À Lyon, mais aussi dans la région, la semaine du 21 au 27 mai sera littéraire. Les Assises internationales du roman 2018 lancent en effet lundi leurs débats, conférences, rencontres et autres événements décortiquant la littérature actuelle, d’ici et d’ailleurs. Zoom sur quelques grands thèmes de la manifestation.
Un lancement so british…
C’est l’écrivain britannique Ian McEwan qui ouvre le bal des AIR 2018, ce lundi 21 mai, par un grand entretien avec Vanessa Guignery. Un honneur mérité : Ian McEwan, bientôt septuagénaire (il est né en 1949), est une figure incontournable de la littérature outre-Manche. Parmi la vingtaine d’ouvrages nés de sa plume, son livre le plus abouti, Expiation, mêle habilement l’histoire d’une romancière qui écrit comment, enfant, elle a accusé de viol l’amant de sa sœur. Deux histoires tragiques s’incarnent alors : celle d’un bonheur brisé et celle d’une innocence perdue. Autre histoire tragique, Sur la plage de Chesil. Dans ce roman aussi intense que bref, McEwan dépeint deux jeunes mariés qui s’aperçoivent, lors de leur nuit de noces sur une grève de la côte du Dorset, de l’échec de leur relation balbutiante. Utilisant l’énigme ou des intrigues proches du roman policier, McEwan a en effet une prédilection pour les forces de destruction, venues du passé ou de nouveaux aléas, qui s’opposent à l’épanouissement des existences humaines. On ne s’étonnera donc pas de le voir réécrire Hamlet sous la forme d’une comédie teintée d’humour noir dans son dernier ouvrage, Dans une coque de noix. Ian McEwan est membre de la Royal Society of Literature, qui est un peu l’équivalent de notre Académie française. Ce n’est pas – encore ? – le cas de Jonathan Coe, plus jeune d’une douzaine d’années (il est né en 1961). Son Testament à l’anglaise a pourtant connu un succès international ; avec ses personnages solidement ancrés dans la réalité sociale des années Thatcher, il y bâtit un récit à plusieurs voix, toutes passionnantes. Il retrouve d’ailleurs ses héros dans le diptyque Bienvenue au club / Le Cercle fermé, qui lui permet de boucler une ample saga romanesque, sorte de pendant littéraire aux films de Ken Loach. Son dernier roman, Numéro 11, est aussi une satire sociale et politique. Ce qui en fait l’invité idéal pour le débat sur La comédie : entre humour et vérité” vendredi 25 mai. Ian McEwan et Jonathan Coe, avec Martin Amis et Will Self (deux autres brillants romanciers sujets de Sa Majesté, déjà croisés lors de précédentes éditions des Assises), prouvent que le roman anglais possède un art du récit que l’on rencontre rarement chez leurs homologues français, peut-être parce qu’ils sont moins soucieux de questions formelles, et moins tournés vers leur nombril.
On continue au plus près du réel
Le Livre que je ne voulais pas écrire, tel est le titre du dernier ouvrage d’Erwan Larher. Cet écrivain (né en 1970) s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il est l’un des spectateurs du concert interrompu d’Eagles of Death Metal au Bataclan, ce 13 novembre 2015 tristement resté dans toutes les mémoires. De ces instants atroces dont il a réchappé de justesse, avec une blessure qui aurait pu lui coûter la vie, une longue hospitalisation et des souvenirs terribles, il a tiré un livre. Qui n’est pas seulement un témoignage de ce qu’il a vécu, mais aussi un singulier objet littéraire évoquant bien d’autres sujets – sa passion pour le rock, ses amitiés, ses amours – et intégrant de courts textes de proches qui expriment leur inquiétude avant et pendant les attentats mais aussi après. Quelle société après les attentats ? est d’ailleurs la question à laquelle il tentera de répondre mardi 22 mai avec le Norvégien Eivind Hofstad Evjemo et l’auteure allemande Husch Josten. Alice Zeniter fait partie des amis d’Erwan Larher dont il a utilisé de courts textes. Elle aussi s’est confrontée à un réel douloureux qu’elle a cerné au plus près. C’est l’objet d’un des plus bouleversants romans de la dernière rentrée littéraire, L’Art de perdre. Dans ce récit – inspiré par sa propre famille – de la vie d’immigrés algériens, trois voix se font entendre : celles du grand-père qui doit quitter l’Algérie ensanglantée par la guerre civile, de son fils qui s’efforce de rentrer dans le rang après une jeunesse révoltée et de sa petite-fille qui tente de trouver sa propre identité. Nul doute qu’Alice Zeniter aura son mot à dire dans le colloque consacré à La saga familiale lundi 21 mai, avec l’Américaine Jane Smiley et l’Égyptien Nael Eltoukhy.
