Jeudi 6 juin, Pascal Mailhos, préfet de région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé à Lyon les premières Rencontres de la Fraternité. Cette initiative a pour but de permettre à des "marraines"et "parrains" d’aider des jeunes et de faciliter les mises en relation.
Salon de la préfecture à Lyon, 6 juin en début d’après-midi. Pascal Mailhos, préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes, lance les premières Rencontres de la Fraternité. Devant lui, de nombreux jeunes l’écoutent en silence, venus de tous les horizons. À côté, hommes en costumes tirés à quatre épingles, femmes en tailleurs, parsèment la salle, tandis que le préfet livre sa définition de fraternité "donner pour rendre service".
Parrainant déjà dix jeunes, le préfet défend alors l’idée d’une entraide possible entre les générations, refusant l’image de l’ascenseur social. Il lui préfère celle de l’escalier, où un effort est nécessaire pour monter, marraines et parrains sont "la rampe qui permet d’aider" dans cette quête. Ces rencontres de la fraternité marquent également le lancement des pages en ligne permettant à ceux qui veulent offrir du temps d’être mis en relation avec des jeunes (voir ici), ou d’être parrainés (voir ici). À l’issue de ces rencontres, le préfet et Lyon Capitale ont échangé sur cette initiative.
Lyon Capitale : Pourquoi n’aimez-vous pas l’image de l’ascenseur social ?
Pascal Mailhos, préfet de région Auvergne-Rhône-Alpes : Dans les quartiers, l’ascenseur c’est ce qui ne marche pas. Je n’aime pas cette image, ça peut donner l’illusion aux jeunes qu’on rentre dans une cabine, qu’on appuie sur un bouton et que ça monte. On ne sait pas comment ou pourquoi, ça peut même ne pas monter. Je préfère l’image de l’escalier, c’est une idée dans laquelle on progresse, il y a un effort. L’escalier, il y a une rampe. Quand à un moment donné, ça va moins bien, ou que l’on a besoin de se reposer, on peut s’appuyer dessus. La rampe, c’est l’autre. Si on ne veut pas monter, on ne monte pas. Si on veut monter, on est aidé.
Lors des rencontres, on voyait clairement dans la salle qu’il y avait plusieurs mondes qui ne se mélangeaient pas forcément...
...Il faut être conscient de ces difficultés et donner un certain nombre de codes aux jeunes. Je leur dis régulièrement : il va falloir être attentif, quand tu vas te présenter dans une entreprise, il y a des codes à apprendre. Tu ne peux pas dire juste "Bonjour", mais "Bonjour monsieur, bonjour madame", il faut que tu regardes les gens droit dans les yeux et pas avoir le regard fuyant. Tout ça, c’est le rôle du parrain ou de la marraine. Ils indiquent quels sont les codes. Ça ne veut pas dire qu’ils vont changer la personne, mais expliquer les choses utiles et nécessaires.
Que pensez-vous de ces établissements ou personnes qui pensent aider les jeunes en voulant les transformer ?
Je n’y crois pas. Tous les jeunes que j’ai pu aider, je n’ai jamais pensé les transformer, je n’ai jamais pensé que c’était une bonne chose. Il faut que chacun reste ce qu’il est. Si on transforme quelqu’un, on lui fait perdre ses qualités propres, au lieu de renforcer ses atouts, on le fragilise. On fait de cette personne quelqu’un d’autre, on rajoute de la fragilité à la fragilité. Nous avons tous des qualités et des défauts, mais à partir d’eux, on peut construire quelque chose. Parfois si on ne vous apprend pas à puiser dans votre propre richesse, on ne peut pas le découvrir. La relation de confiance, elle a une force considérable, c’est valable pour le parrain comme le parrainé. Il ne faut pas la trahir dans un sens comme un autre. Parfois, on reçoit des confidences qui sont lourdes, qui peuvent paralyser presque, mais il faut les prendre comme des marques de confiance. C’est une relation forte qui fonctionne dans les deux sens : vous m’avez fait confiance, je ne peux pas vous trahir. Vous m’avez porté de l’attention, je ne peux pas vous décevoir.
Vous avez parrainé dix jeunes, qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Énormément de choses. Ça m’a permis de rencontrer des gens que je n’aurai peut-être jamais croisés. Mes enfants ne correspondent pas aux profils que j’ai pu rencontrer. Je m’aperçois que ces jeunes que j’ai pu parrainer sont intégrés à notre famille. Mes enfants, les connaissent, portent un regard différent sur des jeunes issus des milieux diverses. Là où j’imaginais de façon présomptueuse que j’allais beaucoup apporter aux autres, j’ai en réalité beaucoup reçu. J’ai reçu des leçons de vie, d’humilité. Dans l’exercice de mon métier, discuter avec un demandeur d’emploi, un réfugié, m’a apporté un certain nombre de visions qui permettent de changer mon regard personnel, mais aussi institutionnel. Lorsque j’étais dans le Finistère, j’ai demandé à tous les préfets, tous les sous-préfets, de parrainer un demandeur d’emploi. Quand on s’est réuni huit mois après pour tirer les conclusions, on s'est rendu compte des changements de nos points de vue.
Parrainer peut-il aussi permettre à certains de revenir "sur terre" ?
J’ai croisé une jeune femme, cadre supérieur dans une entreprise pharmaceutique, elle avait les larmes aux yeux. Elle expliquait avoir ressenti pendant des années le besoin de donner beaucoup , une envie viscérale qu’elle a pu accomplir en parrainant des jeunes. Elle est cadre, elle dirige du monde, elle pourrait dire, "je suis sortie d’une grande école, je sais tout, je suis à l’aise en société". À travers le parrainage, elle a pris une leçon d’humanité. D’un coup, elle était redevenue plus humble, plus proche, car la jeune femme qu’elle aidait lui a appris qu’elle ne savait pas tout au final. Par le fait de donner, elle a reçu considérablement. Je pensais donner, j’ai reçu 1 000 fois en retour. Si jamais chacune et chacune d’entre nous, avec sa personnalité, ses compétences, décidaient d’aider dans l’année quelqu’un, notre pays irait beaucoup mieux.