Coordinateur du projet Transenvir, Stéphane Frioux et son équipe vont prochainement mettre en ligne un site consacré à l'histoire des politiques de transition environnementale face aux risques environnementaux dans l'agglomération lyonnaise. Entretien avec ce maître de conférences à l'université Lyon 2 et chercheur au laboratoire Larhra.
Lyon Capitale : Après la démission de Nicolas Hulot du ministère de la transition écologique, les Lyonnais sont sortis dans les rues pour réclamer des politiques environnementales plus fortes face à l'urgence climatique et la réduction de la biodiversité. Quelle place tiennent les mobilisations populaires en faveur de l'écologie dans l'histoire de la ville ?
Stéphane Frioux : À Lyon, les mobilisations ont commencé avec le moment 68 qui englobe les manifestations pour des changements sociaux. Par sa proximité avec la centrale du Bugey et le projet de la centrale Superphoenix à Creys-Malville, Lyon a tenu une place importante dans les mobilisations contre le nucléaire. Le militantisme est aussi né en réaction à des catastrophes, comme celle de Feyzin en 1966. Des syndicalistes de comité d'hygiène et de sécurité de la vallée de chimie s'exprimaient pour une réflexion sur le développement industriel et plus de sécurité. Il y a une histoire de près d'un demi-siècle de militantisme et de manifestations pour ces enjeux.
Lyon est régulièrement asphyxiée par la pollution atmosphérique, en été comme en hiver. Est-ce la difficulté à voir les conséquences qui empêche de prendre des mesures effectives ?
Les mesures contraignantes attestent d'une volonté de mettre l'écologie en haut de l'agenda politique, mais elles sont impopulaires, donc difficiles à faire passer. En matière de pollution atmosphérique, elles ont été à l'ordre du jour à partir de 1952. En Grande-Bretagne, Londres a vécu un épisode de smog au dioxyde de soufre, comparable à ce que vivent les villes chinoises de nos jours. Les Britanniques se sont alors mis à interdire les types de charbons les plus polluants. Mais ces combustibles étaient aussi les plus bons marchés, ce qui a provoqué une répercussion sur le pouvoir d'achat et le budget des ménages. À Lyon, l'inquiétude d'un tel épisode est présente. Mais les autorités municipales, via le bureau d'hygiène, se mettent plutôt à chasser les chaufferies d'immeuble mal réglé ou utilisant du combustible de mauvaise qualité. Des opérations et des contrôles ont lieu, dans le quartier des Brotteaux par exemple.
Et la chasse des émissions liées aux transports ?
Le grand retard des politiques est de prendre des mesures contraignantes en matière d'automobile. L'action politique a été extrêmement lente. Une zone à faible émission a été décidée dans la Métropole de Lyon, mais avec une interdiction dont l'entrée en vigueur, pour les poids lourds, est prévue au 1er janvier 2020. Il faut encore attendre de voir. C'est très lent par rapport aux alertes médicales et à celles des spécialistes qui ont souligné ces problèmes il y a maintenant quarante ans. Il faut se souvenir aussi que les potentielles conséquences économiques ont été mises en évidence par le fiasco de l'écotaxe au niveau national, dans lequel le lobby du transport routier a joué un grand rôle.
Entre Saône et Rhône, des bulles flottantes au-dessus de l'eau sont évoquées pour, dans le futur, des déplacements plus propres. Mais sommes-nous déjà parvenus à dépolluer les fleuves ?
Dans les années 60 et 70, le Rhône et la Saône ont été victime d'épisodes de pollution. Et il y a un décalage entre le temps court de l'épisode et la durée bien plus longue de la restauration écologique et de la diminution de la teneur en polluant. Gérer l'héritage d'un accident se compte en années ou en décennies alors qu'il suffit de quelques secondes ou de quelques heures pour polluer un fleuve. Actuellement, les données les plus fiables sont publiées par l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse. Elle mène un plan de restauration écologique depuis de nombreuses années. L'amélioration est notable, notamment en matière de PCB, ces fameuses substances qui ont conduit à l'interdiction de consommer le poisson pêché dans le Rhône et fait disparaître les quelques derniers pêcheurs professionnels en activité dans la région. En parallèle, les épisodes de pollution des fleuves ont joué un rôle important dans la politisation des enjeux environnementaux. Dès 1971, le maire de Givors, le communiste Camille Vallin, crée une association de défense de l'environnement dans la vallée du Rhône qui va fédérer un certain nombre de municipalités de gauche de la région lyonnaise. C'est un témoignage précoce et intéressant de la capacité des élus locaux à politiser les problèmes de pollution de l'eau.
