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Quand l’accouchement devient un dangereux business

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Partenariat Lyon Capitale - École de journalisme de Grenoble
Aujourd'hui, la 4e enquête réalisée par des étudiants de M2 de l'EJDG (ICM/Université Stendhal-Grenoble 3). Supervisés par un journaliste de Lyon Capitale, ils ont choisi des sujets complexes et mené librement leur enquête pendant plusieurs semaines.

Chambre de maternité © DR

Depuis quelques années, le nombre de césariennes pratiquées dans les maternités françaises n’a cessé de croître. Un constat pointé du doigt par les spécialistes de l’obstétrique. Pour la Fédération hospitalière de France, cela cache un profond mal-être du système médical français, qui chercherait l’optimisation des coûts plutôt que la qualité des services. Pour le personnel soignant, la cause du dysfonctionnement de l’hôpital a un nom : T2A, ou “tarification à l’activité”. Explications.

En trente ans, le nombre de césariennes pratiquées en France a doublé. Concernant 10,9 % des naissances en 1981, la césarienne est aujourd’hui pratiquée dans plus de 20 % des cas. Un chiffre qui peut paraître anodin, pourtant les critiques fusent, depuis maintenant quelques années. Patrick Pelloux, médecin urgentiste, ne cache pas sa colère : “Ce constat n’est pas normal ! La France est un des pays où l’on pratique le plus de césariennes, sans aucune raison médicale.” Quant à la Fédération hospitalière de France, elle dénonce une volonté d’optimisation des coûts et de planification des naissances.

Déjà, en 2008, son président, Claude Évin, était à l’origine d’une étude dénonçant le nombre exponentiel de césariennes. Sur le plateau du JT de France 2, il insistait sur le fait qu’il y avait besoin de césariennes dans un nombre de cas difficiles, mais dénonçait un différentiel entre maternités : tandis que certaines affichent 9 % de césariennes, d’autres la pratiquent en beaucoup plus grand nombre (43 % à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine et jusqu’à 100 % à l’hôpital privé d’Antony dans les Hauts-de-Seine, selon des chiffres du ministère de la Santé). “Ce différentiel n’a aucune justification, déclarait-il. La plupart des cliniques qui pratiquent le plus de césariennes sont privées. Nous pensons qu’il y a plusieurs explications, qui sont notamment des motivations financières. En termes de confort pour le praticien, le mieux est de programmer un accouchement par césarienne, pour être assuré d’avoir son équipe.”

Santé périnatale : la France de plus en plus mal classée

Alors, comment se traduisent les chiffres ? L’augmentation du nombre de césariennes a-t-il un impact sur la qualité de la médecine en France ? Irrémédiablement, répondent les professionnels. Pour Patrick Pelloux, les conséquences sont même très graves : “La France est passée de la 7e à la 21e place en termes de santé périnatale. On est de plus en plus mauvais. Les médecins mettent en avant le fait de ne pas vouloir prendre de risques, mais il y a toujours un risque.”

Paul Cesbron est gynécologue obstétricien et ancien chef de service de la maternité de l’hôpital de Creil. Pour lui aussi, le recours abusif à la césarienne est dangereux : “On sait que la césarienne multiplie par trois la mortalité pour la mère et augmente les risques de stérilité et d’accidents pour l’avenir. Elle augmente également l’implantation anormale du placenta, ce qui est un risque mortel.”

Alors, pourquoi les médecins succombent-ils à la tentation de la planification des naissances et de l’optimisation financière ? La réponse tient en trois caractères : T2A, pour “tarification à l’activité”. C’est le mode de financement actuel des hôpitaux, qui instaure un cadre unique de facturation et de paiement des activités hospitalières. Plus simplement, avant la réforme hospitalière de 2007, chaque service d’hôpital recevait une enveloppe financière globale pour l’année. Depuis, les hôpitaux – publics comme privés – reçoivent, pour chaque acte hospitalier accompli, un paiement. Son montant est fixé par l’Assurance maladie. Or, il s’avère que certains actes sont mieux remboursés et donc plus rentables que d’autres.

