Rassemblement pour l'IEF, 9 décembre 2020
Rassemblement pour l’IEF, 9 décembre 2020 ©Oriane Mollaret

Lyon : un rassemblement pour défendre l'école à la maison, menacée d'interdiction

Près de deux cents personnes étaient réunies ce mercredi 9 décembre devant le rectorat de Lyon pour défendre l'école à la maison. Le projet de loi "contre les séparatismes", présenté en conseil des ministres ce jour, prévoit d'interdire ce choix d'instruction, sauf à de rares exceptions.

Rassemblement IEF 9 décembre 2020
Rassemblement pour l'IEF devant le rectorat de Lyon, 9 décembre 2020 ©Oriane Mollaret

« Liberté d’instruction ! Liberté d’instruction ! », scandent environ 200 personnes rassemblées ce mercredi 9 décembre devant les grilles du rectorat de Lyon, rue de Marseille. La moitié des manifestants sont des enfants, brandissant des pancartes bariolées pour défendre « l’IEF ». L’ « instruction en famille », plus communément appelée « école à la maison », permet aux parents qui le souhaitent d’assurer par leurs propres moyens l’instruction de leurs enfants. Le projet de loi « contre les séparatismes » - récemment rebaptisé « loi confortant les principes républicains » - présenté ce mercredi au gouvernement viendrait remettre cette possibilité en question.

Au cœur de ce projet de loi axé principalement sur la lutte contre la radicalisation, un volet éducatif encore flou pourrait rendre l’IEF « strictement limitée, notamment aux impératifs de santé » comme l’a annoncé Emmanuel Macron le 2 octobre dernier. Si le projet de loi est adopté tel quel, tous les enfants présents seraient donc obligés de prendre le chemin de l’école dès la rentrée scolaire de septembre 2021. Hors de question pour ces familles.

Des parents en colère contre l’Education nationale

Marine* et son conjoint ont fait la route depuis Saint-Quentin-Fallavier avec leurs deux enfants en bas âge pour défendre l’IEF. C’est le mode d’instruction qu’ils ont choisi en septembre dernier pour leur fille de 3 ans. Une solution idéale pour Marine*, qui prépare l’agrément pour devenir assistante maternelle. « Nous voulions inscrire notre fille dans une école Montessori, mais c’était beaucoup trop cher, explique-t-elle. Il n’y a pas d’école alternative là où nous habitons et l’éducation qui est donnée dans les écoles de l’Education nationale ne me plaît pas. Je ne veux pas que ma fille apprenne en fonction des punitions ou des récompenses mais par envie. » Alors, Marine* a décidé de se former à la pédagogie Montessori pour pouvoir assurer l’instruction de sa fille elle-même. Au vu des résultats plus que concluants, le couple voulait choisir également cette solution pour leur petit dernier de 18 mois. C’était sans compter cette loi.

Après quelques discours, chansons et applaudissements, les manifestants entament un défilé autour du rectorat. En tête, les enfants munis de pancartes qui revendiquent en lettres de couleur « L’école est un choix, s’instruire autrement est un droit » ou encore « Libre d’apprendre où je veux ». En queue de cortège, Julie* et son compagnon ont eux aussi déclaré leur fille de 3 ans en IEF en septembre dernier. Ils se souviennent d’une scolarité difficile, faite de harcèlement pour elle et de sales notes pour lui. « Je ne voulais pas que ma fille subisse ça, explique son père. L’enseignement de l’école n’était pas adapté pour moi, ce n’est que dans les études supérieures que je me suis révélé bon élève. » Tous deux ont dû réduire leur temps de travail pour pouvoir s’occuper pleinement de l’instruction de leur fille, au moins pendant la maternelle. Une démarche réfléchie, pour adopter un rythme plus en phase avec leur enfant. « Nous voulions pouvoir passer plus de temps en famille et voir notre enfant, explique Julie*. Si on fait des enfants, ce n’est pas pour les laisser huit heures par jour ! »

Rassemblement IEF 9 décembre 2020
Julie* et son compagnon ont choisi l'IEF pour leur fille en septembre dernier ©Oriane Mollaret

