© Vienne Condrieu Tourisme

Pollution du Rhône : plainte contre X pour "écocide", 300 000 habitants concernés

Après la plainte contre X de 75 plaignants du Rhône - dont 32 villes -, les 30 communes de l'agglomération de Vienne Condrieu vont s'associer à la procédure pénale d'ici la fin de l'année.

"Rarissime." En trente-deux ans de carrière, Jean-Marc Hourse n'avait jamais eu un tel dossier à traiter. Spécialisé dans les contentieux environnementaux au barreau de Lyon, Jean-Marc Hourse a déposé, lundi 30 octobre, une plainte contre X pour le compte de 32 communes et d'une communauté de communes du Rhône, de 6 fédérations de protection du milieu aquatique et autres professionnels de la pêche et de 36 personnes physiques.

"Ce dossier est absolument incroyable, tant il met en exergue le dysfonctionnement du système administratif français." explique l'avocat mandaté par les 75 plaignants qui disent avoir été "alertés sur les risques générés par les activités d’Arkema et Daikin" grâce à la diffusion du documentaire "Vert de rage", sur France 2, au printemps 2022.

105 plaignants fin 2023

A ces 75 plaignants vont s'ajouter, d'ici la fin de l'année, les 30 communes de l'agglomération de Vienne Condrieu. Un pied dans le Rhône, un autre en Isère, mais surtout en bord du fleuve, particulièrement contaminé aux PFAS ("pifasse" en anglais, encore appelés perfluorés ou polluants éternels car ne se dégradant pas dans le temps).

A Lyon, une plainte d'une telle ampleur est, assez rare. "C'est du très lourd" témoigne un magistrat.

Arkema pierre benite perfluorés pollution
L’usine Arkema à Pierre-Bénite, dans le viseur de la plainte contre X © Antoine Merlet

Quatre qualifications pénales à la discrétion du procureur

Quatre qualifications pénales ont été soumises au procureur de la République de Lyon Nicolas Jacquet.

La "mise en danger de la vie d'autrui", tout d'abord. Article 223-1 du code pénal : "Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende."

La plainte argue du fait que dans une affaire présentant des similitudes avec les faits dénoncés dans le cas lyonnais, la cour d’appel de Paris a retenu cette qualification à l’encontre d’un exploitant d’une usine d’incinération ayant relâché dans l’environnement des dioxines et des PCB, nonobstant les mises en demeure en provenance de la préfecture.

Et d'ajouter qu'Arkema avait admis et reconnu le principe de précaution puisqu’en juillet 2023, cette entreprise avait alerté les salariés (et anciens salariés), auxquels des "jardins ouvriers" avaient été concédés, en les invitant à ne plus consommer les légumes issus de ces lopins de terre fortement contaminés.

Lire : À Lyon, Arkema déconseille de manger les légumes de ses jardins partagés

Les "délits spécifiques aux substances et préparations chimiques" ensuite. L'article L 521-1 du code de l’environnement fait directement référence au règlement REACH de l'Union européenne et contient en préambule la disposition suivante : "Les dispositions du présent chapitre tendent à protéger la santé humaine et l’environnement contre les risques qui peuvent résulter des substances et mélanges chimiques."

La plainte collective contre X expose que bien que l’utilisation des PFOA ( l’un des PFAS les plus dangereux) est censée avoir cessé depuis 1979, en raison de sa dangerosité, l’émission d' Envoyé Spécial avait mis en évidence le maintien de ces substances autour des sites de Pierre-Bénite.

Jean-Marc Hourse note que "les plaignants ignorent sous quelle appellation ou qualification ces produits ont été ré-utilisés par les industriels, et sous quelle forme ils ont été présentés dans la règlementation administrative", avant de conclure, sur ce point, qu'"il est toutefois permis de penser que les dispositions précitées de la règlementation européenne n’ont pas été respectées, et ce de manière volontaire."

Pompiers recherche Rhône
©Mathilde Régis

La difficile application de la "mise en danger de la vie d'autrui"

Troisième qualification pénale soumise au procureur de la République de Lyon, le délit d'écocide. Article L 231-1 du code de l’environnement : "Le fait, en violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, d'émettre dans l'air, de jeter, de déverser ou de laisser s'écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l'action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la sante, la flore, la faune, a l'exception des dommages (...)."

Dans un entretien qu'il nous avait accordé début octobre, Jean-Marc Hourse reconnaissait que "la notion de mise en danger de vie d’autrui (pouvait) paraître délicate car les conditions sont difficiles à retenir. Il faut, expliquait-il prouver une "'violation manifestement délibérée' d’une obligation particulière 'de prudence ou de sécurité'." Et d'ajouter : "c'est aussi dur que le concours à l'arc d'Ulysse, dans l'Odyssée, qui doit tirer une flèche à travers douze haches alignées."


