Plus d'une soixantaine de jeunes migrants dorment à la rue dans la Métropole de Lyon. Et leur nombre ne cesse d'augmenter. Leur minorité n'a pas été reconnue et ils n'ont pas pu être pris en charge par la Métropole de Lyon. Ils sont aujourd'hui en recours auprès du juge des enfants pour être reconnus mineurs. Collectifs et associations interpellent les pouvoirs publics sur la situation de ces jeunes, ni vraiment majeurs, ni vraiment mineurs, qui se retrouvent livrés à eux-mêmes.
Leur installation au parc Ferrié, à Hénon (4e), vendredi 28 mai, avait fait grand bruit. Une forêt de tentes avait été érigée par des collectifs et associations dans le square, pour accueillir des jeunes migrants à la rue et alerter sur leur situation. Originaires d'Afrique, et principalement d'Afrique sub-saharienne, ces jeunes sont arrivés en France quelques semaines auparavant, loin de se douter qu'ils finiraient à la rue. Se disant mineurs, ils espéraient être pris en charge par la Métropole et l'Aide sociale à l'enfance. Leur minorité contestée, ils ont été laissé livrés à eux-mêmes avec la possibilité de déposer un recours auprès du juge des enfants.
En 2020, avec la crise sanitaire, les arrivées de mineurs isolés et jeunes migrants avait grandement diminué. Elles repartent à la hausse en 2021 et font craindre aux associations et collectifs d'aide aux migrants de retrouver cet été un grand nombre de jeunes, pour la plupart mineurs, dans les rues de la métropole.
Qui doit prendre en charge ?
À leur arrivée à Lyon, ces jeunes qui se disent mineurs sont hébergés environ cinq jours par l'association Forum-réfugiés, chargée par la Métropole de Lyon d'évaluer la minorité de ces jeunes. S'ils sont reconnus Mineurs non-accompagnés (MNA), ils sont pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Mais ils sont peu à obtenir ce statut : au premier trimestre 2021, 16 à 19 % des jeunes migrants ont été reconnus mineurs par Forum-réfugiés, selon des chiffres donnés par la Métropole. La majorité d'entre eux déposent un recours auprès du juge des enfants pour faire reconnaître leur minorité.
De l'automne 2020 à début mai 2021, la Métropole logeait ces jeunes en recours à l'hôtel. Depuis début mai, elle ne prend plus en charge les nouveaux arrivants. Renaud Payre, vice-président en charge du logement social à la Métropole, explique que cette prise en charge a été limitée dans le temps car liée à la seconde vague de la crise sanitaire. "Lors de la deuxième vague, il était inimaginable que des jeunes soient à la rue. De la fin du mois d'octobre jusqu'au mois de mai, nous avons mis 560 jeunes à l'abri. Après, on attendait que l'État prenne le relai", détaille-t-il. Selon lui, 120 jeunes par mois passent par le Forum actuellement.
La préfecture estime que "seule une décision de justice fait foi sur la minorité ou la majorité", et que ces jeunes sont "toujours sous la responsabilité de la Métropole", en attendant la décision du juge des enfants.
C'est là que réside le problème. Ces jeunes en recours se trouvent dans un flou juridique et institutionnel. Pas vraiment considérés comme mineurs, la Métropole considère qu'il n'est pas de sa responsabilité de les prendre en charge mais celle de l'État. De son côté, la préfecture, représentante de l'État, estime que "seule une décision de justice fait foi sur la minorité ou la majorité", et que ces jeunes sont "toujours sous la responsabilité de la Métropole", en attendant la décision du juge des enfants.
D'autant plus que la Métropole prend actuellement en charge des jeunes dans cette même situation. 340 sont encore logés à l'hôtel et une centaine sont passés par "La Station". Ce lieu ouvert depuis le 2 novembre par la collectivité accueille 52 jeunes migrants en recours. Il a été ouvert dans le cadre du programme "Métropole accueillante et hospitalière" lancée par la Métropole, chiffré à 8 600 000 euros. "Nous avons voulu faire bouger les lignes. Aucune autre collectivité en France n'a fait ce genre de structure, avec uniquement un financement métropolitain. Nous avons consacré 600 000 euros à la Station", se félicite Renaud Payre. Il cite également le conventionnement de squats sur le foncier métropolitain pour justifier de l'hospitalité de la Métropole.
