La mairie a annulé la réservation de location par le festival Nuit de la philosophie de la salle municipale Paul Garcin. Crédits : Capture d’écran Google maps

"Nuit de la philo" à Lyon : privée d'une salle, l'organisation évoque des "rumeurs calomnieuses"

La mairie a officiellement annulé mercredi la réservation de la salle municipale Garcin louée par le festival de la "Nuit de la philosophie" après l'alerte de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires sur la participation de Nouvelle acropole.

L'affaire a pris une ampleur qu'Adeline, coordinatrice de l'organisation de la Nuit de la philosophie à Lyon, n'imaginait pas. "Je ne comprends pas la raison de la tempête médiatique dont fait l'objet ce festival" assure-t-elle. À l'origine de ladite "tempête", un communiqué de presse et un tweet publiés par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sur son site le 10 novembre, alertant sur la tenue dans plusieurs villes de France (et notamment à Lyon) des "Nuits de la philosophies" du 15 au 19 novembre. Dans le viseur de l'organisme étatique, le rôle que tient dans l'événement Nouvelle acropole, une association faisant l'objet d'une vigilance de la Miviludes pour dérives sectaires – et dans laquelle Adeline, membre actif, dispense des formations.

À la suite de cet avertissement de la Miviludes, la ville de Lyon a assuré samedi 12 novembre à nos confrères du Progrès que la réservation de la salle municipale louée par la Nuit de la philosophie pour la soirée de clôture de l'événement, vendredi 19 novembre, était en cours d'annulation. Une information qui n'avait pas été communiquée à l'organisation.  "Nous l'avons appris samedi par voie de presse", assure la présidente de Nouvelle acropole Lyon Daniela Molina, "puis nous n'avons pas réussi à joindre la mairie". Jusqu'à ce mercredi en fin de matinée, où un courrier recommandé leur a été adressé "pour annuler la location de la salle Garcin", indique Adeline. Pour rappel, la décision survient quelques jours après la publication d'articles sur les liens entre la NEF, banque éthique à laquelle a recours la ville de Lyon, et la mouvance anthroposophique.

Entre temps, les organisateurs de la Nuit de la philosophie ont prévu une solution de repli, en transférant la soirée en question dans les locaux de Nouvelle acropole, à savoir l'Espace Vallon, dans le 2e arrondissement.

Nouvelle acropole à l'initiative du festival

Né en 2016 en Suisse, la première édition française de la Nuit de la philosophie s'est tenue en 2021 à Lyon. Le rôle d'organisateur principal qu'y joue Nouvelle acropole (au moins à Lyon) n'est pas contesté par l'association, sans être clairement affiché sur la communication du festival – l'association s'y présentant au même titre que d'autres organisations partenaires. Daniela Molina admet que son association est le principal instigateur de l'événement, tout en assurant que "chacun des partenaires est complètement indépendant dans l'organisation de ses activités, et libre de fédérer d'autres partenaires". Et d'insister sur le fait que l'association n'aurait joué qu'un rôle de fédérateur de différentes propositions, auxquels étaient libres de se greffer toute organisation, sans contrôle de la part de Nouvelle acropole.

Parmi les autres partenaires associés au festival, l'association Stoa Gallica, Philométis, les Cafés-Philos ou encore la compagnie de théâtre des Art-penteurs. Plus surprenant, l'édition 2021 faisait aussi participer Symbolescence, qui se présente sur Internet comme une boutique de vente de produits ésotériques à Lyon. Interrogée sur sa place dans un festival de philosophie, Adeline balaie, assurant que ce partenaire est absent de la programmation cette année et que c'est en tant que lieu culturel qu'il y était présent en 2021.  Sur la page Facebook de Symbolescence, sont organisés par exemple une "séance de libération karmique" ou un séminaire baptisé "réincarnation, karma et résurrection" avec un "thérapeute essénien" – les Esséniens étant une mouvance spirituelle également pointée par la Miviludes. Mais pour Daniela Molina, "de même qu'on ne peut pas accuser de quoi que ce soit les partenaires parce qu'ils sont dans le même festival que Nouvelle acropole, nous ne prenons pas de responsabilité par rapport à leur présence".

Concrètement, l'édition 2022 du festival propose douze événements à Lyon : des conférences sur l'allégorie de la caverne, la philosophe Simone Weil ou encore Hector ou l'héroïsme d'Homère, un atelier de "biodanza", – "un système de développement humain qui intègre la dimension philosophique de notre existence" – des "ateliers de philo pratique", une joute philosophique et une lecture-spectacle sur Rousseau.

