Jean-Charles Faivre-Pierret, haut fonctionnaire hospitalier, a fait un signalement au Parquet national financier pour dénoncer une possible prise illégale d'intérêts visant plusieurs membres de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes.
L'association de lutte contre la corruption Anticor vient de décerner le prix Ethique à Jean-Charles Faivre-Pierret "démis de ses fonctions après avoir alerté sa hiérarchie au sujet d’arrêtés d’ouvertures pour des cliniques privées qui concurrençaient l’hôpital dont il avait la gestion".
C'est un véritable pavé dans la mare qu'a lancé l'ancien directeur du centre hospitalier Saint-Cyr le 18 février 2023. Une note de dix-huit pages circonstanciées remise au Procureur de la République du parquet national financier (PNF), dans laquelle il dénonce de potentielles prises illégales d'intérêts à l'Agence régionale de santé (ARS) Auvergne-Rhône-Alpes. Contacté par Lyon Capitale, le PNF confirme, "de source judiciaire", la réception du signalement, tout en ne souhaitant pas communiquer à ce stade sur les suites qui y seront apportées. Ce signalement vise deux collaborateurs proches de Jean-Yves Grall, alors directeur de l'ARS, et subsidiairement Grall lui-même. On parle ici de délit de "pantouflage", qui désigne l’infraction de prise illégale d'intérêts commise par une personne ayant exercé une fonction publique, avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
Pour ce signalement, Jean-Charles Faivre-Pierret a été distingué, samedi 27 janvier dernier, d'un prix Ethique de l'association de lutte contre la corruption Anticor.
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Les numéros 1, 2 et 3 de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes mis en cause
Le signalement met en cause deux hauts cadres de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes, Céline Vigné, directrice de l'offre des soins et Serge Morais, directeur général adjoint, qui aurait accordé des autorisations d'activités à des établissements privés à caractère psychiatrique (Clinipsy, aujourd'hui Ykoé) dans lesquels ils sont allés travaillés, comme dirigeant et salarié, dans les jours qui ont suivi. Serge Morais devient même, quelques semaines après, co-propriétaire et actionnaire. "Il s'agit d'une prise illégale d'intérêts" confirme Etienne Tête, l'avocat de Jean-Charles Faivre-Pierret. En bref, toute l'enquête du PNF sera de déterminer si les deux hauts cadres de l'ARS, et subsidiairement son président Jean-Yves Grall, auraient enrichi des cliniques privées avec de l'argent public et se seraient enrichi à titre personnel en étant à la fois rémunérés et actionnaire des sociétés privées.
"Il y a pas quand même quelque chose qui cloche dans le système lyonnais, dans la régulation. De Lyon, ce que j'ai identifié dans mes fonctions, en creusant, on se rend compte que c'est un problème tentaculaire, alors que la santé et la psychiatrie en particulier, la santé mentale, vont si mal" et d'ajouter que le problème touche aussi l'Est et le Nord de la France et la région parisienne.
Un "lien direct" entre la suspension de l'ancien directeur et la dénonciation de pratiques à l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes ?
Cette dénonciation au PNF est une affaire croisée à la situation en cours à l'hôpital psychiatrique de Saint-Cyr, dans les monts d'Or où une nouvelle directrice vient de prendre ses fonctions, après treize mois d'administration provisoire décidée par l'Agence régionale de santé pour "manquement grave portant atteinte à la sécurité des patients” et suspension de Jean-Charles Faivre-Pierret. L'ARS, pour motiver sa décision, avait notamment fait état d'un nombre particulièrement élevé d'EIGS (événements indésirables graves) – événements inattendus au regard de l’état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent.
Selon des documents internes à l'hôpital que Lyon Capitale s’est procurés, il aurait été déclaré seulement 12 EIGS par le centre hospitalier Saint-Cyr pour la même année. Un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Lyon doit être jugé courant 2024.
Il n'en fallait pas plus à Jean-Charles Faivre-Pierret d'être persuadé de voir un "lien direct" entre sa suspension et son signalement au PNF des pratiques de certains membres haut placés de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes, ses premières alertes à l'ARS ayant été faites "par écrit dès 2020."
