Bernard Preynat a assuré ce mercredi avoir dit au cardinal Barbarin en 2010 qu’il était coupable d’agressions sexuelles “pendant de nombreuses années”. Ce que l’archevêque avait réfuté durant ses deux procès, parlant alors de “rumeurs”, de “trucs”.
Questionné lors de ses deux procès sur sa rencontre avec Bernard Preynat en 2010, Philippe Barbarin a toujours déclaré que rien de précis n'était ressorti de cette entrevue d'une heure. Le cardinal parlait de “rumeurs”. “Il se dit qu'il y a eu des trucs. Mais personne n'est venu me voir avant 2014 pour me faire part de choses précises”, a assuré l'archevêque de Lyon lors de son procès en appel. Une défense battue en brèche par Bernard Preynat lui-même, ce mercredi. “Il m'a convoqué deux fois, dont une fois en 2010 pour parler d'une nomination. Avant de me nommer ailleurs, il voulait plus de renseignements sur moi et sur les agressions qui m'étaient reprochées. Je lui ai dit que j'ai été coupable d'agressions sexuelles pendant de nombreuses années, mais je ne suis pas entré dans les détails”, déclare le prêtre à la barre. Des propos qu’il avait déjà tenus durant la procédure.
Qu’est-ce que cela change ?
Pas grand-chose finalement. En mars 2019, Philippe Barbarin a été condamné à six mois de prison avec sursis pour “non-dénonciation d'agression sexuelle sur mineur” sur la base de faits de 2014 et d’une rencontre avec Alexandre Hezez, victime du père Preynat. La justice a estimé qu’il aurait dû dénoncer le curé sous ses ordres à ce moment-là. Quant à 2010, les juges de première instance ont expliqué que le cardinal aurait aussi dû dénoncer les faits au moment de sa rencontre avec Preynat, mais que les faits sont prescrits. Les nouvelles déclarations du prêtre pédophile viennent renforcer cette obligation de dénoncer de 2010. Une bonne nouvelle pour les parties civiles, qui plaident que pour cette époque les faits ne sont pas prescrits, l’infraction étant continue et non instantanée. De son côté, la défense de Philippe Barbarin avait concédé des “erreurs de gouvernance, mais pas de fautes pénales”. L’avocat général a lui écarté toute faute pour 2010, ce qui n’avait pas été le cas en première instance où la procureure avait déclaré : “Si le cardinal Barbarin a été informé de faits avant 2013, ils ne peuvent plus être poursuivis pour non-dénonciation.”
Les parties civiles critiquent le calendrier judiciaire
Les avocats des parties civiles, dont certaines l'étaient aussi au procès Barbarin, ont tout de même du mal à digérer la nouvelle déclaration du prêtre. “Ce que vient de dire Bernard Preynat, c'est que l'archevêque de Lyon savait tout depuis 2010. On comprend mieux pourquoi le parquet de Lyon a décidé d'audiencer ce procès après celui du cardinal. Ainsi, les parties civiles ne peuvent pas utiliser ces propos de Bernard Preynat dans la procédure Barbarin. Là où les faits n’avaient pas été confrontés, là ces propos apportent un élément de preuve supérieur qui démontre que les faits pour 2010 sont constitués, qu’ils soient prescrits ou non”, tacle Me Jean Boudot.
L'avocat critique ouvertement le parquet de Lyon. “On est content de retrouver le parquet aujourd'hui, mais là on n’a pas besoin de lui. En première instance, il était absent, recroquevillé sur sa chaise. Et, lors du procès en appel [de Philippe Barbarin], l'avocat général a fait le choix de diffuser sa plaidoirie. Cela veut dire qu'en plus de protéger le cardinal dans la salle d'audience, il veut que cette protection se diffuse à l’extérieur. En vingt ans de carrière, je n'ai jamais vu ça. Quand on lit dans les propos du professeur Yves Mayaud [grand professeur de droit pénal, NdlR] rapportés dans les diaires du cardinal Barbarin, on voit que l'affaire est surveillée en haut lieu, ça éclaire certaines choses.”
Me Boudot fait référence aux agendas du cardinal (diaires) saisis par la justice au diocèse de Lyon. L’archevêque y rapporte les propos du professeur de droit : “Tout sera fait avec l'accord du garde des Sceaux. Suivi de près par le pouvoir “affaire sensible”.”
Lors de son réquisitoire au procès en appel de Philippe Barbarin, l'avocat général avait assuré vouloir “protéger les intérêts de la société” en déclarant qu'il ne fallait pas avoir une interprétation extensive de la “non-dénonciation d'agression sexuelle sur mineur” pour des faits datant d’un quart de siècle, comme c’est le cas pour Philippe Barbarin. Selon lui, en condamnant le cardinal, la justice créerait une “chimère” qui rendrait “imprescriptibles” les affaires similaires, l’obligation de dénoncer s’imposant alors à toute personne ayant connaissance des faits, quel que soit le temps écoulé après ceux-ci, même pour des faits prescrits. Ce débat juridique sera tranché par l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, qui doit être rendu le 31 janvier.