"Vous avez vos papiers", lui a demandé en 2008 Brice Hortefeux.
Décidément le ministre de l'Intérieur a un humour singulier. Malmené à la suite de ses propos douteux tenus à l'université d'été de l'UMP, Brice Hortefeux avait déjà testé sa finesse d'esprit auprès de Mustapha Kessous, journaliste au Monde. "Vous avez vos papiers ?", lui avait-il lâché lors d'une entrevue en avril 2008. Cette scène est relatée par le reporter dans un article paru mercredi sur lemonde.fr.
Le journaliste témoigne des brimades dont il est victime, en tant que journaliste et citoyen ordinaire du fait de ses origines maghrébines. L'intéressé n'a pas souhaité répondre à nos questions. Même s'il a fait la une ce mercredi du site lemonde.fr, il ne veut pas devenir la figure de proue de ce combat. Mais son témoignage éclaire sur l'insupportable discrimination dont souffrent les jeunes issus de la diversité - comme on les appelle pudiquement. Quelle que soit la position qu'ils occupent.
"Il est où le journaliste du Monde ?"
"Je pensais que ma ‘qualité' de journaliste au Monde allait enfin me préserver de mes principaux ‘défauts' : être un Arabe, avoir la peau trop basanée, être un musulman", confie-t-il en préambule. Las : il est souvent rattrapé par cet 'apartheid mental'. A l'en croire, certains de ses interlocuteurs appellent sa rédaction pour les alerter qu''un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde !'.
Pour s'épargner ces réactions, il trouve la parade. Il ne sera plus Mustapha, ce prénom qu'il ne prononce plus. Pour décliner son identité, il devient en toutes circonstances "monsieur Kessous". "Ca passe mieux : on n'imagine pas que le reporter est ‘rebeu'", explique-t-il.
Son article regorge d'anecdotes minables. On se surprend à sourire de certaines d'entre elles du fait de leur énormité. Ainsi en juillet 2004, il est envoyé par sa rédaction pour couvrir un fait divers sordide dans le Vaucluse : un enfant a été assassiné à la hachette par un Marocain. 'J'aime pas les Arabes', lui assène d'emblée le cousin de la victime. Mustapha rencontre ensuite la directrice de l'hôpital psychiatrique d'où s'est échappé le meurtrier présumé. "La secrétaire lui signale ma présence. Une femme avec des béquilles me passe devant, je lui ouvre la porte, elle me dévisage sans me dire bonjour ni merci. ‘Il est où le journaliste du Monde ?', lance-t-elle". Celle-ci, méfiante, lui demande aussitôt sa carte de presse et sa carte d'identité. A la sortie de l'établissement, il se fait arrêter par la police qui croyait avoir... trouvé le suspect.
'Etes-vous musulman ?"
En 2005, le jeune journaliste va couvrir les émeutes en banlieue. Il est taxé de "fixeur" par le club Averroès, supposé promouvoir la diversité. Or comme il le note, ce terme décrit "ces guides que les journalistes paient dans les zones de guerre". "Et pourtant, s'ils savaient à quel point la banlieue m'était étrangère", se glose ce natif d'Ainay, berceau de la bourgeoisie lyonnaise. Le 21 décembre 2007, Mustapha croit enfin changer de dimension : c'est l'oral qui conclut sa formation de journaliste. Une consécration universitaire. Le jury, composé de professionnels, lui pose des questions bien orientées : 'Etes-vous musulman ? Que pensez-vous de la nomination d'Harry Roselmack ? Si vous êtes au Monde, c'est parce qu'il leur fallait un Arabe ?'
Son récit relate le quotidien banal d'un jeune issu de l'immigration : contrôles intempestifs d'identité, refus de locations par des agences immobilières, regards insistants de vigiles dans les magasins, entrées interdites dans les discothèques, etc. En 2003, Mustapha a justement porté plainte contre une boite lyonnaise pour discrimination. Refoulé par le videur parce qu'il "y a trop de monde', il assiste peu après à l'entrée d'un groupe de quinze personnes. "Que des Blancs", précise-t-il. Il réclame des explications. 'Dégage !', grogne le cerbère. La plainte sera classée sans suite, faute d''éléments suffisants'.
"Des histoires, j'en aurais tant d'autres à raconter, confie-t-il. On dit de moi que je suis d'origine étrangère, un beur, une racaille, un islamiste, un délinquant, un sauvageon, un 'beurgeois', un enfant issu de l'immigration... Mais jamais un Français, Français tout court".
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