Quand le terrifiant Monsieur Lamy fait campagne pour décrocher Matignon

Directeur général, jusqu’au 31 août à minuit, de la très libérale Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy s'en est pris -aujourd’hui sur BFM TV- à Arnaud Montebourg et plus largement aux Français, ces vieilleries nombrilistes "à la mémoire reptilienne", jugées incongrues dans le nouveau monde d’insectes vibrionnants, cher au cœur de l’ancien commissaire européen. Qui s’est livré à un non moins vibrionnant plaidoyer pour la mondialisation galopante, avec la courtoise suffisance de celui qui sait et condescend, le temps d’une émission de télé, à se mettre au niveau des pauvres Gaulois, dont "le GPS est détraqué". Décryptage.

L’homme est assurément séduisant, manières polies, voix chaleureuse et regard pétillant d’intelligence. Mais le discours, sous couvert de modernité et en dépit de sa caution "de gauche", est terrifiant. Après un rapide compliment de circonstance, "la France est un pays qui a une image très très forte", Pascal Lamy embraye sur les enquêtes d’opinion et sort l’arme lourde. "Si vous regardez les sondages sur 20 ou 30 ans, la France est toujours dans les pays les plus réputés, les plus reconnus. 1, 2, 3, 4, avec les Etats-Unis, l’Allemagne, le Japon. Image forte, performance économique médiocre dans son ensemble". Puis il enfonce quelques portes ouvertes : la France a un problème de compétitivité en Europe "par rapport à des pays qui sont assez similaires", elle a en outre un problème de chômage et pas assez de croissance, "elle déverse trop d’argent public dans les circuits économiques", et "il faut faire de la réforme". Laquelle ? Monsieur Lamy est bien en peine de le dire, se contentant d’un nombre impressionnant de formules creuses que n’aurait pas désavouées La Palisse.

C’est ça la réforme. Oui mais c’est quoi "ça" ?

"C’est ça la réforme : c’est réorganiser. Les techniciens diraient c’est du re-engenering. Il y a une manière de faire les choses, il faut en trouver une autre qui soit plus efficace et qui donne de meilleurs résultats. (…) C’est faisable. Simplement pour faire ça il faut une perspective, il faut avoir envie de le faire et je crois que le problème de la France en gros, c’est que les Français n’ont pas très envie de le faire parce qu’ils ne voient pas ce que ça leur rapporterait". Ça, c’est du raisonnement ! Quelle vista ! Quel génie ! Poussé dans ses retranchements, M. Lamy nous fait le vieux coup du thermomètre, version numérique : "A mon avis, une partie du problème vient du fait que le GPS des Français est un peu détraqué. (…) Moi je pense, de là où je suis (NDLR : le siège de l’OMC est à Genève), que la France a des tas d’atouts pour s’en sortir, simplement, elle ne les voit pas, elle ne les connaît pas. Elle voit en quelque sorte les choses de manière négative, les Français sont les champions du monde du pessimisme". Quels atouts ? Comment s’en sortir ? Nous ne le saurons pas. Mais nous savons déjà, comme le disait un ancien candidat à la présidentielle, que "tout est possible". Tout de suite, on se sent beaucoup mieux et l’on devient moins pessimistes.

"Les Chinois sont 5 fois moins productifs que les Français"

Puis il poursuit : "Je ne vais pas faire de polémiques avec Arnaud Montebourg (lire ici) qui n’en valent pas la peine, mais disons que s’il y a un exemple de GPS qui, à mon avis, a quelques problèmes, c’est lui oui. (…) Les problèmes qu’il met en avant, c'est-à-dire "c’est la faute de la concurrence des Chinois", ce n’est pas ça. La France exporte en Chine (sic). C’est vrai que les salaires des Chinois sont inférieurs à ceux des Français, c’est vrai qu’ils sont payés 5 fois moins que les Français. Mais comme les Chinois sont 5 fois moins productifs (sic) que les Français, comme ce qui compte c’est la productivité horaire, il ne faut pas en déduire que les Chinois font du dumping social (sic)". Cette arithmétique de bazar a dû faire sourire les Chinois. Elle ne peut que révolter les entrepreneurs français qui se battent tous les jours, dans le monde réel, pour que survive leur entreprise, dans un contexte concurrentiel qui leur est absolument défavorable, mais que des technocrates tels que M. Lamy, et avant lui son mentor Jacques Delors, ont largement contribué à (dé)construire et continuent de défendre becs et ongles sans le moindre état d’âme, parce que, selon eux, "c’est tout simplement le sens de l’histoire". Vive le grand marché européen, si vous n’avez pas pris votre ticket à temps, tant pis pour vous, les places sont de toute façon limitées.

