Soutenir les élèves des banlieues en décrochage scolaire et lutter contre les tensions communautaires. C’est ce que propose l’école Espérance Banlieues de Pierre-Bénite, entre enseignement traditionnel et méthodes alternatives.
Article publié dans le magazine Lyon Capitale n°765 d'avril 2017.
À Pierre-Bénite, au cœur de la cité de Haute-Roche, un quartier classé en zone prioritaire dans le cadre de la politique de la ville, avec ses terrains vagues et ses barres d’immeubles, la scène détonne. Comme tous les matins de la semaine, Andréa, Erwan, Grégoire, Seije, Haydar, Lobna, Zayd, Téau, Chloé, Eskander, Aziz, Célia, Nada, Clara, Claes, Kenny et Oweisse assistent au lever du drapeau français et entonnent La Marseillaise.
Les dix-sept élèves de CP, CE1 et CE2 arborent leur uniforme : un sweat mauve pour les filles, vert pour les garçons. C'est le moment fort de la journée de cette école hors contrat, "aconfessionnelle", destinée aux enfants des banlieues en échec scolaire. Gérée par une association, elle ne peut pas toucher d'argent public. "On fait appel au financement privé, aux dons et au bénévolat" explique Yves Couvert, le directeur du cours La Passerelle. Les parents déboursent 75 euros par mois et par enfant (soit entre 25% et 30% des frais réels).
Une somme pour la très grande majorité des familles, "très modestes". "Un placement" corrige Jean-François, bonnet de docker vissé sur la tête, Dr Martens aux pieds, bomber, chaînes tombantes sur son jean fatigué, père de deux garçons de l'école. "Hors de question qu'ils fassent comme leur père, à pointer à Pôle Emploi. Je veux que mes fils étudient et qu'ils s'en sortent." Jean-François les a sortis de leurs écoles précédentes. "Je ne les reconnaissait plus. Ils parlaient mal, rentraient avec les vêtements déchirés, quand ce n'était pas des bleus, leurs notes étaient catastrophiques." Aujourd'hui, les deux élèves sont disciplinés, respectueux de leurs petits camarades, ramènent des 10/10... et sont heureux.
Car c'est aussi ça le succès du Cours La Passerelle. Les élèves sont contents d'aller à l'école et leurs professeurs aussi. "Je n'ai jamais été aussi motivée de ma vie !" confirme, le sourire aux lèvres, Claire, l'une des deux maîtresses de l'école.
Hors contrat, le modèle pédagogique est libre. Le matin sont enseignées les matières fondamentales et l'après-midi ont lieu les devoirs sur table, les activités périscolaires (sport, chant, théâtre...) et l'aide aux devoirs. "Ici, les professeurs sont aussi des éducateurs, à même de comprendre les réactions des enfants" explique Yves Couvert, le directeur de l'école. Chaque élève est véritablement suivi individuellement. Les plus grands sont responsables des plus petits. "Lorsqu'un enfant a un problème de discipline, le directeur décide de concert avec ses parents de la sanction à appliquer, explique Eric Mestrallet, président de la fondation Espérance Banlieues. Cela permet à la fois aux parents de retrouver leur autorité, souvent perdue, et aux enfants de comprendre que leurs parents et les professeurs travaillent ensemble pour leur bien."
Pour l'heure, il existe huit écoles adossées au réseau Espérance Banlieues sur tout le territoire. Une trentaine de projets sont à l'étude. Dans l’agglomération lyonnaise, les élus de Saint-Priest, Rillieux-la-Pape, Bron et Saint-Fons ont déjà manifesté leur intérêt. "On est sur le coup" souffle le directeur de cabinet du maire de Saint-Priest.
Mercredi 14 mars, Laurent Wauquiez a débarqué à Pierre-Bénite, accompagné de François Baroin. Le président de la Région Rhône-Alpes-Auvergne a promis de s'engager financièrement pour aider l’école Espérance Banlieues de Pierre-Bénite, qui doit faire face à 40 enfants inscrits pour la rentrée prochaine. Deux bâtiments sont construction, pour 400 000 euros. Quant au responsable du « rassemblement politique » de l'équipe de campagne de François Fillon, il a d'ores et déjà pris rendez-vous avec les responsables nationaux. "C'est clairement la rétribution de la transmissions des savoirs traditionnels. Au fond, c'est ce qu'on attend du système éducatif. Est-ce que ça peut se généraliser ? L'important, c'est que ça marche".
"L'éducation nationale est-elle à la hauteur des banlieues ?"
Pour l'heure, les écoles Espérance Banlieues se heurtent à un tir de barrage du ministère de l'Éducation nationale qui voient d'un mauvais œil ce nouveau modèle pédagogique qu'elle ne contrôle pas. "Je n'ai, par principe, rien contre ces établissements , explique Najat Valaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale*. Ce que je constate dans ces établissements, c'est qu'un autre cadre de travail est donné aux élèves et qu'il peut produire des effets positifs. Sauf que les observateurs oublient souvent de préciser que dans ces établissements, on aura des groupes beaucoup plus réduits d'élèves par classe, avec la possibilité pour l'établissement de renvoyer les élèves qui n'ont pas les résultats suffisants ou la discipline suffisante. Or, ce qu'il faut comprendre, c'est que le service public de l'éducation nationale, lui, offre à tous les élèves de France cet accompagnement éducatif."
Sur la politique de l'éducation nationale dans les quartiers prioritaires, le pédagogue Philippe Meirieu est très sévère. "Il faut s'interroger sur la capacité de l'éducation nationale à mener une vraie politique scolaire de discrimination positive en banlieue. L'éducation nationale est-elle à la hauteur des banlieues ?". Mais dans le même temps redoute l'apparition de ces établissements privés hors contrat. "Sur le fond, je désapprouve l'émergence de ces écoles qui relèvent du libéralisme communautariste le plus total. Si on continue dans cette voie, nous créerons un système atomisé dans lequel se juxtaposeront des écoles de ghetto avec, pour conséquence, un éclatement de l'école publique dans son unité."
* RTL, 27 novembre 2016.