Bruce Lee © Lefred-Thouron
© Lefred-Thouron

Peut-on citer Bruce Lee au bac philo ?

Quarante ans après sa mort, Bruce Lee est toujours aussi célèbre pour ses coups de pied et ses cris. Mais ce héros de film d’action s’intéressait aussi… à la philosophie.

On connaît surtout ses jambes, mais la star du cinéma de Hong Kong était aussi une tête : auteur de livres sur le sens de la vie, la vérité intérieure, l’éthique de l’existence… et les arts martiaux bien sûr ! Lorsqu’il s’installe aux États-Unis, au début des années 1960, le “petit dragon” suit des cours de philosophie à l’université de Washington. Si l’on en croit le biopic Dragon – très romancé, donc sujet à caution… –, il rédige un mémoire sur “La théorie de la synthèse chez Hegel”. En 1975, il publie son principal essai, Le Tao du jeet kune do (éd. Budo), sur la philosophie des arts martiaux. Toute sa vie, il donne des conférences et tient à mettre en avant ce côté “grand maître zen”. Après sa mort, il y a tout juste quarante ans, sa famille rassemble ses articles sur le tao, Platon ou encore Descartes dans un recueil, Artist of Life (Tuttle Publishing). Une œuvre si riche qu’on devrait l’étudier pour le bac philo ? Peut-être pas en fait, Bruce Lee et ses proches ayant probablement forcé le trait.

Des idées simplistes, en apparence

D’après le site des anciens élèves de l’université de Washington, Bruce Lee était inscrit en art dramatique et non en philosophie, contrairement à ce qu’il a toujours prétendu. D’ailleurs, ses idées ne sont pas forcément révolutionnaires : mélange de pragmatisme anglo-saxon et de taoïsme – à l’image de sa double culture –, elles paraissent parfois faussement profondes, voire simplistes. Elles dénotent cependant un réel intérêt pour les spiritualités orientale et occidentale, et permettent de mieux comprendre sa personnalité, sa conception des arts martiaux ou encore ses films. Car ces derniers fourmillent d’allusions à ses écrits.

À l’écran, ses ennemis se disputent toujours pour savoir quel est le meilleur style de combat : le karaté, le kung-fu, le jiu-jitsu… ? Bruce Lee, le héros, est l’outsider qui refuse de se cantonner à un style. Pour lui, “la technique suprême est de ne pas en avoir”. Il considère qu’on ne peut pas appliquer les mêmes méthodes dans n’importe quelle situation, car les choses ne sont pas figées. Le monde bouge, et il n’y a jamais de réponse absolue à une agression. “On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve”, expliquait le philosophe Héraclite d’Éphèse au VIe siècle avant notre ère. La pensée s’écoule “comme un fleuve sans fin”, écrit Bruce Lee dans le même sens.

Se débarrasser de soi-même

Il prône le mouvement et reproche aux arts martiaux traditionnels d’être trop statiques : les élèves apprennent à enchaîner des gestes techniques, l’un après l’autre, négligeant la fluidité qui devrait irriguer leur art comme leur vie au quotidien. C’est dans cet esprit qu’il faut regarder son duel contre Chuck Norris, à la fin de La Fureur du dragon. Bruce Lee sautille, bondit et donne le tournis à un adversaire trop lent pour répliquer. “Il y a une chorégraphie de l’énergie qui est enthousiasmante, observe le philosophe Vincent Cespedes, à travers les cris, la façon de se déplacer…” Chuck Norris s’y essaye en désespoir de cause, mais ça ne prend pas du tout – il s’agit de laisser porter, pas de remuer inutilement.

L’essentiel est de libérer son corps pour qu’il bouge à bon escient, sans qu’on y pense. Pour ça, il faut tout oublier, à commencer par… son ego. “Tu atteindras les sommets de ton art quand tu seras débarrassé de toi-même, écrit-il. Dès le moment où un homme perd le souci de l’impression qu’il produit ou va produire, il trouve la liberté.” Cette idée est mise en scène au début d’Opération Dragon, lorsque Bruce Lee demande à un jeune élève de lui donner un coup de pied : “Ce n’est pas un spectacle”, “Ne pense pas”, “Sens-le” ! Même topo lorsque Bruce Lee expose sa vision du combat à son propre maître : “S’il y a une opportunité, je ne frappe pas, ça frappe tout seul.”

Être “comme l’eau”

Il fait allusion au chi, explique Vincent Cespedes, un concept chinois qu’on traduirait par “énergie”, une sorte de force mystique qui serait comme le souffle de la vie, à l’instar du thumos dans la philosophie grecque. La finalité de l’entraînement est de prendre conscience que tout est relié à travers elle : le corps et l’esprit, l’homme et la nature, etc. “Bruce Lee essaye de montrer cette spiritualité non violente qui est au cœur des arts martiaux, poursuit Vincent Cespedes. Mais on ne peut pas filmer ça, seulement le sentir. Et malheureusement son cinéma vire trop souvent à la démonstration de force.”

Bruce Lee le reconnait dans une interview (voir ci-dessous), se moquant lui-même de la violence dans ses films. La finalité de l’entraînement n’est pas de se battre, explique-t-il, il s’agit d’être “comme l’eau” : elle glisse sous les coups, ne peut être blessée ni saisie ; c’est une matière douce qui peut pourtant percer la roche la plus solide. Si l’élève comprend ça, il parviendra à s’exprimer pleinement et entièrement. “Le but de l’art est de projeter dans le monde une vision intime, résume-t-il, (…) sous forme de création esthétique.” Pour lui, ce sera le cinéma et plus encore son personnage : une silhouette reconnaissable au premier coup d’œil, qui continue d’inspirer les auteurs de films, de bandes dessinées, de jeux vidéo… et un immense public à travers le monde. Après tout, si philosopher c’est faire de sa vie une œuvre d’art, il n’en était peut-être pas si loin.

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