En attendant la sortie du film, renvoyée dans les cordes pour cause de covid-19, a paru en fin d’année la BO qui l’accompagne. Sur laquelle, le plus que touche-à-tout Alexandre Astier continue de mettre en évidence son talent premier : la musique, composée et orchestrée par lui sur un disque forcément cinématographique et farci de références.
On a beau ne pas connaître de gens qui n’aiment pas Alexandre Astier – la moindre de ses rencontres Fnac provoquant attroupements et scènes d’hystérie dignes de l’apogée des Beatles –, la publication de la BO de Kaamelott – Premier Volet finit par produire comme un sentiment d’agacement à l’encontre du meilleur (Lyonnais) d’entre nous.
Agacement déjà passablement germé face à cette curiosité infinie et abondamment nourrie qui finit par le conduire à disserter sur les espaces infinis de l’univers et à peu près tous les sujets possibles avec une aisance assez désarçonnante, au point que ses efforts de vulgarisation en matière d’astronomie lui ont valu d’avoir un astéroïde à son nom – et qui sait, peut-être, un jour une pyramide.
Agacement surtout face à ce talent multitâche qui, depuis plus de 15 ans, entre deux spectacles sur Bach (Que ma joie demeure !) ou la vie extraterrestre (L’Exoconférence) montés comme des récréations, s’occupe de tout du sol au plafond dans la maison Kaamelott : rôle principal, écriture, direction d’acteurs, réalisation, montage, musique et enrichissement de la franchise sur tous supports (livres, BD...) sans même donner l’impression de transpirer. Quand on pense que la chose est née d’un court métrage, Dies Irae, tourné dans les environs de Lyon et est en passe de se poursuivre sur grand écran, sous la forme d’une saga d’héroïc fantasy à grand spectacle, on aurait presque comme une impression de vertige.
Ce talent multitâche s’occupe de tout dans la maison Kaamelott : rôle principal, écriture, direction d’acteurs, réalisation, montage, musique…
Au pied du cor
Et voilà qu’avec la parution de cette BO, on se prend de plein fouet la virtuosité du bonhomme sur le plan musical. On avait beau savoir qu’Astier composait systématiquement la musique de ses œuvres télévisées et théâtrales, qu’il était diplômé du conservatoire et de l’American School of Modern Music ; on avait beau l’avoir vu ébaubir son monde il y a quelques années sur une vidéo en split screen où il reprenait le générique de Starsky & Hutch en jouant de tous les instruments, au nombre de sept, comme monsieur Tout-le-Monde feuilletterait Télé Poche pour se détendre après une grosse journée ; cette fois, c’est un gros morceau que livre le Lyonnais : un score de 55 minutes faisant bien plus qu’illustrer ce film tant attendu dont la sortie initiale à l’automne a été repoussée aux calendes celtes et que, de fait, il nous livre pour faire patienter le fan au bout de sa vie.
Cette partition, l’auteur-musicien, comme il aime à se définir, Astier l’a écrite et composée, orchestrée avant d’en confier la direction au chef teuton Frank Strobel – spécialiste de l’exercice ciné qui compare l’omnipotence d’Astier à celle de Chaplin. Le tout enregistré quasiment à la maison avec rien moins que l’Orchestre national de Lyon et une édition dans la pléiade classico : Deutsche Grammophon.
En parlant de maison, la BO nous y ramène d’ailleurs dès les premières secondes : en plein milieu de Kaamelott. Avec pour donner l’alerte en même temps qu’ils sonnent le rassemblement et saluent les bannières, ces trois coups de cor parfaitement iconiques que les amateurs de la série initiale se sont pris des milliers de fois dans les esgourdes à raison de plusieurs fois par épisode. C’est d’ailleurs une photo de Fred Mortagne, stylisée par la directrice artistique Die Frau, visant les profondeurs du pavillon d’un cor dont les vibrations produiraient comme des encyclies à la surface de l’eau qui illustre la pochette de l’objet – dont la version collector comprend, entre autres, un documentaire audio sur vinyle transparent et une partition manuscrite d’Alexandre Astier.
Post moderne altitude
Pour le reste, on le sait : au départ Kaamelott est une approche post moderne du mythe d’Arthur truffée de références et d’embardées, de jeux avec le mythe, de déformations – et si Perceval était un imbécile ? –, d’anachronismes saupoudrées de lyonnaiseries, sans jamais rien abandonner de la noblesse et de l’ambition de son sujet. Eh bien, ici, c’est la même chose : une BO qui annonce les différents mouvements du film et même une partie de son intrigue – certains petits malins l’ont même décortiquée pour y déloger quelques spoilers, ignorant les pièges posés sciemment par le réalisateur – mais sur laquelle il joue comme un enfant (du genre érudit) avec tout ce que l’histoire de la BO de films compte de figures majeures et de classiques.
La plus évidente est sans doute John Williams – huit décennies de musiques pour l’écran, de Daddy-O en 1958 au prochain Indiana Jones, avec en point d’orgue, le monument Star Wars – puisque Alexandre Astier, toujours prompt à rendre à César ce qui lui appartient, reconnaît l’influence et l’admiration qu’il voue à ce maître de l’emphase dramatico-symphonique.
Ailleurs, les thèmes courts (guère plus de deux minutes maximum) multiplient clins d’œil appuyés au James Bond de Norman/Barry (Une Attaque Burgonde) ou à La Folie des grandeurs, référence d’Astier dont la musique était signée Polnareff (La Nouvelle Table Ronde), cousinages avec d’autres grands scorers (le Howard Shore du Seigneur des Anneaux sur Désenchevêtrement et Excalibur), hommages à la grande symphonie française (Ravel, pas moins) comme à l’opéra italien (La Force du destin de Verdi), et tout un tas d’instruments traditionnels venus d’ailleurs (cajon, dholak, hulusi, guembri...) joués par... Astier, qui d’autre ?
À mesure que se déploient les morceaux sourd l’impression qu’on a affaire là à un peu plus qu’un amuse-gueule et que, dans le film à venir, la musique, pourtant à sa juste place (la BO fait moins d’une heure), mène le jeu – raison pour laquelle l’accumulation de ces fragments musicaux semble fonctionner comme un synopsis (trompeur) déroulé sous nos yeux. Et que son enregistrement et le montage final du long métrage, Astier le concède, ont avancé de concert. C’est le cas de le dire.
Kaamelott – Premier Volet – BO du film, Alexandre Astier, Orchestre national de Lyon (dir. Frank Strobel), Deutsche Grammophon, CD (15,99 €), CD + Vinyles (26,99 €), Coffret collector (89,99 €).