Le tombeur du terroriste Khaled Kelkal, de plusieurs activistes de l'ETA et de gros dealers d'échelon international pourrait tomber pour trafic de stups.
Il est surnommé le "Bebel de la PJ". Grand, svelte, le bouc poivre et sel de trois jours, les cheveux chatains mi-longs avec frange sur le côté. Il portait beau, comme on dit dans le milieu. Bottines en cuir noir, jeans bien coupé, veste à grosses rayures version gangster old school ou en velours en mode gentleman farmer, Légion d'honneur à la boutonnière, chemise blanche impeccable et savamment déboutonnée. L'homme a du chien. Belle gueule, bonne gouaille aussi. Quand il prend la parole, on peut entendre les mouches voler. Les journalistes boivent ses paroles. Ses hommes aussi, tout comme les costauds de la BRB et de la BRI, dont il a été le patron plus de vingt ans.
Michel Neyret est un policier respecté. Et adoubé par sa hiérarchie : au 36, quai des Orfèvres, on ne tarissait pas d'éloges et on le considérait comme un "très grand flic", "l'un des meilleurs de France". Était car désormais, le n°2 de la PJ de Lyon, n'est plus en odeur de sainteté. Verbatim de l'actuel big boss de la police judiciaire française, Christian Lothion, dont quatre ans passés à Lyon (2002-2006) comme directeur de la PJ : "C'était un ami et un excellent policier. Michel Neyret n'est plus mon ami. Ce n'est plus un policier" *.
Connaissance du milieu
"Il présentait l'un des meilleurs taux d'élucidation de France" allègue David Metaxas, l'avocat des voyous lyonnais. Son tableau de chasse est aussi long que le casier judiciaire des truands qu'il arrête. En 1995, alors qu'il dirige l' "antigang" de Lyon, c'est son équipe qui réussit à localiser Khaled Kelkal (photo ci-contre), alors l'homme le plus recherché de France et présumé responsable de la vague d'attentats terroristes perpétrés en France la même année. En 2002, il interpelle en Savoie des activistes de l'ETA. Un an plus tard, c'est lui qui est au cœur de l'affaire des "évadés de Luynes" : Frédéric Impocco et Pascal Payet, tous deux fichés au grand banditisme, s'étaient fait la belle de la prison de Luynes (Bouches-du-Rhône), grâce à un complice qui avait détourné un hélicoptère pour les récupérer dans une cour intérieure de la prison.
Pour ses faits d'armes, il sera même fait chevalier de la Légion d'honneur. Il quitte Lyon la même année pour prendre les rennes de la PJ de Nice, passage obligé pour gagner ses galons de commissaire divisionnaire et faire son come-back entre Rhône et Saône, dans la capitale du go-fast, des voitures-béliers et des hold-up. Car ce que revendique Neyret, c'est le terrain.
"C'est un homme qui va au contact, un patron, un spécialiste de la PJ" confirme Roger Marion, ancien chef de la division nationale anti-terroriste et ex-directeur central adjoint de la police judiciaire. "Michel Neyret fait sans doute partie du dernier quarteron de flics à l’ancienne. De ceux qui ont encore la connaissance du "milieu". Qui sont capables, non pas de réciter l’état-civil d’un voyou en tapotant le clavier d’un ordinateur, mais de vous raconter sa vie, ses habitudes, ses relations, ses maîtresses, avec des anecdotes et des péripéties ; ce genre de détails qu’on trouve généralement dans les polars. Et cela nécessite de côtoyer les voyous" raconte Georges Moréas, commissaire principal honoraire de la police nationale, à qui l'on doit la création de l'"antigang" de Nice, en 1978. Effectivement, on voit Neyret traîner dans les cafés, les bars à champagne, les boîtes de nuit où sort la "pègre" locale. Dixit un ancien braqueur qui l'a côtoyé. "Il m'appelait parfois pour le rejoindre boire du champagne en boîte avec de gros lascars lyonnais, ajoute une de ses fréquentations professionnelles. Il aimait fréquenter les truands, c'est clair".