Sans domiciles fixes
La solution des tentes du square Hénon a duré du 28 mai au 22 juin. Presque un mois où le collectif Maurice Scève, le collectif L'AMIE et le collectif soutiens/migrants Croix-Rousse ont assuré l'accueil, l'hébergement et les besoins de ces jeunes migrants. Une quinzaine au départ, ils étaient plus de 50 lorsqu'ils ont plié le camp. Le 22 juin, face au risque d'orage, la préfecture a réquisitionné le gymnase Maurice Scève pour les héberger le temps de quelques nuits.
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Dans le gymnase, Ali* révise sur un coin de table. La salle est très bruyante, entre les bruits de conversation qui résonnent et des jeunes qui jouent au basket. Il fait des exercices de mathématiques, distribués par le Secours Populaire. Il cherche ses mots pour nous parler et s'excuse. "Le français c'est compliqué, je ne suis jamais allé à l'école", confie-t-il.
Il dit venir de la Côte d'Ivoire et avoir 14 ans, mais l'association Forum-réfugiés, mandatée par la Métropole ne l'a pas reconnu comme mineur. Arrivé en France deux semaines auparavant, il a dormi dans une tente du parc Ferrié à Hénon (4e) après avoir été remis à la rue suite à son évaluation. "C'était la première fois que je dormais dans une tente, c'était fatiguant", explique-t-il. "Je veux que l'on m'aide, et faire des études", demande-t-il. La solution du gymnase n'a duré que jusqu'au 25 juin. Après cela, Ali et d'autres ont été relogés dans un squat, rue Denfert-Rochereau (4e).
Une situation précaire
La mairie de Lyon, même si cela ne relève pas de ses compétences, a proposé l'hébergement de 37 de ces jeunes. Onze ont été logés dans des appartements étudiants, dans une résidence sénior, pour l'instant disponibles jusqu'à la rentée. Le reste a pu trouver place dans un immeuble vide de la mairie, rue Paul Bert (3e). "Nous n'allions pas laisser des jeunes, mineurs ou pas, dans cette situation, sous des tentes. C'est une obligation morale. Alors que ni l'État, ni la Métropole ne voulaient prendre des mesures d'urgence", explique Sandrine Runel, adjointe au maire aux Solidarités. Elle explique que la Ville ne peut pas s'engager plus. L'adjointe espère que les recours aboutiront pour permettre une prise en charge.
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Le reste, environ 28 jeunes, ont trouvé refuge dans un squat rue Denfert-Rochereau (4e). S'ils étaient 28 au 25 juin, ils sont à présent 40, avec l'arrivée de nouveaux exilés que le Forum-réfugiés a considéré majeurs. Privé d'électricité, les conditions de vie y sont précaires, sans possibilité de se faire à manger ou de chauffer de l'eau. "Ce n'est pas facile mais nous n'avons pas le choix. Pendant le recours on devrait avoir un toit, être nourris", regrette Amine*. Le jeune homme dit avoir 17 ans et venir de Gambie. "Ma vie était trop difficile là-bas, des personnes allaient en Europe et je me suis dit que c'était la liberté et qu'ici il y a la dignité de vivre", relate-t-il. Il raconte son histoire, laissé seul pour assurer ses besoins, alors que sa mère était partie vivre avec un autre homme après le décès de son père en 2018.
Le bailleur ICF Habitat, qui possède le bâtiment rue Denfert-Rochereau, est bien embêté. Il devait lancer cet été la démolition de ce bâtiment pour construire des logements sociaux. "Nous sommes en lien avec les collectifs sur place, on communique et nos rapports sont courtois", affirme Jérôme Orelu, directeur clientèle. "On souhaite relancer notre projet et récupérer notre bien. Mais au-delà de nos projets, on espère que des solutions seront trouvées rapidement pour ces gens", ajoute-t-il.