Ainsi, en obstétrique, une césarienne sans complication sera remboursée 3 064,12 euros à l’hôpital tandis qu’un accouchement par voie basse le sera à hauteur de 2 222,95 euros (tarifs 2006). Dans le cas de complications majeures, une césarienne sera remboursée 5 033,12 euros, un accouchement par voie basse 3 438,11 euros.

Un discours aberrant pour les professionnels de la santé

L’année dernière, lors d’une conférence donnée pour Europe Écologie-Les Verts, Évelyne Petroff, gynécologue obstétricienne à la maternité des Bluets (Paris), dressait le bilan catastrophique de la T2A sur la pratique de la profession. Selon des propos rapportés par le Quotidien du médecin, l’obstétricienne ne comprend pas le système imposé aux maternités : On nous dit, à l’hôpital, que nous sommes passés de 19 % de césariennes l’an passé à 16 % cette année. Soit 80 000 euros en moins dans les caisses. Ce discours, aberrant pour les médecins, remet en question toute la conception de notre profession. Lorsque les Bleuets se trouvaient dans le 11e arrondissement de Paris, nous pratiquions 1 950 accouchements par an. Aujourd’hui, la T2A nous oblige à en faire 3 000.”

Le système de la T2A laisse aussi sceptique Paul Cesbron : “La césarienne est mieux payée par l’Assurance maladie qu’un accouchement par voie basse car elle nécessite plus de besoins matériels. Dans le cadre des accouchements, on pratique maintenant la péridurale dans 70 ou 80 % des cas : il faut donc un poste supplémentaire, ce qui représente un coût en plus.”

Malgré ces besoins, le système financier de l’hôpital ne permet pas les créations de postes, comme l’explique l’obstétricien : “Les besoins de personnels hospitaliers augmentent. Les hôpitaux sont aujourd’hui soumis à des conditions financières. Du coup, la plupart font des économies et coupent dans le personnel, mais réduisent aussi la durée moyenne de séjour des patients et privilégient certaines activités. On réduit l’offre de soins pour diminuer les dépenses de santé. Le problème n’est pas uniquement lié à la T2A, mais les pressions administratives sont réelles : ils ont une autre logique que celle des médecins. Mais ces derniers sont obligés de céder, ils ont besoin de cette autorité, sinon ils n’ont pas la conscience tranquille.”

“L’économie de la santé a envahi le cerveau des étudiants en médecine”

Même si, selon Paul Cesbron, la T2A n’est pas la seule responsable de la hausse des césariennes, pour Patrick Pelloux, ce système financier n’est pas viable et est la conséquence de décisions économiques et politiques désastreuses : “La T2A, c’est la marchandisation de la santé. C’est un système voulu par Sarkozy et Bachelot et inventé par des économistes qui nous ont mis dans une merde noire. Ça n’a apporté que des trucs mauvais. On est dans une génération business, éloignée des valeurs humanistes. Vous devriez voir comme c’est incroyable ce que l’économie de la santé a envahi le cerveau des étudiants en médecine.”

Si la T2A a un impact négatif sur l’obstétrique, il en est de même dans l’ensemble du système hospitalier. “Je pense que certains médecins vont jusqu’à faire des soins lucratifs même si ce n’est pas indispensable. Quand ça rapporte, on n’hésite pas”, témoigne Coralie, infirmière au CHR de Lille. Elle fait partie de ce personnel soignant qui souhaite tirer la sonnette d’alarme : l’hôpital public serait mal géré ; pis, il ne permettrait pas d’assurer une bonne prise en charge des patients.

