Visage de l’antiterrorisme lors de la vague d’attentats islamistes qui a frappé le pays entre 2012 et 2018, le procureur le plus connu de France dit tout ou presque.
Invité de Quais du Polar, François Molins sera en conférence au tribunal judiciaire de Lyon samedi 6 avril de 16h00 à 17h00.
François Molins a été le visage de l’antiterrorisme lors de la vague d’attentats islamistes qui a frappé le pays entre 2012 et 2018. Devenu le procureur le plus connu de France, après quarante-six années au service de la justice, celui qui a gravi tous les échelons dans la magistrature, jusqu’à celui de procureur général près la Cour de cassation, publie ses mémoires dans Au nom du peuple français (Flammarion).
Lyon Capitale : Malgré votre exposition médiatique, à laquelle vous avez été soumis avec les années terroristes, vous dites avoir eu droit, lorsque vous étiez reconnu dans les lieux publics, à des “monsieur le juge”, “monsieur le préfet”, “commissaire Molins”. Finalement, qu’est-ce qu’un magistrat du parquet ?
François Molins : C’est un métier souvent méconnu. Le magistrat du parquet ne juge pas mais participe à l’œuvre de la justice. Il a pour mission de défendre les intérêts généraux de la société dans le respect des libertés individuelles. Il reçoit les plaintes et procès-verbaux, saisit un service d’enquête, dirige et contrôle l’enquête menée par la police ou la gendarmerie, convient de l’opportunité des poursuites ou classe sans suite, requiert à l’audience une sanction et, si celle-ci est prononcée, la fait exécuter. Tout cela dans un cadre constitutionnel qui lui assigne un rôle de gardien des libertés, et dans un cadre hiérarchique qui fait du procureur de la République le chef de son parquet, sous l’autorité du procureur général près la cour d’appel et du ministre de la Justice. En réalité, très peu de gens identifient réellement les missions d’un procureur, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la vision déformée qu’en donnent les séries anglo-saxonnes. Plus globalement, nos concitoyens connaissent très mal la justice.
Cette ignorance que vous évoquez est-elle liée au fait que, d’année en année, les études d’opinion font état d’une défiance toujours plus grande envers la justice et d’un manque de confiance profond ?
Pas forcément. Mais c’est un fait, les Français connaissent mal le fonctionnement de la justice et la perçoivent comme peu lisible. D’un autre côté, cette défiance signifie aussi que la demande de justice est très forte, dans une société où le niveau d’exigence morale s’est beaucoup renforcé.
Huit Français sur dix estiment que la justice est “trop laxiste” selon un sondage réalisé par l’institut Elabe en novembre 2023…
Je pense qu’ils se trompent. La justice n’a jamais été aussi sévère et les peines prononcées n’ont jamais été aussi importantes. En six ou sept ans, la durée moyenne des peines prononcées par les juridictions correctionnelles a augmenté de plus de deux mois. Le problème qu’on a, en revanche, c’est en matière d’exécution des peines. Je pense que c’est l’un des points faibles de notre justice : les peines ne sont pas exécutées de façon suffisamment effective et rapide. On a en permanence un stock de peines inexécutées de l’ordre de 95 000 à 100 000.
Comment l’expliquez-vous ?
Notre système judiciaire est trop complexe, les lois en matière d’exécution des peines sont beaucoup trop compliquées à mettre en œuvre, et, au niveau des services de police, les moyens manquent cruellement. On traîne cette situation depuis trop longtemps. Du coup, les peines perdent en termes d’exemplarité. La peine a une fonction d’intimidation afin d’éviter que les personnes tentées de violer la loi ne le fassent. Elle doit avoir un effet dissuasif, obéissant à un souci d’intimidation. Il faut donc arriver à redonner du sens à la peine et à son exécution. Il y a deux choses dans la peine : d’abord, une fonction rétributive, c’est-à-dire que vous allez exécuter la peine, punition pour ce que vous avez fait et, ensuite, une fonction de réinsertion, parce que le jour où vous aurez fini d’exécuter votre peine, il faut bien essayer de faire en sorte que vous retrouviez une place dans la société.
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