Qu'en est-il de la pollution des sols ?
Le quartier Confluence a nécessité de grands travaux de dépollution de sol. Dès les années 1820, la municipalité voyait le secteur comme le Manchester lyonnais. Pour le futur de la ville, il s'agissait d'en faire un vrai quartier industriel. Ce qui a généré tout au long du 19e siècle des installations pour fabriquer de l'acide sulfurique, une usine à gaz, des entrepôts de charbon, des abattoirs... À la fin du 20e siècle, ces friches se sont révélées comme une potentialité formidable d'expansion urbaine, très proche du cœur de la presqu’île. Mais en même temps, elles portaient les fardeaux de l'histoire industrielle. Les pouvoirs publics et les promoteurs immobiliers ont dû gérer les conséquences de ces pollutions, qui sont un enjeu assez mal connu des citoyens, et même des associations écologistes. Mais c'est aussi un sujet sur lequel les habitants se mobilisent, car ils en sont directement victimes. Lorsqu'une association de jardiniers apprend qu'elle ne doit plus consommer les légumes qu'elle cultive parce que l'agence de santé a fait une analyse de sol ou lorsque des travaux sur un groupe scolaire font apparaître que l'école a été construite sur un site pollué. Ces exemples concrets dans l'agglomération lyonnaise montrent que l'on doit gérer cet héritage. Un immense travail a été réalisé par le BRGM sur le recensement des sites pollués ou potentiellement pollués.
Pour revenir sur le quartier de la Confluence, il était pourtant au cœur de la première visite à Lyon de Nicolas Hulot comme ministre de la transition écologique. N'est-ce pas paradoxal ?
C'est un quartier sur lequel la municipalité a toujours cherché à faire des projets d'avenir. Après le Manchester lyonnais deux siècles plus tôt, l'idée des années 2000 est celle de l'écoquartier du 21e siècle. Ces deux époques sont reliées par la volonté de favoriser l'innovation économique et industrielle. Maintenant, les politiques cherchent à promouvoir le développement durable, l'économie verte et les emplois liés à la rénovation énergétique ou à la transition écologique. Aujourd'hui, le quartier Confluence est représentatif de cette idée de vie intelligente, écologique, mais qui reste assez minoritaire sur le plan spatial.
Le développement durable est-il un mythe ?
La politique environnementale n'est que l'une des cordes du violon des politiques publiques. En affirmant vouloir concilier économie et écologie, le tout nouveau ministre de la transition écologique n'innove guère. Ce discours a été répété depuis le début des années 1970 par ses prédécesseurs. Pour beaucoup d'observateurs, le développement durable est plus une expression paradoxale qu'un mythe. La vraie question est celle des contours que l'on veut donner au développement et de la qualité de ce dernier dans un monde aux ressources naturelles limitées. Il y a un arbitrage à faire entre des impératifs financiers de court terme et les objectifs à très long terme. Finalement, c'est la même chose que l'héritage des pollutions et la face cachée de leurs conséquences. La pollution de l'air est assez peu tangible lorsque le ciel est bleu, comme en ce moment à Lyon. Mais ce qu'il faut prendre en compte, ce sont les conséquences de l'exposition sur 20 ou 30 ans et qui sont difficiles à chiffrer.
Politiquement, quelles marges de manœuvre ont une ville, une Région et un État pour mettre en place des mesures environnementales ?
Les marges de manœuvre sont à la mesure de l'ambition politique que les élus veulent se donner. La France a acquis dans les Trente Glorieuses une culture de la modernité, technique et scientifique, avec l'avion, le train à grande vitesse et l'industrie nucléaire. Et dans notre pays, les mesures environnementales sont reléguées dans l'imaginaire du retour à la bougie. La marge de manœuvre est potentiellement assez grande, mais la gêne que pourraient supposer certaines restrictions de circulation est contradictoire avec l'optimisme technologique sur lequel se sont bâties nos agglomérations pendant les Trente Glorieuses.