La nature du mouvement en question

En dehors du festival auquel elle prend une part active, Nouvelle acropole est une association fondée en Argentine en 1957 et implantée en France depuis 1973, qui se définit comme "un réseau mondial qui propose des formations de soi et des projets pour faciliter la transition vers un monde nouveau et meilleur". Chacune de ses antennes dispense des "ateliers des philosophie pratique" : à Lyon, elle compte une cinquantaine de membres actifs et une quinzaine de personnes qui suivent le cycle de formation initiale de 5 mois. A l'issue duquel "les participants décident de devenir, ou non, membre actif", explique Daniela Molina.

Si la Miviludes s'inquiète, de son côté, c'est que Nouvelle Acropole aurait fait l'objet de 27 saisines depuis 2020.  Sans en préciser le contenu, la Mission évoque que celles-ci ont trait à "une organisation extrêmement pyramidale, des exigences économiques et humaines disproportionnées, et plusieurs situations d'emprise entretenues sur des personnes fragiles". Une description dans laquelle Daniela Molina assure ne pas se reconnaître, évoquant une hiérarchie au sein du réseau "fondée sur l'entraide", "absolument pas autoritaire".

"Je comprends que la nature de notre mouvement ne soit pas clair pour tout le monde car il est très original. La philosophie est notre colonne vertébrale, mais elle est abordée de façon pratique. Le but est de s'inspirer de toutes les philosophies, de toutes les cultures et de toutes les époques pour mieux vivre ensemble, mieux vivre notre vie, et ce à travers d'activités mises en relation avec la philosophie enseignée". De nombreuses activités culturelles et du volontariat "humanitaire et écologique" sont ainsi proposés, et des weekends de formation sont organisés, auxquels les membres participent d'abord en qualité de bénévoles, puis y reçoivent des formation. "Mais aucune de ces activités n'est obligatoire" assure Mme Molina.

Citée dans les "tendances des dérives sectaires"

La présidente se dit par ailleurs "très surprise de la façon de procéder de la Miviludes, d'envoyer un tweet en parlant de saisines". "Je trouve que ce n'est pas un moyen d'expression acceptable pour un organisme du gouvernement. [...]  Mais nous restons ouverts à toute forme de critique constructive [...] J'aimerais avoir le contenu des saisines pour savoir ce que l'on nous reproche et pouvoir s'améliorer." Et d'assurer que la Mission n'a jamais contacté Nouvelle acropole à ce sujet. De son côté, la Miviludes refuse d'en dire plus et de communiquer des données régionales qui permettraient de savoir si l'antenne lyonnaise est concernée par les saisines.

Contacté par Lyon Capitale, le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (auquel est rattaché la Miviludes) ajoute par réponse écrite au communiqué de la Miviludes que "plusieurs témoignages font état [...] de techniques de manipulation, de processus de rupture avec les proches ne partageant pas l'idéologie du groupe, d'un désengagement professionnel et d'un prosélytisme agressif. Des personnalités fragiles ont été ciblées et rendues dépendantes dans l'objectif de profiter de leurs ressources (services, argent, disponibilité, etc.)."  Le dernier rapport de la Miviludes, publié début novembre, ne mentionne toutefois par l'organisation – "la liste n'est pas exhaustive", répond le CIPDR.

Nouvelle acropole a en revanche été citée début 2021 "par la ministre déléguée de l'époque Marlène Schiappa à l'occasion du renforcement de moyens de la Miviludes, en se basant sur l’état des lieux d'un rapport sur les nouvelles tendances des dérives sectaires".

Des "rumeurs calomnieuses et infondées"

Pour Adeline,  Nouvelle acropole est ciblée par des "rumeurs calomnieuses et infondées" et assure que cette dernière promeut des idées "à l'inverse des idées de l'extrême-droite et du totalitarisme" et "invite à l'ouverture d'esprit". Une réponse à la critique de la Miviludes qui avance que "des pratiques inspirées du fascisme et des croyances ésotériques seraient aussi mises en avant" au sein du mouvement. "L'histoire de l'humanité serait, par exemple, divisée en cinq étapes clefs, l'ultime étant l'avènement de la "race blanche". Ces notions de race et de niveaux spirituels de la Nouvelle Acropole seraient dissimulés derrière la rhétorique humaniste et laïque du mouvement."

Niant fermement que de telles idées aient leur place dans le mouvement, Daniela Molina explique la méfiance par le fait que Nouvelle acropole "aborde des philosophies orientales". "Il y a en Occident une méconnaissance vis-à-vis de ces philosophies moins rationnelles, plus fondées sur l'intuition et la pratique". 

"Aujourd'hui, tout le monde est critiqué de toute part, tranche quant à elle Adeline. Il faut s'interroger sur les raisons, c'est très étrange..." ajoute-t-elle sans développer. À la question de savoir si Nouvelle acropole compte faire appel à la justice pour répondre à ce qu'elle qualifie de calomnieux, la jeune femme assure que les avocats de l'association "travaillent sur le sujet".

À lire aussi : Enquête : les liens troubles de la banque préférée des écologistes avec une "multinationale des dérives sectaires"

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