La victoire du frontiste Laurent Lopez à la cantonale partielle de Brignoles, comme la défaite de la ministre Marie-Arlette Carlotti à la primaire socialiste de Marseille, ne sont pas des surprises.
Il y eut, d’abord, cette bouffée d’oxygène. Une ministre qui enfin ose dire, crier, hurler la vérité toute nue : Marie-Arlette Carlotti, candidate à la primaire marseillaise, qui dénonce avec éclat ce que tout le monde sait depuis des lustres dans la cité phocéenne, et au-delà. “Nous avons assisté au cours de cette journée à un fonctionnement à plein régime du clientélisme. (…) Personne n'avait vu jusqu'à présent ce système fonctionner avec une telle puissance, un tel sentiment d'impunité, à la vue de tous, avec des dizaines de minibus qui sillonnent la ville, des échanges d'argent, toute une organisation que j'ai envie de qualifier de “paramilitaire””, a-t-elle déclaré hier soir à la presse.
Minibus sillonnant effectivement Marseille remplis d’électeurs spontanés de Samia Ghali (“du covoiturage autorisé” selon la sénatrice socialiste), échange d’argent consigné dans au moins un bureau de vote, distorsion sur les identités et les dates de naissance, liste électorale comportant 5 000 erreurs (!), Mme Carlotti affirme que la Haute Autorité des Primaires (HAP) devra évidemment déposer des recours. Évidemment.
Allô ? Marie-Arlette ?
Et puis plus rien. Silence radio. Pas plus de recours que de saisine de la HAP, François Hollande et son Premier ministre lui ont parlé au téléphone, Marie-Arlette est priée d’avaler la pilule, de la mettre en sourdine et de continuer à sourire sur la photo au nom de l’unité du PS, à côté de Patrick Mennucci – tandis que Jean-Noël Guérini se tient les côtes, tellement il jubile, tellement la vengeance est un plat qui se mange froid, tellement, sans apparaître sur le devant de la scène, c’est lui qui est à la manœuvre. Il faut dire que la tenue de ces élections primaires est totalement incompréhensible : dans une ville gagnée par la corruption et le clientélisme (mais Marseille n'est hélas pas la seule, loin s'en faut), feindre de croire que la démocratie peut s’exprimer de façon apaisée et transparente dans des élections internes est, au mieux, une lâcheté ordinaire.
Ajoutons que lorsqu’un désaccord est si fondamental, lorsqu’un ministre tient ce type de propos, il doit immédiatement démissionner – et du Gouvernement et de sa formation politique –, faute de quoi il sera accusé de continuer à se nourrir de la soupe dans laquelle il vient pourtant de cracher avec force devant la France entière. Comme Cécile Duflot avant elle, Marie-Arlette Carlotti illustre une nouvelle fois la propension inouïe des membres de ce gouvernement à être “dedans-dehors”. Le duo Hollande-Ayrault semble par ailleurs avoir le plus grand mal à trancher et se contente du plus petit dénominateur commun, espérant contenir avec ses petits cailloux roses le tsunami annoncé pour les élections municipales et européennes.
La faute au goulag
Un peu plus haut dans les terres, à Brignoles, petite ville de 15 000 habitants, enclavée dans le centre Var, à une demi-heure de Toulon, l’élection du candidat du FN a également donné lieu à des propos complètement déconnectés de la réalité. Pour le président de l’UMP, Jean-François Copé, qui, il est vrai, n’en est plus à une posture près, cette élection est due à “la gestion désastreuse de la ville par les communistes”, ainsi qu’à “la gestion calamiteuse de notre pays par la gauche”. Le krypto-camarade Jean-François a ensuite donné rendez-vous aux électeurs aux municipales de 2014, où “la députée Josette Pons portera les couleurs d'une droite décomplexée qui viendra donner un nouvel élan à cette ville sinistrée par les ravages de la politique de la gauche”.
