Lurdes et sa cadette hébergées dans l’école élementaire Montaigne-Ferry (6e arr.) de Lyon. @CM

Lyon : une famille hébergée dans une école menacée de retourner à la rue face au silence de l'État

Depuis un an, Lurdes et ses huit enfants sont hébergés à l’école Montaigne (6e arr.). Arrivée à Lyon l’année dernière, la famille se heurte au silence des collectivités et le désarroi du collectif Jamais Sant Toit grandit de jour en jour. Face au manque de moyens, Lurdes et ses enfants risquent désormais de retourner vivre dans la rue. 

C’est l’histoire d’une famille sans point d’ancrage. Originaire de l’Angola, Lurdes poursuivait une carrière de chanteuse lorsqu’elle était plus jeune. Mais confrontée à de nombreux problèmes politiques, la jeune maman est forcée quitter son pays avec ses enfants. Elle s’installe finalement au Brésil, espérant y trouver la sérénité nécessaire pour y élever sa famille. Cette paix ne durera que cinq ans. Après avoir rencontré des problèmes, notamment avec l’un de ses fils aînés, elle jette son dévolu sur la France et arrive à Strasbourg en 2021. Démarre alors un long processus administratif qui se heurte bien souvent au silence de l’État. Lurdes demande l’asile en France, mais sa requête est rejetée le 5 février 2021 alors qu’elle et ses huit enfants sont hébergés dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). Ils seront finalement mis à la rue le 31 juillet de la même année. 

Pendant plus de trois mois, la maman et ses enfants, dont certains sont encore en bas-âge à cette époque, dorment dans la rue, sous une tente, confrontés à la peur, la faim, au manque d’hygiène. Une solution d’hébergement leur est finalement proposée dans une église, mais là encore, la solution n’est que temporaire. Dos au mur et dans l’espoir d’y trouver "beaucoup d’opportunités", Lurdes se rend à Lyon et arrive à la gare de la Part-Dieu en 2023. "Quand je suis sortie de la gare, j’ai tout de suite refait les demandes", explique-t-elle aujourd’hui. Mais voilà, lorsqu’elle dépose son dossier pour une demande de titre de séjour à la préfecture du Rhône, Lurdes ne reçoit aucun récépissé, pourtant obligatoire lorsqu’une personne fait la demande. Aujourd’hui encore, les services de l’État restent silencieux malgré les nombreux mails et courriers envoyés par le collectif Jamais Sans Toit. 

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Une commission de sécurité menace de fermer l’école 

N’ayant pas connaissance de cette obligation légale, Lurdes inscrit toutefois ses enfants à l’école. "On dormait dehors, on ne mangeait pas, on ne se lavait pas, mais mes enfants étaient à l’école. C’est très important. Et ils ont tous de très bons résultats", continue la maman. Assis à côté d’elle dans cette petite salle de classe qui sert actuellement de dortoir à la famille, l’un de ses fils actuellement au lycée est le cinquième meilleur élève de sa classe. "La Croix-Rouge est venue nous aider, mais on est fatigué, tout le temps fatigué. Mes enfants allaient à l’école comme des zombies." Plusieurs enseignantes de l’école Montaigne, dans le 6e arrondissement, et membres de Jamais Sans Toit leur proposent alors de venir dormir dans l’école maternelle du groupe scolaire en mars 2024 alors que trois enfants y sont déjà scolarisés. Cela fait maintenant un an que la situation dure, mais le temps presse désormais et la famille reste sans aucune solution. 

Le 17 février, la préfecture du Rhône a en effet mené une commission de sécurité dans les établissements des 13 et 15 rue Fournet, soit les bâtiments de l’école maternelle. Un avis défavorable à la poursuite de l’exploitation de l’école a finalement été rendu au motif "d’interdiction d’hébergement d’une famille dans le gymnase", selon l’article R143.13. Une levée de cet avis a été proposée à l’école, à condition que la famille quitte les lieux au 21 février, soit le soir des vacances scolaires. Désarmés, les membres du collectif prennent finalement la décision d’installer Lurdes et ses enfants dans le bâtiment de l’école élémentaire, après que la commission de sécurité est passée le 20 février. Le collectif assure que la mairie tolère cette situation. "La question que l’on se pose aujourd’hui s’est de savoir si l’on est les seuls à avoir eu une commission de sécurité, parce que l’on n’est pas la seule école à être occupée. Donc, est-ce que l’on est la première école à avoir la commission de sécurité depuis l’occupation des écoles ? On n’en sait rien", s’interroge Virginie, membre du collectif. 

Mais là aussi, Jamais Sans Toit se heurte par ailleurs à une autre problématique tout aussi importante : la responsabilité partagée en dehors du temps scolaire. Cette dernière est légalement partagée entre la direction de l’établissement et la municipalité si un incident venait à se produire. Une situation complexe qui provoque l’inquiétude, si bien que le collectif a fait le choix d’écrire à la Ville de Lyon pour demander un transfert de responsabilité de la direction au collectif pour la nuit, les mercredis et les week-ends. Virginie précise : "On ne voit pas clair dans cette situation, on se retrouve sans aucun soutien et financièrement, ça devient intenable pour nous."

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"Je continue de me battre" 

Consciente que l’étau se resserre, Lurdes ne cache pas son épuisement moral. "Les enfants sont inscrits à la garderie dès 5h30 et ensuite, moi, je vais à la Part-Dieu. Je marche toute la journée et quand je suis très fatiguée, je peux aller à la bibliothèque. Mais on ne mange pas, ou seulement du pain. Du pain tous les jours et les autres aliments coûtent cher", explique-t-elle. Émue, elle ajoute : "La nature m’a fait forte, mais je n’ai personne. Si je tombe malade, je n’ai personne. Et pourtant, je continue de me battre. Si on me parle d’une association, d’un avocat, d’une possibilité, j’y vais tout de suite. Mais là, j’ai juste envie de dormir et qu’on ne me réveille pas. Je suis tellement stressée."

À la fatigue s’ajoute également la colère, palpable lorsque Lurdes évoque son histoire. "Mes enfants sont scolarisés, j’ai fait toutes les demandes, tout ce qu’il fallait pour que j’ai accès à mes droits. Ce sont mes droits. Et il n’y a personne pour m’aider. Mes enfants dorment par terre !", s’indigne-t-elle. Autour d’elle, des matelas sont installés dans un coin de la pièce et récemment encore, il n’y avait pas d’eau chaude. "La préfecture n’est pas dans les clous et la Ville de Lyon se repose beaucoup sur les écoles. Les écoles ne sont pas là pour accueillir des familles", tance Virginie. De son propre aveu, Lurdes a conscience que la situation n’est pas tenable. "Seule une réponse de la préfecture pourrait nous éclairer un peu plus, mais là encore, c’est un grand silence", conclut Virginie.

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