Entretien avec le psychiatre Bernard Geberowicz, spécialiste des thérapies familiales.
Depuis vingt-cinq ans, Bernard Geberowicz écoute les couples dérouler leur histoire, toujours singulière : leur coup de foudre passionnel, fusionnel et forcément ponctuel, les moments qui les ont rapprochés ou éloignés, leur envie (ou pas) de continuer avec l’autre, selon qu’ils ont réussi (ou pas) à déconstruire les idées préconçues qu’ils avaient sur la vie à deux…
Cela donne aujourd’hui un livre, une bible du couple, un carnet de route complet et précis de situations que vous avez forcément rencontrées si vous êtes en âge de “faire couple”. Les 7 Vertus du couple* indique les chemins de traverse à éviter, les voies possibles, les raccourcis qui font gagner du temps et comment dessiner une carte du tendre qui n’appartiendra qu’à vous.
Lyon Capitale : Vous commencez votre livre par une phrase de Mark Twain, “Ils ne savaient pas que c’était impossible, et ils l’ont fait”… Le couple, une aventure que l’on ne tenterait pas, si l’on savait ce qui nous attend ?
Bernard Geberowicz : Beaucoup de jeunes pensent actuellement qu’ils seront amenés à faire plusieurs couples dans leur vie, et qu’il ne sert à rien de s’engager, dans ces conditions. Aujourd’hui, un couple qui dure est une gageure. Selon les statistiques, un sur trois divorce, en moyenne, en France et un sur deux dans les grandes villes. Malgré ces chiffres, pessimistes, on continue naturellement à vivre à deux. Mais on le fait en sachant que c’est désormais un challenge dans nos sociétés. C’est une réalité. Il faut la prendre en compte, tout en la relativisant.
Car lorsqu’un couple se forme on retrouve toujours, à toutes les époques, les mêmes mécanismes. Chacun apporte par exemple dans ce partenariat ses propres croyances sur le couple. Celles-ci, édifiées à partir des représentations subjectives que nous avons du couple parental, des images et modes véhiculées par les médias, et des livres, films, chansons qui nous ont touchés, se confrontent inévitablement à celles du conjoint. Le couple se bâtit à partir de ces données spécifiques, des expériences et épreuves partagées, et du projet individuel et collectif élaboré à deux. C’est une construction, une alchimie conditionnée par tous ces éléments, mais une alchimie possible.
C’est pourquoi, malgré les statistiques, les études scientifiques sur la durée des couples (trois ans en moyenne), les échecs rencontrés lors d’unions précédentes, beaucoup de personnes ont encore envie de croire en l’amour, à la famille, au partage, à la possibilité d’être soi-même tout en étant un peu plus que soi-même – “l’autre nous fait découvrir des aspects de nous que nous ne connaissions pas”…
Reste que, nous le savons, la relation du début se transforme toujours, à un moment ou à un autre. Lorsque cela arrive, il faut alors avoir la volonté, le désir, de repenser sa représentation du couple. C’est parfois difficile. Certaines crises en témoignent. La tendance actuelle est d’arrêter dès qu’elles arrivent et les premières difficultés. Par exemple, la naissance d’un enfant. Surtout, si chacun veut continuer à tout mener de front en étant “au top” dans tous les domaines : le couple, la famille, la carrière individuelle. Quand c’est le cas, il faut pouvoir alors se poser les bonnes questions, à bon escient et accepter de se remettre en cause. La difficulté est donc moins d’être en couple, mais de comprendre, d’accepter qu’il y a des obstacles naturels dans cette “association” et que ce n’est qu’en devenant pleinement coresponsable de son couple que celui-ci peut être amené à durer.
Il y aurait donc des règles à suivre pour que “ça marche” ?
