Quand le repositionnement de médicament fait gagner du temps aux chercheurs. Entretien avec Manuel Rosa-Calatrava, co-directeur du laboratoire VirPath et directeur de recherche à l’Inserm.
Lyon Capitale : Qu’est-ce que le repositionnement de médicament ?
Manuel Rosa-Calatrava : Le repositionnement de médicament, c’est le fait de rediriger un médicament pour une indication thérapeutique différente de celle pour laquelle il a été développé. Un exemple très parlant c’est le Viagra, commercialisé par Pfizer. C’est une molécule dont l’objectif, au départ, était de traiter les angines de poitrine. Lors des essais cliniques il s’est avéré qu’il n’y avait pas d’efficacité associée à cette molécule pour cette indication thérapeutique. Mais il y a une observation fortuite d’effets secondaires. Si bien que cette molécule a été repositionnée pour une autre pathologie, les troubles de l’érection, avant même d’être sur le marché. Mais attendre une observation fortuite dans le cadre d’un essai clinique ne permet pas de faire avancer la recherche médicale. Au laboratoire VirPath, nous avons donc développé une approche scientifique qui permet de sélectionner des médicaments déjà sur le marché pour leur potentiel à être repositionnés dans notre champ d’application : le champ thérapeutique antiviral contre les virus respiratoires.
Comment ciblez-vous ces médicaments à repositionner ?
Ce qui se fait généralement en termes de repositionnement, dans les grands groupes pharmaceutiques notamment, c’est du criblage à haut débit. Des dizaines de milliers de molécules sont testées dans des essais in vitro, très artificiels, pour essayer d’identifier une activité qui n’était pas du tout prévue. Avec finalement très, très peu de molécules élues, en termes de repositionnement. Nous avons plutôt réfléchi et mis au point une stratégie basée sur de l’analyse transcriptomique, qui permet de sélectionner un petit groupe de médicaments avec un vrai potentiel. Ensuite, nous les évaluons dans différents modèles précliniques : cellulaires, épithélium reconstitués et animaux.
L’avantage de cette approche, c’est que le repositionnement permet, à partir de données précliniques en modèle animal, d’aller tout de suite en essai clinique de phase 2. C’est ce qu’on a fait contre la grippe. L’autre avantage c’est qu’on peut combiner des médicaments qu’on repositionne. Ils ciblent la cellule et vont induire un état cellulaire défavorable à l’infection avec des antiviraux classiques. Cela apporte une synergie en termes d’efficacité antivirale, tout en diminuant les risques d’apparition des résistances. Les virus vont beaucoup moins se répliquer, donc beaucoup moins muter. Et l’antiviral classique est d’autant plus potentialisé.
On se rappelle des difficultés posées par la pilule Diane-35, utilisée comme anti-acnéique, qui avait engendré des thromboses. Le repositionnement de médicaments ne présente-t-il pas aussi des risques ? Quels garde-fous avez-vous ?
Notre démarche est extrêmement cadrée et réglementée. On a des modèles précliniques (cellulaires, épithélium, animaux). Ensuite, en fonction des résultats, le tout dans une démarche réglementaire. L’essai clinique de la grippe c’est dans le cadre d’un financement de type PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) avec les autorisations des comités de protection des personnes et une validation du ministère de la Santé sur les aspects réglementaires. C’est fait en coordination avec des médecins, des réanimateurs, etc. Et là pour le Covid-19 c’est la même chose, on s’inscrit dans une démarche similaire.