Le CSA a pris une décision historique jeudi en retirant à Numéro 23 son autorisation d'émettre, empêchant ainsi une opération jugée "spéculative" et "frauduleuse" sur le dos d'une fréquence publique. Mais ceux qui ont monté l'opération n'entendent pas renoncer à la mener à bout…
"Le Conseil a considéré qu’une telle démarche était constitutive d’un abus de droit entaché de fraude, en contradiction avec la finalité poursuivie par le législateur". Dans son communiqué du 14 octobre, le CSA n'hésite pas à utiliser le terme de "fraude" pour justifier sa décision historique de retirer à la chaîne Numéro 23 son autorisation d'émettre. Sur France Inter ce matin, le président du CSA assume "ces termes qui ont pu frapper mais qui correspondent selon nous à la réalité juridique, et aussi à la consonance morale de cette affaire, à savoir qu'il y a eu un abus de droit empreint d'une intention frauduleuse".
Il faut dire que les sages ont été particulièrement courroucés de découvrir qu'on leur avait caché un pacte d'actionnaires, contracté quelques mois après l'autorisation d'émettre, qui non seulement faisait entrer un actionnaire russe - en contradiction avec la loi sur l'audiovisuel - mais prévoyait en outre une revente rapide de la chaîne alors que son patron, Pascal Houzelot, clamait dans le même temps et à plusieurs reprises, y compris devant le CSA, qu'il n'avait en rien l'intention de vendre la chaîne pour faire des plus-values. "Revendre Numéro 23, on ne peut pas me faire ce procès" clamait-il ainsi sur LCI. Saisis pour valider la revente de la chaîne Numéro 23 à NextRadioTV (RMC, BFM…) contre la coquette somme de 88,3 millions d'euros, les sages ont donc décidé d'empêcher ce casse du siècle sur le dos d'une fréquence publique, en retirant simplement à Numéro 23 son autorisation d'émettre.
Alain Weill n'a pas renoncé à Numéro 23
Alors, c'en est bien fini du scandale Numéro 23 ? La chaîne qui devait "promouvoir la diversité" et qui s'est transformée en chaîne du tatouage et du maquillage, consacrant à cette thématique le tiers de sa grille en journée, comme s'en sont scandalisé les représentants de France Télévision devant le CSA lors de l'étude d'impact ?
Pas si sûr. Car le CSA a laissé une porte entre-ouverte pour un recours gracieux avant que sa décision ne soit effective au 30 juin 2016, si le patron de Numéro 23 Pascal Houzelot profite de ce délai pour "renoncer aux conditions du pacte d’actionnaires et de la cession qui ont conduit le Conseil à retirer l’autorisation." C'est dans cette brèche que l'acheteur, Alain Weill, patron du groupe NextRadioTV (BFM, RMC…) entend bien s'engouffrer. "J'ai la conviction que Numéro 23 ne s'arrêtera pas. Pascal Houzelot m'a confirmé qu'il se mettrait en conformité avec les souhaits du CSA avant le 30 juin" a-t-il ainsi confié aux Échos dès le mercredi soir. Alain Weill envisagerait en réalité de racheter les parts de l'actionnaire russe et de monter ainsi au capital de Numéro 23, qui intégrerait ainsi son groupe, lui-même en voie d'être absorbé par Altice, le groupe de Patrick Drahi (Numéricable, SFR, L'Express, Libération…).
Est-ce que le CSA pourrait se contenter d'un tel tour de passe-passe, pour revenir sur sa décision ? "Un fraudeur qui durant 4 ans n’a cessé de détourner la loi, de dissimuler la réalité du contrôle de sa chaîne au régulateur ainsi que l’origine des fonds et a par conséquent commis des fautes intentionnelles, constantes et aujourd’hui prouvées, ne saurait obtenir une sorte de passe-droit administratif à la repentance », rappelle Didier Maïsto, pdg de Ficudial Médias (Lyon Capitale, Sud Radio) dans un communiqué repris intégralement ci-dessous, avant de conclure : « les Français ne comprendraient pas qu’après cette décision historique, le CSA permette à Pascal Houzelot de revenir en catimini quelques mois plus tard par une porte dérobée, une fois l’émoi médiatique retombé ».