Enquête de littérature en milieu de semaine
“L’enquête comme force littéraire”, c’était un terme taillé pour Philippe Jaenada, lui qui depuis trois livres nourrit sa verve de prosateur de certains des faits-divers les plus emblématiques de ces cinquante dernières années et des figures qui les ont incarnés : le braqueur Bruno Sulak (Sulak), Pauline Dubuisson (La Petite Femelle) et le romancier Georges Arnaud dans son dernier roman, La Serpe, dont il retrace le parcours voire rouvre les enquêtes. Très différents de la matière primitive de ses sept premiers romans, à savoir sa vie même, ces cold cases biographiques ne fonctionnent pas différemment d’un point de vue littéraire pour l’auteur que lorsqu’il racontait sa rencontre avec sa femme (Néfertiti dans un champ de canne à sucre), la grossesse de cette dernière (Le Cosmonaute) ou la manière dont la famille Jaenada a échappé à un incendie (Plage de Manaccora, 16h30). L’auteur s’y met d’ailleurs en scène avec délice. Sur ce thème, l’écrivain français échangera mercredi 23 mai avec le Colombien Juan Gabriel Vásquez, auteur d’un énigmatique roman sur les fantômes assassinés du pouvoir colombien (Le Corps des ruines) né d’une mésaventure qui l’a touché personnellement, et Justine Augier qui avec De l’ardeur est partie sur les traces de l’avocate syrienne militante des droits de l’homme Razan Zaitouneh, enlevée en 2013, dont l’engagement faisait écho à ses propres questionnements. Trois auteurs qui montrent qu’à travers l’enquête se dessine, derrière la recherche de la vérité intrinsèque, celle de la littérature en construction.
Et enfin un week-end pour prendre langue…
Parmi les nouveautés introduites aux précédentes Assises, il y avait un week-end consacré à mettre la langue française dans tous ses états, à l’examiner d’un point de vue technique. Sans pour autant négliger la force émotionnelle véhiculée par la syntaxe, le choix des mots utilisés. Fort de son succès, ce “week-end pour fêter la langue française” est reconduit cette année. Parmi les colloques proposés samedi 26 et dimanche 27 mai, on note un “Éloge du dictionnaire”, parfaite illustration de la thématique du week-end. Il sera animé par deux grands linguistes : le professeur de lexicologie Jean Pruvost et le romancier argentin Alberto Manguel, qui dirige la Bibliothèque nationale de Buenos Aires. Étudier notre langue, c’est aussi voir comment elle se porte hors de notre territoire, dans les anciennes colonies françaises par exemple. Ce sera l’objet de la rencontre intitulée “Perspectives francophones” ; on y relève la présence de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016 avec le vénéneux Chanson douce. Elle a publié récemment un livre passionnant, Sexe et Mensonges – La vie sexuelle au Maroc. Nommée représentante personnelle d’Emmanuel Macron au Conseil permanent de la Francophonie, elle dialoguera avec les écrivains Kossi Efoui, venu du Togo, et Mohamed Mbougar Sarr, du Sénégal. Enfin, à défaut d’être exhaustif sur cette fin de semaine linguistique, on mentionnera l’hommage à Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L, disparu en janvier. L’auteure et comédienne Violaine Schwartz y lira des textes de Marguerite Duras édités par P.O.L.
Assises internationales du roman – Du 21 au 27 mai aux Subsistances (et autres lieux en Auvergne-Rhône-Alpes)