50 000 enfants en IEF en 2020, un chiffre en augmentation

Chaque année, de plus en plus de parents décident de ne pas envoyer leurs enfants à l’école. D’après les chiffres du ministère de l’Education nationale, ça concernait 18 818 enfants en 2010, contre 35 950 pour l’année scolaire 2018-2019. Dans son discours du 2 octobre, la président de la République a avancé le chiffre de 50 000 enfants en IEF en 2020. Pour les parents présents, le problème n’est pas l’école ou ses enseignants, mais le système scolaire de l’Education nationale et son manque de moyens. "Je voulais être institutrice, mais j'ai changé de projet après un stage dans une école maternelle, avoue Marine*. J'ai trouvé ça inadmissible." "Je sais ce que c'est que de s'occuper d'un petit enfant, abonde Julie*. Alors 20 ou 30 pour un ou deux adultes, je n'imagine même pas !"

C’est Marie-Aline Noireaux-Jouët, du collectif « IEF Rhône », qui a organisé le rassemblement de ce mercredi. Sa fille Aimelyne, 9 ans, est scolarisée depuis deux ans. Une volonté de la petite fille, qui voulait « découvrir l’école ». Mais avec son air enfantin et son année d’avance, sa mère la voyait difficilement entrer au collège en septembre prochain. La fillette devait donc retrouver l’IEF, avant que ce projet de loi ne vienne modifier les plans. « Il y a quelques exceptions, mais qui restent vagues, c’est écrit selon la particularité de l’enfant et de sa situation familiale, précise Marie-Aline Noireaux-Jouët. Ça risque d’être à la tête du client. Nous ne voulons pas que l’IEF soit soumise à autorisation. » Quant à l’augmentation du nombre de parents qui se tournent vers l’IEF, elle n’en est pas surprise : « Il n’y a aucune remise en question du système de l’Education nationale. Pourtant, c’est peut-être le système le problème. Pourquoi ces chiffres font-ils peur au gouvernement ? »

Rassemblement pour l'IEF 9 décembre 2020
Près de 200 manifestants étaient présents pour défendre l'IEF ©Oriane Mollaret

« Cette loi va favoriser la radicalisation »

Pour l’exécutif, la future limitation de l’IEF servirait à lutter contre la radicalisation dans certaines familles, qui couperaient volontairement leurs enfants du système scolaire. Un amalgame grossier, juge Anne Detremmerie, de l’association « Les enfants d’abord », une référence pour les familles IEF. « Je ne comprends pas le lien entre l’IEF et la radicalisation, développe-t-elle en marchant. Ça montre le fantasme et la méconnaissance de nos gouvernants envers l’IEF. » Il y a dix ans, elle a fait le choix de l’IEF pour ses trois enfants de 15, 12 et 10 ans. Les deux plus jeunes n’ont jamais mis un orteil dans une école.

Les familles qui font ce choix de l’IEF sont loin d'être inconnues de l’État. Elles doivent se déclarer auprès de la mairie de leur résidence ainsi que des services de l’Education nationale. Tous les deux ans, la mairie fait une enquête auprès des enfants dont elle communique les résultats à l’inspection académique qui effectue un contrôle au minimum une fois par an. Pour Anne Detremmerie, ce projet de loi est inutile. Pire, il pourrait avoir l’effet inverse à celui escompté : plusieurs parents interrogés disent avoir réfléchi à déménager à l'étranger. « Quand l’IEF a été interdite en Suède, un quart des familles se sont exilées, poursuit Anne Detremmerie. Cette loi va juste inciter les familles en IEF à ne pas se déclarer, ça va favoriser la radicalisation. »

Les familles présentes ne comptent pas lâcher l’affaire. « On ira en justice s’il le faut », affirme Marine* sur un ton déterminé. « On ne lâchera pas, confirme Anne Detremmerie. On ira jusqu’au Conseil constitutionnel, et si ça ne marche pas, on fera des démarches famille par famille. On est déjà en train de s’organiser. » De nouveaux rassemblements sont prévus dans les prochaines semaines, avec une possible mobilisation d’envergure nationale en janvier ou février selon l’évolution du projet de loi. Affaire à suivre.

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