Le bailleur n'envisage pas de rétablir l'accès à l'électricité et a lancé une procédure judiciaire contre l'occupation de leurs locaux. "Nous savons qu'ils souhaitent faire des logements sociaux et nous ne voulons pas bloquer ça, regrette Sébastien, un militant. Donc on aimerait que la situation se débloque d'ici août." Son collectif interpelle la Métropole et la préfecture pour que les jeunes soient hébergés et suivis.
L'alerte des associations et collectifs
"On observe une dizaine d'arrivées par semaine. Ici, à Denfert-Rochereau on est plein. C'est inquiétant car tout l'accompagnement de ces jeunes repose sur des bénévoles et des volontaires", souligne Sébastien. À Paul Bert, comme à Denfert-Rochereau, les militants des collectifs se relaient pour que deux adultes soient toujours présentssur place. "Nous avons envoyé des mails à la Métropole pour avoir un rendez-vous mais malgré quelques échanges, il n'y a rien eu de constructif. Ils ne veulent pas nous recevoir", regrette-t-il. De son côté, Renaud Payre assure être "en discussion avec les collectifs et les jeunes eux-mêmes, comme avec toutes les associations de la Métropole".
"L'été il n'y a pas beaucoup de rendez-vous auprès des avocats et des juges. Pour les nouveaux qui arrivent je leur dis qu'ils n'auront pas rendez-vous avant septembre devant le juge", s'inquiète Sophie, du collectif soutiens/migrants Croix-Rousse. Elle redoute les nombreuses arrivées de jeunes cet été, qui ne seront pas compensées par les départs de ceux reconnus mineurs, pris en charge par l'ASE. "Il faudrait qu'ils ouvrent 2 ou 3 autres lieux comme la Station, y compris l'été", estime-t-elle.
"Je n'ai pas encore pu voir d'avocate pour le recours car elle me demande ma date de naissance. Ma mère ne connait pas le papier d'identité original, elle ne sait pas comment faire pour l'avoir", explique Oumar*, jeune venu du Sénagal.
À la baisse de rendez-vous chez le juge, s'ajoute aussi la difficulté de récupérer les documents d'identité des jeunes pour déposer les dossiers. Oumar* vient du Sénégal, il cherche à récupérer sa pièce d'identité, restée dans son pays d'origine. "Je n'ai pas encore pu voir d'avocate car elle me demande ma date de naissance. Ma mère ne connait pas le papier d'identité original, elle ne sait pas comment faire pour l'avoir", explique-t-il. Il est arrivé en France après un parcours chaotique : parti avec son oncle, il est passé par l'Algérie puis la Libye, où il a perdu la trace de son oncle. Arrivé en Italie par zodiac, il a ensuite pris le bus pour venir à Lyon. "La France doit me valider mineur pour que je fasse des études. Et j'aime le football, je voudrai rentrer dans un club", rêve-t-il.
Si les collectifs sonne l'alarme et demande une aide en urgence pour ces jeunes, Renaud Payre estime qu'il y a surtout besoin d'une stratégie politique de long terme pour régler ce problème. "Nous avons besoin d'une stratégie pluriannuelle, avec toutes les parties, l'État et les communes. N'ayez aucun doute sur notre ambition et notre volontarisme pour développer des alternatives à la rue pour l'ensemble des hommes et des femmes qui y sont", avance-t-il. Il évoque des discussions en cours avec la préfecture pour l'ouverture d'un lieu semblable à la Station, financé conjointement par la Métropole et l'État. "J'ai bon espoir d'un dénouement à l'automne", affirme-t-il. Restent aux militants et aux jeunes migrants à tenir d'ici là.
*Les prénoms ont été modifiés
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"Oumar*, jeune venu du Sénégal" Pays en guerre.. ?
Pays où il pourrait être intéressent de mettre en place un politique volontariste de maintien au pays pour ces jeunes qui clament avoir des droits en France en oubliant leurs devoirs envers leur patrie.