"C'est aussi dur que le concours à l'arc d'Ulysse, dans l'Odyssée, qui doit tirer une flèche avec un arc à travers douze haches alignées."
Jean-Marc Hourse, avocat lyonnais des 75 plaignants


Or, poursuivait-il, "si on élargit à la notion de santé publique et à la qualification pénale d’écocide pour englober la pollution de l’air, de l’eau et des sols, nos chances d’intéresser le procureur n’en seront que plus importantes."

Enfin, quatrième et dernière qualification pénale soumise au parquet de Lyon, la "pollution des eaux souterraines et de surface".

Il ne peut, en effet, être contesté que l’utilisation de substances chimiques par les deux industriels, Arkema et Daikin, a entrainé une pollution durable des eaux du Rhône et des nappes souterraines. Article L 216-6 du code de l'environnement : "Le fait de jeter, déverser ou laisser s’écouler dans les eaux superficielles, souterraines...un ou des substances quelconques dont l’action ou les réactions entraînent, même provisoirement des effets nuisibles à la santé ou des dommages à la flore ou à la faune,...est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende." et article L 432-2 du même code : "Le fait de jeter, déverser ou laisser s’écouler dans les eaux mentionnées à l’article L. 431-3, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 18 000 euros d’amende."

Le délit est constitué qu’il s’agisse d’une action positive (rejets, déversements), ou d’un acte passif (laisser s’écouler des substances polluantes).

"Le procureur fera son choix parmi ces qualifications" explique Jean-Marc Hourse.

Une cellule spécialisée de la gendarmerie chargée de l'enquête

Selon nos informations, l'Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique ((OCLAESP) est chargé de l'enquête. Ce service de police judiciaire de la gendarmerie nationale française a pour vocation de s'intéresser à l'ensemble du contentieux découlant des atteintes portées à l'environnement et à la santé publique (pollutions maritimes, trafics d'espèces animales protégées, trafics de produits dopants ou de déchets toxiques, lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane, contrefaçons de médicaments, trafics d'organes...).

Un détachement de l'Oclaesp a été créé à Lyon en 2021. Il travaille actuellement sur plus d’une quinzaine d’enquêtes, avec des investigations lourdes.

gendarmerie environnement
Le détachement lyonnais de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP)

Plainte pour "écocide"complémentaire de Pierre-Bénite

Une plainte complémentaire a également été déposée, lundi 30 octobre, par la commune de Pierre-Bénite et son maire, Jérôme Moroge.

Une première plainte contre X pour "mise en danger de la vie d'autrui" et "infractions à la réglementation ICPE" (gestion des risques industriels et agricoles, afin de préserver l'environnement et la santé) avait en effet déjà été déposée par la commune du sud de Lyon le 27 mai 2022.
La juge d’instruction Sylvia Hamoudi avait été saisie du dossier.

Lire aussi : Pollution aux perfluorés, le maire de Pierre-Bénite porte plainte

La plainte du 30 octobre vise, quant à elle, les "délits spécifiques aux substances et préparations chimiques", le "délit d'écocide" et la "pollution des eaux souterraines et de surface".


Les 75 plaignants

- Communes (32 + une communauté de communes)
Beauvallon, Brignais, Chabanière, Chaponost, Charly, Chasse-sur-Rhône, Chaussan, Communay, Francheville, Grigny, Irigny, La Mulatière, Millery, Montagny, Mornant, Orliénas, Oullins, Riverie, Rontalon, Saint-André-la-Côte, Saint-Laurent-d'Agny, Saint-Symphorien-d'Ozon, Sainte-Foy-lès-Lyon, Sérézin-du-Rhône, Solaize, Soucieu-en-Jarrest, Saint-Genis-Laval, Taluyers, Ternay, Vernaison, Vourles, Simandres et la communauté du Pays mornantais (Copamo).

- Fédérations de protection du milieu aquatique et des professionnels de la pêche (6)
Les fédérations de pêche et de protection du milieu aquatique du Rhône et de l'Ain, les association agréées de protection de la pêche et des milieux aquatiques du Garon de Givors et de Lyon Val de Saône, l'association des pêcheurs professionnels Saône Doubs Haut Rhône, l'association départementale des pêcheurs amateurs aux engins et aux fils (Adapaef) "La Maille du Rhône"

- Personnes physiques (36)
Il s'agit, dans l'immense majorité, des maires des communes ayant porté plainte et de quelques personnes qui avaient suivi le dossier de près et dont les maires ont jugé bon de les associer à la plainte collective.

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