Bien sûr. Quand on vit en couple, il convient par exemple d’être synchrone avec l’autre dans les priorités que l’on se fixe et de les décider ensemble. Cela passe également par la construction d’un socle commun : admettre l’idée du lien, édifier des projets individuels et à deux, le sens de l’engagement. L’acceptation de l’autre. La communication : se parler, s’écouter, se comprendre, développer de l’empathie envers le conjoint. L’analyse et la remise en question de ses croyances : idées préconçues sur l’amour conjugal et sur l’amour-passion. La place occupée par la sexualité et son évolution. La construction, l’entretien et le respect de l’intimité de chacun… Et le fait de comprendre que l’histoire d’un couple est sans cesse en mouvement et qu’il s’agit à la fois d’un projet, d’un aboutissement et d’une construction permanente qui demande à être entretenue. Ce sont quelques-unes des recommandations que je fais dans ce livre, pour que ceux qui sont concernés par ces situations puissent repérer rapidement les signes de fragilité qui traversent leur couple, afin de les transformer ou les surmonter.
Et quand cela ne marche pas ? Ils peuvent venir vous voir, pour essayer de passer la crise, recoller les morceaux ?
Le rôle du thérapeute est d’aider les patients à s’aider eux-mêmes, à comprendre qu’ils sont, tous deux, pareillement, responsables de leur couple. Mon travail n’est donc pas de faire en sorte qu’ils restent soudés à tout prix mais de les accompagner pour qu’ils sachent ce qu’ils veulent vraiment et qu’ils puissent choisir, en toute connaissance de cause, l’évolution qu’ils donneront à leur histoire. Et, s’ils se séparent, de leur permettre de le faire en “bonne intelligence”, dans les meilleures conditions possibles, en conservant l’estime de l’autre.
À propos des différents couples que nous constituons dans une vie, les couples plus tardifs sont-ils plus autonomes, plus libres, plus complices, plus respectueux de l’autre et finalement plus heureux, car il y a moins d’enjeux ?
Quand les blessures antérieures sont bien digérées, il y a moins d’attentes, de projections, d’interprétations, de représentations rigides.
De plus, en vieillissant, on comprend mieux qu’égalité ne signifie pas similitude et qu’un couple est constitué de deux personnes égales mais différentes. Les enjeux sociaux notamment étant autres que lorsque l’on est jeune, on accepte peut-être aussi plus facilement de passer du “je” au “nous”. On évite également certains pièges : l’idéalisation, vouloir changer l’autre, les problèmes de communication, croire en un couple imaginaire absolu et inoxydable et passer à côté du couple réel, ne pas accepter les crises inhérentes au fait de vivre à deux… On sait que l’amour évolue, se transforme selon les périodes… et la relation est sans doute plus évidente.
50 à 66 % des couples restent ensemble. Comment font-ils ?
Il faut tout d’abord qu’au moins l’un des deux partenaires croie en la possibilité d’un lien durable. Le couple doit ensuite se construire, s’entretenir, se nourrir, se parler, se créer…, dans une dynamique sans cesse renouvelée, qui donne “sens” au couple.
Les couples qui durent s’engagent à deux. Ils ne sont pas embarqués à cause des circonstances dans la constitution d’un couple… C’est une volonté, une responsabilité partagée, choisie, acceptée, imaginée ensemble. Les conjoints adhèrent à une vision commune et se donnent les moyens de la réaliser, avec plus ou moins de bonheur selon les moments. Tous les aspects du couple, la place des enfants, de la famille, de l’argent, de la sexualité, de la masturbation, de la jalousie, de l’alcoolisme, sont pris en compte dans cette construction.
D’où l’importance de vérifier régulièrement que l’on avance bien ensemble, sur le même chemin, de faire des points sur les étapes vécues et sur la manière dont elles le sont et de créer des moments de proximité, d’intimité, en dehors du monde, des autres.
En résumé, quel serait le point fort de votre message ? Et un dernier conseil, deleuzien…
Ma ligne directive serait : “Créez votre couple, il n’y a pas de fatalité. Tout est possible. Vous pouvez inventer librement votre propre couple… et le faire à votre rythme, en écoutant vos besoins et ceux de l’autre, sans répondre à des modes ou injonctions sociétales.”
Et Deleuze dirait : “Faites du nouveau. Arrêtez d’interpréter, expérimentez !”
'Arrêtez d’interprétez, expérimentez' Un z de trop 😉
Elle nous avait échappé. Un grand merci pour le signalement de cette faute, désormais corrigée.