Michèle Vianès
© Tim Douet

Michèle Vianès dénonce un apartheid sexué à Villefranche

Pour la présidente de l’association Regards de femmes, l’ouverture à Villefranche d’une auto-école dans laquelle les cours de Code de la route peuvent être réservés aux femmes est une “régression de l’égalité en droit, devoir et dignité”. Entretien.

Lyon Capitale : Cette semaine, l'Auto-Ecole de la Mairie de Villefranche-sur-Saône a ouvert ses portes. Face à la polémique, la salle de Code qui devait être réservée aux femmes pourrait aussi être réservée pour des cours entre hommes. Qu'en pensez-vous ?

Michèle Vianès* : C'est important de réagir, et je crois que maintenant c'est indispensable. Cela fait plus de dix ans que je le dis : il faut réagir à chaque fois. Cette stratégie en tenaille des islamistes fonctionne à tout-va, on avance un pion, on fait régresser les droits de femmes, car c'est là l'objet, et on attend des réactions. Si personne ne réagit, on va plus loin. S'il y a des réactions, on dit que les personnes qui réagissent sont des "islamophobes". Je précise les guillemets, car en France, il n'y a pas de délit de blasphème donc on ne peut pas être islamophobe. Et là, on fait passer les femmes pour des victimes qui ne peuvent pas être soumises à leur impératif religieux. On est vraiment sur une situation qui se déroule depuis la fin des années 1990 et qui ne fait qu'empirer quotidiennement.

“On est en plein sexisme, à tout point de vue”

Dans une interview au quotidien Le Progrès, la gérante de l'auto-école explique que l'ouverture de cette salle n'est “pas pour des raisons religieuses”, mais qu'en tant que commerçante elle répond à une demande de “beaucoup de femmes, de toutes origines confondues”. Comment considérez-vous ces arguments ?

Il y a un cynisme total de la responsable de l'auto-école, puisqu'elle a aussi répondu dans un média que la polémique lui faisait de la publicité. Il y a deux arguments qui me paraissent totalement délirants. D'une part, l'usurpation par le nom. Le maire de Villefranche, qui a bien réagi, devrait aller plus loin. Quand on voit "auto-école de la mairie", pour passer des examens d'État, on a l'impression que c'est l'auto-école officielle. Il peut faire un recours pour l'usurpation du terme de mairie et cette auto-école pourrait s'appeler celle de la "place de la mairie", ce n'est déjà plus du tout la même chose. Depuis 2004, je parle de la manipulation politique des islamistes, car toutes ces questions sont des questions politiques.

Pour l'autre point, je me dis que les hommes pourraient quand même aussi se plaindre et dire que ce n'est pas acceptable. Pourquoi ces femmes auraient-elles ces cours séparés ? Dans cet apartheid sexué ? Parce que les hommes seraient dissipés et ne permettraient pas d'écouter ? Là aussi, c'est du racisme anti-hommes, on est en plein sexisme, à tout point de vue. Le point extrêmement grave aussi, sur lequel il faut alerter, c'est que du moment où il y a une auto-école qui va recevoir de manière séparée les femmes et les hommes, les femmes de confession ou de filiation musulmanes qui n'iraient pas dans cette auto-école pourraient être qualifiées de "non pures", de "traîtres", etc.

“Nous sommes dans l’inversion totale du féminisme et de ses combats”

Ne faut-il pas privilégier la liberté individuelle des femmes à choisir d'étudier dans une salle mixte ou non mixte ?

Aujourd'hui, nous sommes dans l'inversion totale du féminisme et des combats féministes. L'objectif, c'est l'égalité en droit, devoir et dignité des femmes et des hommes. Il n'y a pas de droits spécifiques pour les femmes, ni de droits spécifiques pour les hommes. Une fois qu'on vit dans la cité, qu'on est en démocratie, on est un sujet de droit. On n'a pas à dire, parce qu'on est de telle origine, de tel sexe ou de telle religion qu'on peut avoir des droits différents. C'est là le fondement. Tous ces combats menés par les générations féministes qui nous ont précédés, c'est ceci : on est sur l'égalité. Là, ce n'est pas du tout le cas. On est sur une séparation, un apartheid sexué entre les femmes et les hommes, et une séparation entre les femmes avec les bonnes musulmanes, les pudiques, les pures, etc. Et les autres. On n'est plus du tout dans l'universalisme, dans le fait que toutes les personnes, quelles que soient leur origine, leur ethnie, leur couleur, leur sexe ou leur religion ont les mêmes droits.

Le vrai racisme, c'est de ne pas reconnaître aux femmes de confession ou de filiation musulmane d'avoir accès au droit universel. On est dans ce qu'on appelle ce relativisme culturel où, suivant le lieu où l'on est né ou les origines des parents, on n'aurait pas les mêmes droits, on n'aurait pas accès aux Lumières et aux droits pour lesquels nous nous sommes battus et pour lesquels des associations comme la nôtre, Regards de femmes, continuons à nous battre.

Ces combats ne sont pas du tout anecdotiques, ils sont fondamentaux. Chaque fois qu'il est question d'empêcher ou de séparer les femmes des hommes et les femmes entre elles, on est sur de la régression, on n'est plus sur l'égalité.

* Michèle Vianès est la fondatrice et la présidente de l’ONG féministe et laïque Regards de femmes à Lyon. En 2004, elle a publié Les Islamistes en manœuvre – Silence on manipule ! (éd. Stock) et Un voile sur la République (éd. Hors Commerce).

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