La Lyonnaise Brigitte Giraud a remporté le prix Goncourt 2022 avec son roman autobiographique Vivre vite. "Peut-être son plus grand livre" pour notre journaliste.
Elle est la 13e lauréate en 120 ans d'existence. Ce jeudi 3 novembre, la lyonnaise Brigitte Giraud a remporté le prix Goncourt 2022, récompense littéraire française la plus prestigieuse. Il y a quelques semaine, notre journaliste Kevin Muscat a lu ce livre qu'il estime être le meilleur de l'autrice.
Brigitte Giraud, les choses de la vie
Avec Vivre vite, Brigitte Giraud revient sur le décès accidentel de son compagnon, au crépuscule du siècle dernier, sujet déjà évoqué dans À présent. Un roman autobiographique aux allures d’enquêtes intimes qui fait aussi le bouleversant portrait d’un homme et d’un amour fauchés par la contingence.
Avec À présent en 2001, Brigitte Giraud avait déjà évoqué cette histoire on ne peut plus intime, celle du décès de son compagnon dans un accident de moto lors d’un banal trajet quotidien.
C’était l’un de ses premiers livres. Depuis, l’autrice lyonnaise en a écrit bien d’autres et construit une œuvre importante dont la délicatesse et la justesse de ton pourraient être les maîtres mots et qui lui ont valu notamment un Goncourt de la nouvelle en 2007.
Comprendre le drame
Elle y revient aujourd’hui, plus de vingt ans après, dans des circonstances toutes particulières. C’est le point de départ du livre : la vente de la maison achetée avec Claude et qu’il n’a jamais habitée, le couple étant en cours d’installation dans la demeure de leurs rêves, à la Croix-Rousse, au moment de l’accident.
Un projet immobilier en passe de bétonner l’un des derniers havres de paix et de verdure du quartier lyonnais l’oblige à quitter “le témoin de cette vie sans Claude” : “J’ai vendu mon âme et peut-être la sienne”, écrit Brigitte Giraud. Alors il faut rembobiner l’histoire, faire “une dernière fois le tour de la question, comme on fait le tour du propriétaire, avant de fermer définitivement la porte. Parce que la maison est au cœur de ce qui a provoqué l’accident”.
A lire sur le sujet : Goncourt 2022 : et "si" c'était la Lyonnaise Brigitte Giraud
Sans elle, suppose-t-elle, Claude serait sans doute encore là. La question, ou plutôt les questions, que Brigitte Giraud pose en une sorte de Cluedo intérieur, retracent le faisceau d’événements qui ont conduit au drame : un séjour imprévu à Paris chez son éditeur, un frère qui gare sa moto dans un espace disponible de cette nouvelle maison, le fait que Stephen King ne se soit pas tué dans un accident de moto quelques jours avant, l’écoute d’une chanson plutôt qu’une autre, etc., etc.
"C’est toute la magie du livre qui se clôt sur des pages bouleversantes dont on ne dira rien. Bouleversantes précisément car Brigitte Giraud s’affranchit du pathos."
Un enchaînement de faits hasardeux et de timing mal branlé auquel il faut ajouter le modèle de la moto fatale, une bombe sur roues de la marque Honda, interdite en France, qui pourrait figurer à elle seule la flèche du temps. Et si, et si, et si, voilà la teneur de Vivre vite et qui en fait tout le sel car pour accepter il faut comprendre, même l’incompréhensible, tenter de répondre à des questions qui tourneront en boucle pour toujours.
Le portrait d'une famille
Mais surtout, au cœur de l’enquête, car c’en est une, Brigitte Giraud dresse le portrait d’un couple – d’une famille même, ils ont un enfant en bas âge – et le portrait d’un homme, Claude, que l’on suit vers l’issue fatale en espérant fébrilement que la littérature va avoir le pouvoir d’enrayer la marche inexorable du destin – et si… Cela n’arrivera pas, car “il n’y a pas de si” mais c’est toute la magie du livre qui se clôt sur des pages bouleversantes dont on ne dira rien. Bouleversantes précisément car Brigitte Giraud s’affranchit du pathos.
Ici l’émotion naît de la douceur et de la délicatesse. D’une pudeur immense “face à cette chute qui a entraîné toutes les manières de tomber”. Il est difficile d’arriver à ce genre de conclusion quand on sait les livres qu’a écrits Brigitte Giraud, mais on tient peut-être là – si tant est que ce soit important – son plus grand livre.
Kevin Muscat