tribunal lyon comparution immédiate
© Tim Douet

Procès d'une ratonnade en 2019 à Lyon : "Ils n'auront pas mes larmes"

Jeudi 15 juin marquait le premier jour du procès de l'agression raciste menée par des militants d'extrême droite le 19 juillet 2019, alors que l'Algérie remportait la CAN. Quatre ans plus tard, les parties civiles sont profondément marquées.

L'épreuve est périlleuse, violente, "terrifiante". Ce jeudi 15 juin dans la 16e chambre du tribunal judiciaire de Lyon, les parties civiles sont appelées à la barre, pour raconter cette nuit du vendredi 19 juillet 2019, l'effroi. Autour de A. sept hommes, dont deux qu'elle désigne, yeux dans les yeux, comme ses agresseurs. Il faut imaginer la scène, quatre ans après cette nuit de victoire de l'Algérie en Coupe d'Afrique des Nations. Une nuit qui devait être de liesse, mais fût de violence. A. est seule à la barre, à quelques centimètres d'elle, sont assis ceux qu'elle reconnaît être ses bourreaux.

"Quand j'ai vu ce groupe traverser le pont et venir sur le quai Tilstitt, je savais que c'était eux, j'ai compris"

Elle raconte : "On était en voiture, on ne célébrait même pas la victoire de l'Algérie, on n'avait pas de drapeau. On voulait juste aller manger une glace à Bellecour." Avec force, la voix posée elle assure, "quand j'ai vu ce groupe traverser le pont et venir sur le quai Tilstitt, je savais que c'était eux, j'ai compris". Ce soir-là, alors qu'une trentaine d'hommes, en majorité masqués et armés mènent une expédition punitive sur les quais Tilstitt et Fulchiron, A. transporte son enfant de douze mois à l'arrière de son véhicule. "Je leur ai dit en pensant que ça les calmerait, lance-t-elle, tandis que la colère s'immisce dans sa voix. Une pause, un silence, elle ajoute : "Il m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit, 'j'en ai rien à foutre de ton bougnoule'."

L'un des prévenus, né en 1996, vêtu d'une chemise bleue, tête baissée, est plusieurs fois pointé du doigt. "Je l'ai reconnu immédiatement, il avait les yeux clairs", lance A., face à l'homme suspecté d'avoir utilisé un fléau artisanal contre les voitures de familles algériennes ce soir du 19 juillet 2019. Entendu au cours de la journée, il signait ses SMS d'un croix gammée. Plusieurs affiches clairement ancrées dans l'imagerie nazie ont également été perquisitionnées à son domicile. "Vous confirmez qu'il avait les yeux clairs, lance alors le conseil du prévenu, parce que cela ne correspond pas vraiment aux yeux de mon client !", et A. de rétorquer, avec fermeté, "par rapport à mes yeux, vous comprenez qu'il a les yeux clairs".

"C'est eux la racaille"

"Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les faits ?", interroge la présidente du tribunal. "Je veux dire Mme la Présidente que, moi le Vieux-Lyon, je ne peux plus me permettre d'y aller, lance A, dont la colère d'aujourd'hui traduit la peur passée. Mais ils n'auront pas mes larmes, ce ne sont pas nous les racailles, c'est eux la racaille." Dans la salle des pas perdus, chocolat chaud en main, tête baissée, S., aujourd'hui, n'a pas l'énergie de sa camarade d'un jour. "Ces souvenirs, ils restent en moi quatre ans après, toute ma vie à changé, raconte-elle, tremblotante. J'étais chauffeure pour personnes âgées, j'ai perdu mon travail, j'étais en panique, angoissée, vous comprenez qu'aujourd'hui la voiture, c'est très compliquée pour moi."

À la barre ce jeudi, deux des prévenus ont évoqué un rassemblement au Gump's Corner, place Carnot, en prévision de la présence d'éventuels "casseurs", après la victoire de l'Algérie. Le point de départ d'une soirée sur laquelle E., agressé avec son ex-femme ce soir-là, "n'arrive pas à mettre de mots". "Est-ce que toutes ces personnes qui ont témoigné ont des têtes de casseurs ?", interroge la présidente. "Non, bien sûr que non", répond, honteux, l'un des prévenus, étranger aux groupes d'extrême droite mais habitué du virage Sud au Groupama Stadium de l'OL.

Ce vendredi, quatre prévenus doivent encore être entendus. Le tribunal devrait rendre sa décision dans la soirée. "On a de toute façon un peu la sensation qu'il y a une sorte d'impunité de l'extrême droite", déplore d'avance, Me Sarah Just, avocate de A.

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