L'affaire est en cours devant le Parquet national financier.
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Lire la retranscription intégrale de l'entretien avec Jean-Charles Faivre-Pierret
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 Minutes Chrono. Nous accueillons aujourd'hui Jean-Charles Faivre-Pierret. Bonjour.
Bonjour.
Vous êtes haut fonctionnaire hospitalier, Jean-Charles Faivre-Pierret, lanceur d'alerte puisque samedi 27 janvier, l'association de lutte contre la corruption Antico vous a décerné son prix Ethique de lanceur d'alerte, dont on voit la Marianne devant vous, pour avoir dénoncé les pratiques de conflits d'intérêts à l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes. C'est bien ça.
C'est tout à fait ça. Effectivement, j'ai procédé effectivement à ces alertes et donc c'est la raison pour laquelle j'ai ce statut de lanceur d'alerte. J'ai d'abord saisi la hiérarchie administrative, la haute administration de santé et puis, faute de réponse, j'ai été amené à saisir la justice avec mon conseil qui est Me Etienne Tête (ancien adjoint à la Vile de Lyon, NdlR), avocat.
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Vous avez effectivement fait un signalement au parquet national financier. Alors quand même expliquez-nous, donc l'Agence régionale de santé, c'est finalement l'organisme qui gère la politique de santé dans la région. Expliquez-nous, venez-en au fait justement.
L'Agence régionale de santé a plusieurs fonctions. Elle a la fonction de réguler le système de santé et pour ce faire, cela passe par le schéma régional de santé et les autorisations sanitaires. Les autorisations sanitaires, c'est quoi ? C'est le directeur général de l'ARS qui donne une autorisation à un établissement de santé de pouvoir soigner et donc ouvrir et fonctionner. Et lorsque l'autorisation est donnée, cela donne droit à des remboursements par la Sécurité sociale et les mutuelles. Donc sans ce sésame, sans l'autorisation, il n'y a pas de clinique, il n'y a pas d'hôpital, il n'y a pas d'établissement de santé. C'est extrêmement important, c'est l'outil clé de la régulation du système de santé.
C'est là où vous faites vos signalements au parquet national financier parce que finalement le directeur de l'ARS, Jean-Yves Graal, à titre subsidiaire, on va dire, vous y reviendrez, et les numéro 2 et numéro 3, ont donné des autorisations et ensuite sont devenus eux-mêmes gérants et actionnaires. C'est ça ?
C'est exactement ça. Donc, à partir de l'année 2020 et par écrit, je saisis l'Agence régionale de santé en m'étonnant que des autorisations soient données pour créer de nouveaux établissements sanitaires de psychiatrie en région lyonnaise et également à Grenoble. En région lyonnaise, pourquoi ? Parce que je dirige un établissement psychiatrique à Lyon (à Saint-Cyr-au-mont-d'Or, NdlR) et je m'interroge sur le fait qu'une nouvelle clinique psychiatrique est en train d'ouvrir dans le sud de Lyon et pas une petite clinique, une clinique qui gère la prise en charge des enfants, des adolescents, des adultes avec plus de 100 lits, alors qu'il n'y a pas d'autorisation disponible. Je m'interroge. Cela me pose des problèmes dans ma gestion : des psychiatres commencent à dire "je vais partir", sont démarchés. C'est un vrai problème. Alors que la psychiatrie lyonnaise est en crise, que des centaines de lits ferment, que les prises en charge sont déficientes et tout le monde le sait à Lyon depuis un certain nombre d'années. Je pose la question. Personne ne me répond et je continue de la poser cette question.
Il y a d'abord, dans ce contexte-là compliqué, il y a ces autorisations sanitaires qui sont données, mais ça va plus loin. C'est que ces autorisations sont données par des hauts fonctionnaires de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes, qui eux-mêmes ont des liens...
