, place des Terreaux, place des Célestins...). Sous l'impulsion de Michel Noir et d'Henry Chabert, un "Plan lumière" a transformé le paysage nocturne. Dans la foulée, un "Plan couleur" - méconnu - a redonné de l'éclat aux immeubles en journée. Du coup, la ville "grise le jour et noire la nuit"... a repris des couleurs. Ce "Plan couleur" s'inscrit dans le cadre des opérations de ravalement de façades. Depuis le début du mois de mai, les échafaudages fleurissent un peu partout en ville. C’est le grand nettoyage de printemps, le rituel est immuable. Les campagnes de ravalement reprennent au rythme des décapages thermiques ou chimiques à haute pression. Le bruit et l'odeur.
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Bon an mal an à Lyon, douze kilomètres de rues font l'objet d'une inspection minutieuse des services de l'aménagement urbain de la ville. S'ils vérifient la date du dernier ravalement (au minimum un par décennie) et l'état général des immeubles, en pratique, c'est plus l'état de propreté de la façade - pierres fissurées, noircies, érodées - qui importe que la date de ravalement. Mais tous les bâtiments ne sont pas soumis aux mêmes exigences. Ainsi, la pierre de taille, typique des immeubles haussmanniens qu'on retrouve surtout dans les quartiers du centre (Vieux-Lyon, Presqu'île et 6e arrondissement) est plutôt résistante aux intempéries. En revanche, les façades en fausse pierre de taille, très en vogue à la fin du XIXe siècle (rive gauche du Rhône) suite aux expériences qui se sont développées autour des carrières de ciment naturel de Grenoble, le sont moins, surtout quand elles sont situées sur des artères passantes. Même topo pour les façades enduites sur mâchefer, utilisé dans les constructions modestes (Guillotière, Vaise) ou dans les grands ensembles (cité Perrache, États-Unis) et très vulnérables.
Au bon vouloir des Bâtiments de France
Pour 2017, les immeubles de trente-huit rues sont concernées par un ravalement (199 dans le cadre du plan de ravalement pluri-annuel 2014-2019). Soit plusieurs centaines de bâtiments. Et autant de nuances de couleurs. Plus qu'un cahier des charges livrant une palette réglementaire, le "Plan couleur" précise "la philosophie d'ensemble". "Il vous donne l'esprit, vous parle de couleurs, d'ombres et de lumières, de teintes et de pigments. Le reste vous appartient." peut-on lire dans le document de vingt-trois pages. Autrement dit, les Lyonnais sont invités à choisir leur ton dans le nuancier proposé. Quarante-huit "couleurs de fonds", allant des beiges aux ocres en passant par les gris colorés, et douze "ponctuelles", orientées sur les bleus.
En pratique, les choses se passent différemment. Le choix se résume à quelques couleurs, quand il n'est pas imposé tout court aux propriétaires. Il faut tenir compte de la typologie des façades (on en recense onze à Lyon) qui n' "encaissent" pas les mêmes couleurs et de l'architecture des immeubles. Il faut prendre en considération l'orientation de l'immeuble et tenir compte de la lumière. Il faut enfin respecter l'ADN chromatique de Lyon : le ton de la ville est donné en écho à ses deux fleuves : du côté Rhône, fleuve majeur et glaciaire, une palette aux couleurs d'eau, froids et bleutés, du côté Saône et Vieux-Lyon, quartiers marqués par la florissante Renaissance, une palette aux couleurs du soleil, avec les teintes chaudes de l'ocre. Mais explique un acteur majeur des ravalements de façade, "il peut y avoir des degrés d'instruction très différents par secteur, selon l’architecte des Bâtiments de France (ABF, NdlR) référent. Ce qu'on constate, c'est que dans beaucoup de cas, pour ne pas dire la majorité, les Bâtiments de France ne se déplacent pas sur le terrain car ils n'ont aucune envie de rencontrer les copropriétaires qui vont leur poser des questions." Et notamment sur les choix des couleurs.
Car les ravalements de façades sont à la charge des propriétaires. Et au vu des prix pratiqués - il faut compter entre 30 euros et 100 euros le m2 selon l'état de l'immeuble, soit un prix moyen pour un immeuble moyen de 60 000 et 80 000 euros (HT) – ils aimeraient pouvoir choisir leur coloris, comme le "Plan couleur" le garantit. "Mon immeuble a toujours été rose. Ça fait trente ans que j'y habite. C'est mon troisième ravalement de façade et cette année, je n'ai pas eu le choix de la teinte. On a du se contenter d'un beige. Ce n'est pas vilain mais on perd un peu ce côté florentin qui fait l'identité de Lyon." explique Michèle, copropriétaire d'un petit immeuble de la rue d'Amboise, contiguë à la place des Célestins.
Le "Plan couleur" tripatouillé
Un responsable de chantier, qui doit comme il est de coutume établir son cahier des charges en bonne entente avec les Bâtiments de France (ils interviennent sur plus de 60% du territoire de la ville), connaît bien le "Plan couleur" : "il est écrit noir sur blanc que ʻ sur un grand boulevard, on s'orientera vers des couleurs claires car la lumière replace la couleur ; dans une petite rue, on préférera les couleurs plus saturées, car, à l'inverse, la couleur remplace la lumièreʼ.Or, dans les petites rues où nous avons des chantiers, les ABF nous demandent d'imposer aux copropriétaires des tons de plus en plus clairs et ternes. C’est pour le moins paradoxal. »« Certains vous laissent un choix de deux nuances, poursuit un autre "façadier" ayant pignon sur rue. Dans ce cas, vous pouvez vous estimer heureux. Dans d'autres cas, ça m'est arrivé, l'architecte des Bâtiments de France vous dit : ʻ faites ce que vous voulez ʼ." Le conducteur de travaux d'un chantier du 6e arrondissement nous a même soutenu mordicus que "les couleurs, ce sont les marottes des ABF. Il suffit que le responsable d'un secteur de la ville soit plus sensible à telle couleur, à telle nuance et c'est un pan entier de la ville qui change de couleur !". L'esprit du "Plan couleur", c'est justement de "tenir compte de l'architecture du bâtiment plus que de la sensibilité des gens, habitants, architectes, élus, par rapport à telle ou telle teinte" regrette un architecte lyonnais qui souhaite rester anonyme de peur de s'attirer les foudres de son milieu. "Lyon est en phase de pastellisation. Elle fait des infidélités e à ses couleurs de toujours." Malgré nos nombreuses sollicitations, les architectes des Bâtiments de France de l'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine du Rhône n'ont pas donné suite.
"la ville s'est affadie'. Et en 2026 ?
Quand nous avons fait le ravalement de la façade de l immeuble on a eu droit qu à des couleurs fades et salissantes.
On est pas dans un quartier classé
C est pas l ABF qui les a imposées mais un coloriste de la metropole
ça a rendu le quartier tristoune!
On voulait pas bariolé mais quand même
C est une dégradation du cadre de vie