La sémantique est connue, usée jusqu’à la corde, c’est celle du “décomplexé” Nicolas Sarkozy, dont Jean-François Copé prépare inlassablement le retour, et qui consiste simplement à courir derrière les thématiques et le champ lexical du Front national, n’aboutissant in fine qu’à renforcer et à “dédiaboliser” ce dernier. François Fillon, son compétiteur malheureux à la présidence de l’UMP – où il avait aussi été question de bourrage des urnes, faut-il le rappeler – est tout aussi décomplexé : “Le “rêve français” que François Hollande promettait de réenchanter sombre dans la radicalisation, a lancé l’ancien Premier ministre. A Brignoles, comme à chaque scrutin depuis l'élection de François Hollande, l'effondrement électoral de la gauche sanctionne d'abord l'échec de la politique conduite : la croissance à plat, le chômage à son pic, le pouvoir d'achat en berne, les impôts partout, l'insécurité en hausse, l'Europe amorphe et passoire.”
Huis clos
M. Fillon n’a pourtant guère de quoi pavoiser, quand son parti, soutenu par l’ensemble des formations politiques du pays, n’arrive même plus à gagner contre le FN. Quant au chômage, au pouvoir d’achat, à l’insécurité ou encore à “l’Europe passoire”, il n’est pas inconvenant de rappeler que le gouvernement proeuropéen qu’il a dirigé sans discontinuer de 2007 à 2012 n’a enregistré aucun résultat probant, et que les rodomontades permanentes de son ex-ami Nicolas Sarkozy ont a contrario accentué la perception de l’échec par une majorité de Français.
Plutôt que de s’invectiver les uns les autres, les différents responsables politiques devraient enfin avoir la lucidité, sinon le courage, de promouvoir de nouvelles personnalités, en allant puiser les talents et les énergies au cœur de la société, en plein cœur du monde réel – dans les campagnes, les villes et bien sûr dans les banlieues et les entreprises – et plus seulement dans leurs vases clos respectifs, dans leurs partis parisiens moribonds et autres associations satellites où l’enjeu unique est d'“être calife à la place du calife” et où tout le monde finit par “se tenir”… et donc par se taire.
Comme l’écrit avec clairvoyance la politologue Virginie Martin, dans ce qu’elle qualifie volontiers d’artefact, “le FN monte en gamme, technocratise, intellectualise son réseau et toute cette énergie finit par ressembler à du renouvellement. Le parti lepéniste, car peu installé dans des réseaux locaux, donne cette image de renouvellement. Tandis que la grande majorité des élus UMP et PS se battent pour conserver leur baronnie et refusent pour certains de renoncer au cumul des mandats”.
Le droit contre la morale
Faute de cette lucidité, les partis traditionnels, qui s’autoproclament “partis de gouvernement”, persuadés que l’alternance leur est promise de façon quasi automatique, permettront au FN – qui fait de moins en moins peur et recrute désormais parmi les médecins, les professeurs, les avocats, les hauts fonctionnaires et même les immigrés – de conquérir le plus tranquillement du monde, par les urnes, des mandats, y compris dans des scrutins majoritaires. Ce processus est, quoi qu’on en dise, quoi qu’on en pense, largement en route. Il est tard, il est loin, et il devient difficile de traiter 53,9 % des électeurs de Brignoles de fascistes et d’extrémistes.
Lorsqu’une Rachida Dati (UMP), avec tout ce qu’elle représente, à tort ou à raison, évoque, la larme à l’œil, les“ Français qui souffrent et qui désespèrent de ne pas être considérés par une élite politique toujours autant intéressée par ses ambitions personnelles à leurs dépens”, lorsqu’un René Stéfanini (PS), secrétaire général de la Haute Autorité des Primaires, affirme à son tour, à propos de la grande magouille marseillaise, “c'est moralement condamnable, mais pas juridiquement, sauf à prouver qu'il s'agit d'un achat de voix”, c’est bien le FN qui engrange des milliers de voix et un soupçon supplémentaire de respectabilité.
Sans toujours en avoir pleinement conscience, c’est leur propre portrait-type que les responsables du PS et de l’UMP établissent ainsi en creux, celui d’un personnel élu, qui se situe au-dessus des lois et s’accommode parfaitement du “moralement condamnable”, dans un basculement pernicieux du juridique vers le politique, déjà décrit par André Laignel en 1981, à la tribune de l’Assemblée nationale. Répondant indirectement à Jean Foyer à propos des nationalisations, le député socialiste avait alors lancé cette formule, devenue célèbre : “Il a juridiquement tort car il est politiquement minoritaire.” Les prémices du covoiturage, en quelque sorte.