Un serial noceur fragilisé à Nice
De l'avis de plusieurs personnes qui l'ont côtoyé, Neyret aurait "basculé" lors de son passage à Nice, dès 2004, quand il prend la direction de la PJ. "Neyret est un chef de bande. C'est aussi un démonstratif qui marche à la tchatche et aux relations humaines. C'est un noceur, c'est connu et archi-connu". "Il a eu une deuxième vie là-bas, explique un ancien haut responsable de la police. Mon idée, c'est de dire qu'il a mené une vie de célibataire sur la Côte. Il était loin de sa femme qui le tenait un peu. C'était un peu la java, il sortait le soir. Il a été ciblé par les truands. Comment ils font, les services secrets ? Ils repèrent les mecs qui aiment les gonzesses et lui mettent une gonzesse entre les pattes. Moi je pense, avec quelques bonnes raisons de le penser, qu'on a piégé Neyret en ce sens qu'on a vu ses faiblesses, on a vu qu'il qu'il était people, on a vu qu'il aimait bien ça et on lui a donné du plaisir à ce niveau-là. Ils l'ont ciblé comme personne susceptible de passer de l'autre côté. Comprenez bien que quand vous faites dix heures d'acrobatie d'avion tous les jours, vous avez plus de chance de vous casser la gueule que si vous prenez le bus une fois par semaine".
Les fameuses acrobaties de Neyret lui ont valu de réaliser des saisies spectaculaires de drogue et d'arrêter des trafiquants d'envergure internationale. La médiatisation de Neyret est en marche. Mais à la lumière de la série d'écoutes téléphoniques (dès le 27 novembre 2010) qui montrent ses liens étroits avec le grand banditisme, notamment le fait qu'il ait aidé des trafiquants internationaux à échapper aux coups de filets, ternissent son énorme tableau de chasse. En gros, certains taclent sévère : "s'il a tapé autant de braqueurs, c'est peut-être aussi qu'il a rendu des services à des équipes qui en retour lui ont balancé des infos sur des équipes concurrentes...".
La médiatisation par les "boutiques"
Si Michel Neyret était respecté de ses pairs, il l'était aussi par les voyous. Du moins les anciens, ceux qu'on surnommait les "beaux mecs". Car les nouveaux caïds, issus des cités et incarnations du nouveau grand banditisme français, le craignaient comme la peste. Dès son retour à Lyon en 2007, il s'attaque aux go-fast, remontées d'Espagne, à très grande vitesse, de voitures surpuissantes farcies de coke et de cannabis - technique d'ailleurs inventée par les Lyonnais. En 2007, sur les 22 go-fast démantelés en France, 5 l'étaient par la PJ lyonnaise. En 2010, Lyon décroche le gros lot en pistant Toni Musulin, le convoyeur de fonds devenu célèbre pour avoir détourné 11,6 millions d'euros. La même année, la PJ saisit 110 kilos de MDMA (drogue de synthèse). Un an plus tard, elle pulvérise le record des saisies de drogues en France avec, la même semaine, 1,4 tonne de cannabis, 110 kilos d'héroïne et 55 kilos de cocaïne.
Les braquages de "boutiques" finiront de le médiatiser. Les boutiques, dans le jargon, ce sont les bijouteries. Fin 2010-début 2011, Lyon en devient même la capitale : Cartier, Jaeger-LeCoultre, Loubet, la société de change Global Cash, des ateliers d'or et de métaux précieux de l'agglomération lyonnaise. Tout ce qui brille y passe. L'équipe de Michel Neyret réussit de belles interpellations. Étape supplémentaire dans la médiatisation : il inspire le rôle d'un flic de terrain des Lyonnais, le prochain film d'Olivier Marchal. Ce dernier, collègue lorsqu'ils étaient au SRPJ de Versailles, le dit "incorruptible". Jusqu'où, s'interroge aujourd'hui la justice ?
* Le JDD du 2 octobre 2011.
Cliquez ci-dessous pour voir la vidéo d'Olivier Marchal.
• https://youtu.be/E3XdfXwfIg0
Repères
1981 : en poste à la PJ de Versailles
1983 : patron de l' "antigang" de Lyon, 1ere Brigade de recherche et d'intervention (BRI) de France
2004 : patron de la police judiciaire de Nice. Reçoit la Légion d'honneur
2007 : directeur adjoint de la PJ de Lyon