Après le triomphe d’Anatomie d’une Chute, Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, co-producteur du film, entend bien continuer à consolider son modèle économique et à poursuivre ses ambitions au-delà du cinéma.
Le 10 mars dernier à Los Angeles, la réalisatrice Justine Triet recevait l’Oscar du meilleur scénario original avec son compagnon Arthur Harari, pour son quatrième long-métrage Anatomie d’une Chute. L’aboutissement d’une course folle pour la Française qui avait débuté à Cannes en mai 2023 lorsqu’elle avait remporté la Palme d’Or. C’est une première pour une réalisatrice française (un Oscar, un Bafta, deux Golden Globes, une Palme d’Or et six César), mais une première aussi pour Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma, co-producteur du film à hauteur de 270 000 euros.
Lire aussi : "Anatomie d'une chute", la première palme d'or pour Auvergne-Rhône-Alpes cinéma
L’exception du modèle d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
Un statut de co-producteur qui fait figure d’exception dans le reste de l’hexagone. Créé en 1991 par le metteur en scène et comédien Roger Planchon, détenu par la Région, la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes, BPI France Investissement et financé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes, Aura Cinéma s’inspire aujourd’hui du modèle américain, dans lequel les États financent des longs-métrages pour qu’ils soient tournés dans leur territoire. Chaque année, cinq millions d’euros sont destinés à la coproduction, dont 1,5 million d’euros est financé par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), c’est-à-dire l’État. "On arrive sûrement à 350 films financés depuis notre création, ce qui fait 10 à 15 films par an", explique Grégory Faes, directeur général d’Aura Cinéma, avant d’ajouter, "c'est Roger Planchon qui avait dit : dans le cinéma, si un film ne marche pas, il n'y a pas de recette, mais si un film marche, il y a des recettes. Autant donner une possibilité de retour sur investissement."
Ce qui a été le cas avec Anatomie d’une Chute. Installé en Isère et en Savoie, le tournage aurait rapporté 700 000 euros en dépenses directes sur la région et permet à Aura Cinéma, de par son statut de co-producteur, de toucher un pourcentage des recettes générées par son exploitation en salle dans le monde, mais également en VOD et SVOD.
Lire aussi : L’excellente santé d’Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
Un modèle qui fonctionne pour la région. Ma Vie de Courgette (2015), J’ai Perdu mon Corps (2019), La Nuit du 12 (2022) ou Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu (2023), tous ont été co-produits par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et ont été des succès critiques ou publics. "La région Auvergne-Rhône-Alpes, depuis plus de 30 ans, 35 ans, a une politique constante de soutien à la création, au cinéma, qui est à chaque fois consolidé, renforcé quand on est associé à un succès. Ça la justifie donc c'est important", continue-t-il.
L’animation, l’autre atout de la région
Et parmi les succès que compte Aura Cinéma, nombreux sont les films d’animation. "Ma Vie de Courgette ou Interdit aux Chiens et aux Italiens (2023), ont été de très beaux succès et ont été nommés aux César. On voit que sur l’animation ça fait un moment qu’on a un assez joli parcours de projets que l’on a pu soutenir", s’enthousiasme toujours Grégory Faes. Une réussite qui est le résultat de "politiques de long terme pour avoir des studios, des infrastructures. Ça ne peut pas se faire en un an. On a besoin d’un soutien bien régulier pour toutes les équipes", explique-t-il. Nécessitant plus de matériels, d’équipes et de temps, les films d’animation sont souvent plus chers à produire. À titre de comparaison, le montant moyen du financement d’un film d’animation est de 300 000 euros, contre 220 000 euros pour un film classique.
Une analyse que Stéphane Dalbec, directeur associé de Big Company, une société de production spécialisée dans l’animation, partage. "La grosse différence pour tout ce qui est animation, c'est qu'effectivement, on est sur des formats qui sont beaucoup plus longs à produire", confirme-t-il. En 2022, Big Company a notamment réalisé la série animée Hello Kitty Super Style, un processus de création de deux ans. "24 mois de production, ça représente pour nous 65 personnes. Alors, ce ne sont pas 65 personnes du premier au dernier jour, évidemment, mais c’est vrai que lorsque l’on ramène ça à la région, c'est forcément de la visibilité."
Si pour lui, le modèle de coproduction proposé par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma représente un "challenge", il devrait pourtant devenir la norme dans les prochaines années. "Ce qui se passe en Auvergne-Rhône-Alpes va être une réalité qui s'imposera. Aujourd’hui, on se rend compte que le financement public risque d'être de plus en plus compliqué dans les années à venir, de par la situation économique globale, explique-t-il, les régions vont être de moins en moins à même à verser de la pure subvention et je pense que ce système de coproduction permet de pouvoir en contrepartie récupérer une partie de sa mise de fonds, peut-être même toute sa mise de fond si on a un programme qui fonctionne vraiment très bien", conclut-il.
Les séries, le nouveau défi d'Aura Cinéma
Le modèle américain devrait donc se démocratiser en France, alors qu’après plus de trente ans d’existence, Aura Cinéma tire son premier bilan et se tourne vers l'avenir. "Notre mue, on l'a entamée après une discussion il y a quatre ou cinq ans avec Laurent Wauquiez (président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes). Au bout de trente ans, on voit que ça fonctionne bien, mais qu’est-ce qu’on peut faire différemment ? Ce n’était pas une question financière, mais plutôt de se remettre en question après autant de temps", précise Grégory Faes, avant d’ajouter, "on a repensé notre organisation, on a simplifié certaines choses pour se reconcentrer sur notre métier et ouvrir nos activités de coproduction à la série, à tout ce qui est unitaire, à la fiction télé et pour les plateformes, il y a deux, trois ans."
Un nouveau terrain de jeu ambitieux pour Aura Cinéma alors que de plus en plus de personnes se tournent vers le format sériel et les plateformes. "Ça nous permet d'avoir une approche un peu différente. Alors pas complètement différente, mais en tout cas d'apprécier un nouveau marché. Et de se poser la question aussi de comment se positionner en tant que co-producteur dans ces projets-là." Chaque année, deux millions d’euros sont investis par Aura Cinéma dans l’audiovisuel, dont les séries comme Anthracite pour Netflix, avec le rappeur Hatik, Kad Merad et Camille Lou.
En 2024, ce sont au total entre dix et quinze nouveaux projets qui devraient être financés par Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma. Pour autant, lorsqu’on lui évoque le futur, Grégory Faes préfère rester prudent. "On continue sur la lancée, on consolide ce qu’on a mis en place depuis deux, trois ans avec l’envie de faire plus, ou mieux, avec ce que l’on a. On ne demande pas plus, mais on essaie de continuer à progresser."
Ce déluge de récompenses semble disproportionné par rapport à l'originalité du scénario, le jeu des acteurs. Les précédents films de Triet le sont-ils aussi Solferino, Victoria.. ?