Des liens d'intérêt, il ne faut pas hésiter à le dire, puisque, par exemple, je donne un exemple : le collaborateur de longue date depuis des dizaines d'années de Jean-Yves Graal, le numéro 2 de l'ARS, Serge Morais,quitte l'ARS en décembre 2021 pour, je vous le donne en mille, rejoindre comme dirigeant la société Ykoé, qui est une société de cliniques psychiatriques, qui n'existe que par les autorisations que Jean-Yves Graal et Serge Morais ont eux-mêmes donné. Ils ont signé l'autorisation pour ouvrir des établissements et surtout cette grosse clinique lyonnaise psychiatrique. Et je m'étonne encore une fois, je dis qu'il y a pas quand même quelque chose qui cloche dans le système lyonnais, dans la régulation. Vous êtes censé avoir à réguler un système avec une certaine loyauté, transparence.
Et puis, est-ce qu'il y a aussi le numéro 3 de l'Agence régionale de santé ?
Tout à fait, la numéro 3, Céline Vigné, qui était la directrice de l'offre de soins de l'ARS, a travaillé pour Clinipsy qui était l'ancien nom de Ykoé. On est quand même dans un montage juridique, dans une structuration des choses, qui sont faites pour que cela n'apparaisse pas. Donc le nom des sociétés change, les statuts changent régulièrement. Aujourd'hui, Ykoé, c'est 38 sociétés. Ykoé est en fait une holding et vous avez en-dessous toute une série de sociétés indépendantes qui sont, au final, l'établissement de santé.
Selon vous, en tout cas, avec ce signalement qui a été fait au Parquet national financier, on est dans de la prise illégale d'intérêts.
Voilà, le délit de pantouflage, c'est la prise illégale d'intérêts. On est en plein dans le conflit d'intérêts et je pense que c'est grave. Cela se passe à Lyon. Cela s'est passé à Lyon et à Grenoble. Mais ce système, telle une pieuvre, si vous voulez, aujourd'hui, c'est un problème national.
Ces pratiques là se retrouvent à l'échelle du pays ?
Tout à fait, dans l'Est de la France, dans le Nord de la France et puis aujourd'hui aussi en région parisienne, il y a vraiment un problème. De Lyon, ce que j'ai identifié dans mes fonctions, en creusant, on se rend compte que c'est un problème tentaculaire, alors que la santé et la psychiatrie en particulier, la santé mentale, vont si mal. On a des causes ici clairement établies, des raisons pour lesquelles le système va mal.
Effectivement, on va en revenir à ça, puisque vous étiez, ce sera ma dernière question : Lyon Capitale vient de sortir une grosse enquête sur l'hôpital psychiatrique Saint-Cyr ,où vous avez exercé en tant que directeur. Vous avez été suspendu par Jean-Yves Graal alors directeur de l'ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Est ce que vous pensez que votre suspension de novembre 2022 a un lien avec, finalement, cette affaire croisée de prises illégales d'intérêts ?
J'y vois un lien direct, effectivement, puisque j'ai saisi dès début 2022, Jean-Yves Graal lui-même, l'Agence régionale de santé, son collaborateur direct Philippe Guetta, pour dire qu'il fallait venir voir ce qu'il se passait à Saint-Cyr du point de vue de la prise en charge médicale où j'avais des difficultés avec un médecin, psychiatre, Jean-Pierre Salvarelli (président de la Commission médicale d'établissement, NdlR). J'ai fait des rapports, des rapports circonstanciés et je n'ai jamais eu de réponse. J'ai saisi le ministère de la Santé, le centre national de gestion, jusqu'au cabinet du ministre pour dire il y a un problème, qu' il y a des déficiences dans la prise en charge en soins. Personne n'est venu. Je vous le donne en mille. À ce jour, je n'ai encore pas reçu de réponse aux alertes que j'ai faites en 2022. Se posent la question de ce qu'ils font. Leur rôle, c'est de réguler par les autorisations et d'inspecter les établissements quand il se passe des choses. Rien. R.A.S.
Les prises d'intérêt un style de gestion contemporaine à gauche à droite au centre; locale, régionale, nationale !
Et l'extrême droite avec un maire dans le sud de la France.
Le fric est une plaie pour l'humanité.