Depuis le début de l’escroquerie du canal TNT Numéro 23 en 2011, Lyon Capitale a défendu la thèse, largement étayée par des preuves, qu’une même main avait désigné le bénéficiaire ultime de la chaîne (en l’occurrence Patrick Drahi), rédigé la convention liant le canal au CSA fantoche de l’époque Sarkozy-Boyon et enfin concocté le pacte d’actionnaires frauduleux, qui prévoyait en toutes lettres la revente de la prétendue “chaîne de la diversité” dès le mois de janvier 2015. Le tout porté par l’homme de paille Pascal Houzelot et financé (juste assez pour éviter la faillite) par un oligarque russe et l’émir du Qatar, sur fond d’affaire Bygmalion. De véritables méthodes de voyou, sur lesquelles se penche aujourd’hui une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. Dans un parallélisme saisissant, voilà que l’Autorité de la concurrence soupçonne Numericable d'avoir pris le contrôle effectif de SFR… avant d’avoir obtenu l’autorisation réglementaire de le faire.
L’opérateur mobile SFR, “propriété” de Patrick Drahi, le “magnat” des télécoms aux 50 milliards de dette, pourrait écoper d'une amende record de 500 millions d'euros. L’affaire remonte à 2014. Après une bataille qui avait occupé les gazettes durant de longs mois, Patrick Drahi annonçait en mars que Numericable avait signé un accord de rachat de SFR. Sauf que l’Autorité de la concurrence n’avait pas donné son feu vert.
Après des perquisitions chez l’opérateur téléphonique, l'Autorité de la concurrence a ainsi découvert de nombreux courriels faisant état des instructions données directement par Patrick Drahi, mais aussi la mise en œuvre de pratiques commerciales, comme le lancement par SFR d'une box TV câblée par Numericable, moins d'un mois après avoir reçu l'aval du gendarme de la concurrence pour la fusion Numericable-SFR. Une affaire similaire pourrait toucher le groupe, qui a racheté Portugal Telecom fin 2014 avec, cette fois, une enquête ouverte par Bruxelles.
Les yeux doux des politiques
Les politiciens français, à l’instar d’Arnaud Montebourg, n’avaient pas de mots assez durs envers le Franco-Israélien, champion de l’optimisation et de la dissimulation sophistiquée via des sociétés-écrans dans divers paradis fiscaux. En mars 2014, le ministre du Redressement productif déclarait ainsi : “Numericable a une holding au Luxembourg. Son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam. Sa participation personnelle est à Guernesey, dans un paradis fiscal de sa majesté la reine d’Angleterre. Il va falloir que M. Drahi rapatrie l’ensemble de ses biens à Paris !”
Rien de tout cela ne s’est produit et depuis le rachat de SFR (et de Libération) tout s’est soudainement arrangé dans les rangs socialistes. C’est le député Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles à l'Assemblée, qui donne désormais le la : “Pour qu’il y ait pluralisme, il faut des investisseurs. Patrick Drahi, après son accord avec Alain Weill, possède un peu de tout : presse écrite (L’Express, Libération…), télévision (BFM TV, RMC Découverte), radio (RMC, BFM Business) et aussi télécoms avec SFR-Numericable. On ne va pas faire de comptes d’épicier. On ne va pas lui dire “Vous ne pouvez pas posséder plus de tant de quotidiens ou chaînes de télévision”.” On est désormais bien loin de la lutte contre la “BFMisation des esprits” et la finance, “l’ennemi sans visage” cher à François Hollande.
La complaisance des journalistes
Sur le sujet, il est intéressant de lire le dernier ouvrage de Laurent Mauduit, intitulé Main basse sur l’information (éditions Don Quichotte) : “Il existe des traces de ce naufrage du débat démocratique et de la vie de la presse, auquel conduit immanquablement un empire médiatique comme celui de Patrick Drahi, écrit le cofondateur de Mediapart. Ainsi la première émission de télévision que le milliardaire organise, le dimanche 22 mai 2016, avec le renfort de tous les titres de son groupe, pour célébrer la venue de Manuel Valls en Israël. Pour la circonstance, i24 et BFM TV unissent leurs antennes pour diffuser ensemble l’émission dont le Premier ministre est l’invité, et L’Express et Libération dépêchent leurs éditorialistes, Christophe Barbier et Laurent Joffrin. La voici, la fameuse “convergence” tant célébrée par les oligopoles des médias et de la téléphonie : la formidable force de frappe médiatique rassemblée sous l’égide du milliardaire n’a pour seule utilité que de produire une émission honteuse de complaisance.”
Erreur 404
Rares sont les journalistes à oser écrire comme lui ce qui n’est pourtant que l’évidence. Quant aux téméraires qui s’y risquent à l’intérieur même de la nébuleuse SFR Média, y compris sur des sujets mineurs comme la piètre qualité des animateurs de foot anglais, ils sont rapidement victimes d’une “erreur 404” et les liens vers leurs articles sont tout bonnement cassés par la maison Drahi. “Depuis que SFR Sport en a acquis les droits, c'est sur cette chaîne que se retrouvent les amateurs de football anglais. Malheureusement pour eux, les animateurs ne sont pas à la hauteur. Une efficace campagne de communication nous avait pourtant fait saliver. Grâce à un mercato rondement mené, SFR avait réuni une belle brochette de talents.” Cette courte présentation, toujours indexée par les moteurs de recherche, est encore consultable sur différents sites Internet, mais plus du tout sur L’Express, qui a sabré l’intégralité de l’article. Erreur 404…
Qu’on se le dise : Patrick Drahi est un génie et gare aux politiques et aux journalistes qui ne succomberaient pas à ses charmes. Dans un communiqué de presse relatif aux Panama Papers, Altice avait prévenu : “Toute évocation de M. Patrick Drahi ou du groupe Altice en relation avec des situations frauduleuses ou liées à l’évasion fiscale visées dans cette enquête serait diffamatoire et donnera lieu aux actions appropriées.” Cela n’a pas empêché Mediapart, Le Canard enchaîné et Le Lanceur de publier leurs enquêtes.
Souhaitons que la commission d’enquête parlementaire relative au scandale de l’attribution et de la revente de Numéro 23 fasse preuve du même courage et de la même indépendance que l’Autorité de la concurrence et ne se contente pas, à l’instar de Fabienne Schmitt, journaliste aux Échos, d’un panégyrique : “C’est un homme d’affaires comme la France en a peu, une audace désarmante, une capacité à convaincre hors du commun (…). Matheux hors pair, fou de chiffres, qui compte à la vitesse de l’éclair et se décide très vite (…). Direct, sans complexe, Patrick Drahi a l’assurance de ceux qui semblent avoir tout compris avant tout le monde.”