Les poulets brésiliens et ivoiriens

Puis M. Lamy y va de plus belle et, emporté sans doute par son élan, se lance carrément dans l’intox. "Si vous regardez sur 20 ou 30 ans, l’euro est stable (NDLR l’euro n’a été lancé que le 1er janvier 1999), la monnaie chinoise s’est appréciée, le dollar est stable. (…) L’Europe se protège autant que les pays de niveau de développement équivalent. L’Europe a, à ses frontières, des barrières techniques et réglementaires. Il ne rentre pas en Europe un poulet brésilien ou ivoirien, qui ne respecte pas les normes sanitaires des poulets européens. Dans le monde d’aujourd’hui, ce qui compte, dans les échanges, dans la manière dont ils sont ouverts ou fermés, ce n’est plus tellement les droits de douane. Le droit de douane moyen mondial, c’est 5%. Ce qui compte ce sont les réglementations, les standards, la sécurité, les questions sanitaires. Et de ce point de vue là, franchement, vu de Genève, l’Europe est bien protégée". Ou comment glisser subtilement des questions de taxes, de charges, de concurrence, de dumping social, de coût du travail… vers les questions sanitaires. M. Lamy ne vit plus en France depuis longtemps et ça se voit. Mais son cabinet n’a cependant pas oublié que les Français étaient sensibles à ces questions et lui aura sans doute préparé cet argumentaire destiné à marquer les esprits, en pleine crise alimentaire.

"Le monde d’aujourd’hui c’est comme un pays"

Pour finir, M. Lamy sonne le glas des pauvres espérances françaises. "Il y a des pulsions protectionnistes (sic) parce qu’un certain nombre de gens considèrent encore que restreindre les importations c’est protéger les emplois. Ca ne marche plus. (…) Le monde aujourd’hui c’est comme dans le temps un pays : il y a un morceau qui est produit ici, un autre morceau qui est produit là. C’est ce qu’on appelle des chaînes de production globales. Et donc ca remet complètement en cause cette idée, qui je le reconnais subsiste dans un certain nombre de cerveaux, on a toujours une mémoire reptilienne. Eh bien la mémoire reptilienne, c’est la mémoire mercantiliste, c’est l’idée que les importations ce n’est pas bien, et les exportations c’est bien. Eh bien ça, ça ne marche plus nulle part dans le monde". Français de toutes provinces et de toutes conditions, chômeurs, travailleurs précaires, patrons arriérés, reptiles en tout genre, réjouissez-vous ! Vous êtes les heureux maillons d’une "chaîne de production globale" et n’oubliez pas, une chaîne tenant toujours par son maillon le plus faible, cela ne fait plus aucun doute : d’après les critères de M. Lamy, vous êtes définitivement condamnés.

Vers un grand suicide collectif

Comme dans la nouvelle de Dino Buzzati, L’Entrümpelung, vous voilà, pauvres franchouillards fatigués et déprimés, enfin arrivés au terme de votre voyage, dans la grande métropole de la mondialisation. "Aussi, écrivait l’auteur italien, il existe des jours de fête pendant lesquels l'homme se réjouit. Mais comment ? Une de ces fêtes les plus importantes tombe vers la mi-mai et s'appelle Entrümpelung, coutume qui est peut-être d'origine germanique et dont le nom signifie déblayage, nettoyage en grand. Chaque maison, le 15 mai, se débarrasse de ses vieilleries en les déposant ou en les lançant par les fenêtres sur les trottoirs. La population de la fosse de l'Enfer se défait des choses cassées, usées, inutilisables, antipathiques, ennuyeuses. C'est la fête de la jeunesse, du renouveau, de l'espérance, ah !" M. Lamy, donnons-nous rendez-vous le 15 mai dans nos belles provinces, vous assisterez en direct au plus grand suicide collectif de l’histoire contemporaine. Mais au fait, ça se suicide comment, un reptile ? Ah !

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