Frédéric Pierru est sociologue, chargé de recherches au CNRS et spécialiste des hôpitaux. Pour lui, la T2A comporte malgré tout des aspects positifs : “Pour certaines spécificités médicales, très techniques, la T2A a été bénéfique : elle a par exemple valorisé le service de la chirurgie.” Évidemment, cet atout cache une grosse faiblesse : la T2A défavorise les pratiques moins techniques, comme la médecine “intellectuelle”, qui demande une interaction avec le patient. La diabétologie est une grande perdante, par exemple. Plus l’activité est technique, plus elle est “industrialisable”, plus elle est valorisable. Les médecines pour les maladies chroniques sont mal valorisées. L’accompagnement et la parole sont délaissés. On soigne à la chaîne. Les hôpitaux sont devenus des usines à soins. [La T2A] déshumanise la médecine.”

Ainsi, la T2A, pensée par des ingénieurs, insufflerait au monde hospitalier une logique d’entreprise, une logique industrielle. Cela s’explique par le constat qui a conduit à sa création : la nécessité de la convergence public/privé. Le sociologue explique : Pour les défenseurs de la T2A, il n’y avait pas de raison pour qu’une opération soit plus chère à l’hôpital que dans la clinique d’à côté. On a voulu aligner tous les prix sur ceux des cliniques. Mais du coup les cliniques ont délaissé certaines activités moins rentables. C’est la politique de la niche : on sélectionne les patients. L’hôpital, lui, est obligé de réaliser toutes les opérations et hospitalisations : il récupère les patients les plus lourds ou les polypathologies.”

“À l’encontre de l’intérêt général”

Dans un rapport sur l’Assurance maladie publié le 22 juin 2010, l’Académie nationale de médecine indiquait : “Nous sommes confrontés au fait que le recours aux soins s’est peu à peu transformé en consommation médicale, et le patient en usager. (…) La T2A est inflationniste, comme l’a montré un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances, ainsi que l’expérience nord-américaine. Elle va donc à l’encontre de l’intérêt général. (…) Elle repose sur des mesures (imparfaites) de l’activité médicale, elle ne permet aucun jugement sur l’utilité et la qualité médicales de cette activité.”

Le 4 mars dernier, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, recevait un rapport sur l’hôpital public. Commandé à Édouard Couty, ancien directeur des hôpitaux et conseiller à la Cour des comptes, il a pour but à long terme d’instaurer un “pacte de confiance” avec l’hôpital public. Ce rapport énumère 46 propositions en vue de réformer l’hôpital. S’il préconise avant tout de “rétablir le service public hospitalier” sur le territoire, il incite également à revenir sur le mode de financement de l’hôpital. Sept propositions étaient donc faites en ce sens, comme “construire un modèle mixte de financement qui comporte trois volets : T2A pour les activités MCO (médecine-chirurgie-obstétrique) de court séjour, mode financement (tarif adapté au parcours de soins) pour les maladies au long court, part en dotation pour les missions d’intérêt général et de service public”.

“Faire basculer la Sécurité sociale vers un système assurantiel”

Le système serait donc mauvais. Alors, pourquoi perdure-t-il ? “Comme il n’y a pas d’autre système inventé, le Gouvernement garde celui-ci, répond Patrick Pelloux. La finalité de la T2A, c’est de faire basculer la Sécurité sociale vers un système assurantiel. Mais c’est la perte de tous les repères humanistes. Il faudrait un système médico-psycho-social, qui définisse les priorités en termes de santé et qui prenne aussi en compte la gestion des personnes âgées et leur perte d’autonomie”.

Frédéric Pierru soutient quant à lui la solution que le rapport d’Édouard Couty avançait, à savoir fusionner trois modes de financement : le prix à la journée, la T2A et une dotation globale. “Gardons la T2A pour le financement des soins techniques, et pour les autres revenons à la dotation globale.”

En matière de césarienne, Claude Évin affirme que l’Assurance maladie doit renforcer les contrôles “quant à l’efficience des actes”, afin de traquer ceux qui sont inutiles.

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