Le communiqué de presse de Fiducial Médias
Chaîne Numéro 23 : Bravo au CSA mais ATTENTION au tour de passe-passe !
Paris, le 16 octobre 2015 - Didier Maïsto, P-dg de Fiducial Médias (Sud Radio, Lyon Capitale), qui avait participé à l’appel à candidatures du 18 octobre 2011 pour les 6 chaînes de TNT (projet D-Facto, La Chaîne Documentaires et Débats), se félicite de la décision énergique du CSA sur l’abrogation de l’autorisation de Numéro 23.
Didier Maïsto avait fait paraître en juin 2015 un livre intitulé « La TNT un scandale d’État : Numéro 23, etc. » dans lequel il révélait les dessous de cette fraude généralisée, faisant intervenir le cabinet du président de la République de l’époque, les acteurs de l’affaire Bygmalion, ou encore un certain nombre de dirigeants de médias et du CAC 40.
Fraude sur l’appel à candidatures car nous connaissions le soir même du dépôt des projets les 6 chaînes qui avaient été désignées par l’Élysée et qui seront officiellement « élues » quelques semaines plus tard, après des simulacres d’auditions.
Fraude de la part du CSA – alors présidé par Michel Boyon - qui deux jours avant le dépôt officiel a obligé deux projets à fusionner : Urb TV, soutenu notamment par Yassine Belattar et Tvous la Diversité, devenue Numéro 23, brisant ainsi l’égalité des candidats devant la loi.
Fraude sur les engagements en matière de programmes – loin de promouvoir la diversité et de lutter contre les stéréotypes, la chaîne s’est bornée à diffuser des émissions américaines hyper bas de gamme, essentiellement consacrées au tatouage, au maquillage et au « surnaturel », qui lui ont valu rappels, mises en garde et mises en demeure.
Fraude sur le pacte d’actionnaires qui, outre avoir fait entrer un oligarque russe au capital -disposant d’un droit de veto en assemblée générale- visait, en toutes lettres, une cession de la chaîne sitôt le délai légal de deux ans et demi passé.
Fraude quant à la dissimulation de ce pacte au Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui a dû le réclamer 18 mois et ne l’a obtenu qu’une fois la vente au Groupe NextRadioTv conclue au printemps 2015, le groupe d’Alain Weill se revendant lui-même en cascade à Altice, le Groupe de Patrick Drahi.
Fraude enfin et abus de droit, en contradiction avec le principe de gratuité d’occupation du domaine public hertzien audiovisuel, qui est une garantie constitutionnelle et ne vise pas à l’enrichissement personnel du dirigeant de la personne morale titulaire de l’autorisation, en l’occurrence Pascal Houzelot.
Didier Maïsto félicite l’autorité administrative indépendante présidée par Olivier Schrameck, pour sa décision juste et courageuse. Il s’interroge toutefois sur la toute fin de la rédaction du communiqué du CSA, qui octroie un délai - le 30 juin 2016 - afin que Numéro 23 puisse « renoncer aux conditions du pacte d’actionnaires et de la cession qui ont conduit le Conseil à retirer l’autorisation ».
« Un fraudeur qui durant 4 ans n’a cessé de détourner la loi, de dissimuler la réalité du contrôle de sa chaîne au régulateur ainsi que l’origine des fonds et a par conséquent commis des fautes intentionnelles, constantes et aujourd’hui prouvées, ne saurait obtenir une sorte de passe-droit administratif à la repentance », rappelle Didier Maïsto, pour qui « les Français ne comprendraient pas qu’après cette décision historique, le CSA permette à Pascal Houzelot de revenir en catimini quelques mois plus tard par une porte dérobée, une fois l’émoi médiatique retombé ».