INTERVIEW - Les inspecteurs du travail sont mécontents. 30% d'entre eux ont occupé les locaux de la Direction du travail hier soir. Cet après midi, ils distribueront des tracts place Bellecour pour protester contre l'instrumentalisation de leurs missions, dans le cadre de la chasse aux sans-papiers. Le point sur un mouvement à multiples facettes avec Isabelle Bouayad, responsable de la section syndicale du SNUTEF-FSU et inspectrice du travail à Villeurbanne.
Lyon capitale : Vous avez occupé les locaux de la direction départementale du travail hier soir, c'est la seconde fois en deux semaines que vous menez ce type d'action, combien étiez-vous ?
Isabelle Bouayad : A partir de 19 heures, une trentaine de salariés de la direction du travail étaient présents dans les locaux de la Division du Travail à Villeurbanne. Un peu moins que la semaine dernière, où cinquante personnes s'étaient mobilisées. A noter que le mouvement n'est pas spécifique aux inspecteurs du travail, il mobilise l'ensemble des salariés, 20 à 30% des effectifs environ.
Vous protestez contre la baisse des effectifs, quels postes sont supprimés précisément ?
Notre mouvement est en lien avec le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Chez nous, cela se traduit par la disparition des postes de secrétaires, c'est la seule catégorie de salariés visée. Au motif que les nouvelles technologies nous permettent de compenser, celles qui partent à la retraite ne sont pas remplacées. On va vers la destruction de ce métier.
Quelles sont les conséquences de la disparition de ces postes pour les salariés qui restent ?
Cela créé un déséquilibre dans l'organisation des tâches. Car parallèlement à ces suppressions de postes, on assiste à un développement important du nombre d'entreprises dans le département et à une augmentation démographique des effectifs salariés depuis quinze ans dans le Rhône. On créé des postes supplémentaires d'inspecteurs pour répondre à la demande, que l'on compense par un nombre d'effectifs réduits à la direction du travail. Or nous estimons que les fonctions de secrétariat et d'assistance sont importantes puisque les inspecteurs sont des salariés itinérants, ils sont sans arrêt sur les routes et donc, sans ses fonctions de secrétariat, il n'y a plus d'accueil physique et téléphonique à l'Inspection. Le ministère demande aussi aux inspecteurs plus de tâches de saisi informatique. Des menaces existent sur la section de Villefranche-sur-Saône où deux secrétaires vont partir à la retraite en 2010 et ne seront certainement pas remplacées.
Vous subissez aussi la fusion des trois services d'inspection du travail en un seul (1), réforme nationale effective au 1er janvier 2010 dans le Rhône. Quelles en sont les conséquences ?
On attend justement la publication d'un arrêté ces jours-ci (entre le 5 et le 10 mars) qui précisera les modalités de la fusion dans le Rhône. On sait que l'une des sections départementale doit disparaître. Au début, on nous annonçait 27 sections, il n'y en aura finalement que 26. Donc, même si toutes les entreprises du département restent couvertes, la fusion se traduit par une réduction des moyens : un poste d'inspecteur, deux de contrôleurs et deux de secrétaires vont être supprimés.
Vous protestez aussi contre l'instrumentalisation de vos services dans le cadre de la chasse aux sans-papiers. Une distribution de tracts est prévu à 17 heures place Bellecour. Quel est le problème avec la lutte contre le travail illégal ?
Sur les 26 sections du Rhône, l'une d'entre elles est consacrée exclusivement à la lutte contre le travail illégal. Un service qui travaille en collaboration avec les forces de l'ordre, au sein du Comité opérationnel de lutte contre le travail illégal (COLTI). Or, on assiste selon nous aujourd'hui a un certain dévoiement de la mission de cette section spécialisée. Car le travail illégal est multiforme, il représente une multiplicité d'infractions qui vont du recouvrement de cotisations Urssaf, aux fraudes dont certaines peuvent relever de la police. Or aujourd'hui, on sur-spécialise, on instrumentalise notre section pour répondre au besoins du COLTI qui rassemble les policiers, l'Urssaf, les douanes et les gendarmes notamment. Un très gros investissement est fait de la part de des policiers sur les reconduites à la frontière. Nous sommes utilisés dans ce sens, instrumentalisés pour détecter les sans-papiers sur leurs lieux de travail et les conduire en Centre de rétention en vue d'une expulsion. Mais dans le même temps, moins de moyens sont affectés pour sanctionner les employeurs directs des sans papiers et surtout les donneurs d'ordre des employeurs. C'est cette orientation de nos missions qui nous gênent. Les inspecteurs du travail sont là pour faire respecter les droits des travailleurs, qui n'est jamais, selon nous, un délinquant. Tous les travailleurs, qu'ils soient sans-papiers ou pas, ont les même droits en France. Les policiers, eux, inversent cette relation. Ils placent les salariés sans-papiers en centre de rétention alors que leurs employeurs, qui leurs doivent tous les arriérés dû à leur statut dont ils profitent, ne sont pas inquiétés.
(1) Dans le cadre de la mise en œuvre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), votée en 2008, les trois services d'inspection du travail ont fusionné en un seul au 1er janvier 2010. Auparavant, les inspecteurs étaient affectés à trois ministères différents : le ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité pour la majorité d'entre eux, le ministère de l'Agriculture pour les entreprises relevant de la mutualité sociale agricole et enfin, le ministère chargé des transports. Les trois inspections du travail, fusionnées, seront intégrées au sein des Unités Territoriales (actuelles DDTEFP) des futures DIRECCTE qui doivent voir le jour en 2010.
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