À l'occasion de la sortie de son dernier roman La Juive de Shanghai, Marek Halter était de passage à Lyon. L'occasion de présenter son livre, de parler de son ancrage lyonnais et de sa vision du monde.
Marek Halter, bientôt 87, auteur à succès. Qui peut prétendre avoir serré autant de mains que cet homme ? Au cours de sa vie, il a rencontré les plus grands : Présidents, belligérants, célébrités...
Souvent critiqué pour ses anecdotes parfois inexactes ou exagérées, notamment par le Nouvel Obs et Le Point il reste néanmoins un personnage au combien passionnant. Bourré de référence, d'histoires et de rêves.
À première vue, Marek Halter paraît hirsute, intimidant, mais dès les premiers mots il se distingue par sa douceur, son calme et son intelligence. Interview :
Lyon Capitale : Vous êtes à Lyon ce week-end pour présenter votre livre, La Juive de Shanghai, quel est votre rapport à cette ville ?
Marek Halter : J'aime cette ville. Une ville traversée par deux rivières, ça ne peut être qu'une belle ville. Je me souviens de Lyon, j'étais porte-parole des victimes durant le procès de Klaus Barbie. Deux architectes avaient eu l'idée de mettre en place un mémorial éphémère place des Terreaux avec des dessins d'enfants. C'était vraiment beau. Ce mémorial a donné lieu à un léger accrochage avec Simone Veil qui ne voulait pas que la mémoire de la Shoa se transforme en "Disneyland".
LC : Dans votre dernier roman vous évoquez les aventures d'une juive durant la Seconde Guerre mondiale. Quel rapport entre le peuple juif et la Chine ?
M.H : Mon point de départ ce sont les femmes. Je voulais raconter l'histoire d'une femme. Je les trouve bien plus empathiques que les hommes. Ce sont elles qui feront le monde de demain.
Et puis en allant plus loin, j'ai découvert une aventure dont pour l'instant personne n'a parlé. On a parlé des destructions des communautés des fuites de certains, on a parlé des justes, j'ai même fait un film sur les non-Juifs qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre. Ça valait la peine de dire qu’au moment où toutes les frontières étaient fermées à ces Juifs condamnés à mort, il y avait une seule ville au monde qui a dit "nous, on vous accueille. Vous n'avez pas besoin de visa, de passeport, ni rien. On vous accueille." Sauf que ces Juifs ne savaient pas où était Shanghai. Mon roman retrace cette épopée.
LC : Peut-on faire un parallèle entre la Chine d'hier qui accueillait des réfugiés juifs, et la Chine d'aujourd'hui qui met les Ouïghours dans des camps ?
M.H : Je pars du principe qui est que nous sommes capables de tout. On n'est jamais sûrs d'être du bon côté de l'histoire. Si je vous propose un toit, une chambre chauffée et de la nourriture, mais qu'en contrepartie vous participez à des persécutions. Que faites-vous ? La Chine est dans cette position comme bien d'autres gouvernements dictatoriaux l'ont été. Ils veulent imposer leur "religion" qu'est le communisme à la chinoise. Pour cela, ils montent des camps. Comme les goulags à l'époque.
On ne sait pas, demain peut-être que nous allons nous poser des questions. Que va-t-on faire de nos immigrés en France ? La réponse pourrait nous surprendre... Certains pensent que nous devrions faire la même chose que les chinois avec les musulmans.
LC : Au-delà d'être auteur, vous êtes aussi un "penseur du monde". Comment se porte-t-il ?
M.H : Je trouve que nous manquons d'idéaux. Les gens ne se rassemblent pas autour d'un but commun pour faire un monde meilleur. Dernièrement, les manifestations contre la réforme des retraites ont réuni. Mais demain, ces gens retourneront à leurs opinions individuelles, ils se sépareront.
Nous avons besoin d'un rêve commun. Essayer de tendre, ensembles vers ce rêve. Nous y arriverons j'en suis persuadé. Pour cela il faut des politiciens avec des convictions, des auteurs engagés et un peuple qui rêve. Là nous irons vers un monde meilleur.
LC : Le contexte géopolitique est tendu depuis quelque temps avec le conflit en Ukraine. Quelle est votre analyse de la situation ?
M.H : C'est terrible ce qu'il se passe en Ukraine. J'ai signé une lettre dans Les Echos à l'attention de Vladimir Poutine pour faire cesser la guerre. Je pense que lorsqu'on maintient le dialogue, la paix est possible. Je l'avais rencontré un mois avant l'invasion, il m'avait dit qu'une guerre aurait lieu si c'était nécessaire. Moi, ce qui me frappe, c'est que les pays occidentaux veulent la défaite de la Russie, la mort de Poutine. Les autres veulent la défaite de l'Ukraine et la chute de l'occident. Dans le lot, aucun ne parle de paix.
J'ai imaginé faire une "caravane de la paix" dans ces deux pays. Des deux côtés, mon initiative a été refusée. Les Ukrainiens m'ont dit "d'accord, si vous apportez la tête de poutine sur un plateau." En ce moment, je négocie avec les Turques pour avoir le droit d'entrer dans la mer Noire avec cinq bateaux de pêche et des banderoles pour la paix.
LC : Que pensez-vous de la gestion du conflit faite par Emmanuel Macron ?
M.H : Selon moi il a fait une erreur. J'ai trouvé que le fait de discuter avec Poutine était une très bonne stratégie. Maintenant, il n'aurait jamais dû publier le contenu de ces échanges.
De toute manière, la guerre, selon moi, ne s'arrêtera qu'à partir du moment où le peuple américain en aura marre. Quand l'opinion publique dira stop.
LC : Faut-il être engagé pour être auteur ?
M.H : Je crois beaucoup aux prophètes, mes deux livres de référence sont la Bible et l'Odyssée d'Homère. Ce sont des textes qui, selon moi rendent meilleures. Des épopées, qui nous inspirent. Je pense que les grands auteurs de ce monde ont tous été engagés d'une certaine manière. Face à un système, face aux travers de l'Homme.
En revanche, certains auteurs ont parfois privilégié le style. Je pense à Louis-Ferdinand Céline ou encore à Flaubert dans certains écrits. C'est quelque chose de très Français.
?
"un rêve commun" Pour le programme commun on a déjà donné !