Depuis quelques années, la 3D, le virtuel s’invite dans de plus en plus de domaines de la vie courante. Au cinéma, les effets visuels et sonores que propose la 3D (cf. Avatar, Le Hobbit, L’Âge de glace, Spiderman) transforme la participation des spectateurs du tout au tout, en les précipitant à la place des héros dans le scénario “comme s’ils y étaient”, pour leur plus grand plaisir. Les jeux vidéo banalisent également son utilisation. Mais, bien loin du divertissement, un autre secteur semble tout aussi prometteur, celui de la santé psychique. La 3D est en effet utilisée désormais dans le traitement des phobies, des troubles obsessionnels compulsifs (TOC), des troubles anxieux. Une démarche efficace au vu des résultats, mais étonnante. Comment comprendre en effet qu’un patient accepte de s’immerger dans des mondes qui le terrorisent habituellement au point de provoquer des troubles comportementaux si envahissants qu’ils l’empêchent de profiter de tout un pan de sa vie sociale ? Pour décrypter ce phénomène, rencontre avec le psychanalyste Rodolphe Oppenheimer, l’un des experts de cette méthode en France, qui vient de cosigner un ouvrage sur le sujet* à l’intention des patients comme des professionnels.
Vous utilisez la 3D pour une méthode innovante : la TERV, thérapie par exposition à la réalité virtuelle. C’est-à-dire ?
Rodolphe Oppenheimer : La réalité virtuelle, comme vous le rappelez, devient de plus en plus présente dans nos vies. D’utilisation simple, les réactions visuelles, sensorielles, émotionnelles qu’elle suscite ont été étudiées par les scientifiques et le corps médical, ce qui a débouché notamment sur la mise en place de programmes de soins destinés à des personnes atteintes de phobie. Les phobies touchent 10 % de la population. Avec ce procédé, nous traitons quasiment l’ensemble des phobies mais les demandes concernent surtout pour le moment des peurs telles que la peur de l’avion, la peur de la voiture, la peur des animaux, la peur du sang, etc. Aucune méthode ne marche à tous les coups, il en est de même pour la 3D appliquée au soin. Nous sommes inégaux face à la 3D, nous n’y réagissons pas tous de la même manière. Certains patients manifestent parfois par exemple, en cours de séance, des phénomènes dits de “cyber-malaise” qui résultent du stress, de l’angoisse qu’ils ressentent. Cela ne représente aucun danger pour eux. Quand cela arrive, il suffit de faire des pauses toutes les deux, trois minutes, pour les aider à s’accoutumer doucement à la situation de stress qui leur est présentée et dont ils ont peur puisqu’elle met en scène leur phobie. Dans d’autres cas, comme lors du traitement de la phobie de l’avion, à l’image des pilotes de ligne ou des pilotes de chasse qui, eux, vont presque tous les jours dans des simulateurs, des personnes peuvent nous dire très simplement “Oui, je sais que je ne suis pas dans un avion” car elles savent que, dans ce contexte, elles ne risquent rien puisque c’est du virtuel, et tout se passe bien pour elles. Mais peu importe qu’elles perçoivent qu’il ne s’agit pas de la réalité. Ce qui compte ici, c’est qu’elles fassent cet entraînement et que leur cerveau lui s’accoutume à ce qui se passe. Les patients mis dans ce genre de situation font leur apprentissage pour les mêmes raisons que le ferait un pilote : contraindre le cerveau.
Quels sont les critères qui font que cela peut “marcher” sur certains de ces patients ?
Il y a plusieurs critères. Tous sont liés. Le premier critère est la motivation, ici comme pour mener à bien toute autre entreprise, elle est déterminante. Il faut ensuite que la personne soit d’accord pour répéter ces exercices et apprendre certaines méthodes liées aux TCC [thérapies comportementales et cognitives), ce qui suppose un certain effort. Il est important également qu’elle accepte les recommandations qui lui sont faites dans ce cadre, pour accompagner son soin : diminution de la consommation de café, de tous les stimulants, pratiquer une activité physique, etc. Enfin, elle doit apprendre les méthodes Jacobson, Acara, le training autogène de Schulz, qui sont essentielles à la bonne marche du processus, ce que nous faisons avec elle pendant les consultations. Il peut arriver que cela ne fonctionne pas. Nous faisons alors un bilan précis de la situation, et très souvent nous retrouvons les mêmes causes : rendez-vous manqués, manque de motivation, ou des bénéfices secondaires dus à la phobie plus importants que les bénéfices du traitement. Par exemple : Je ne sors pas de chez moi, tout le monde vient à moi, finalement je reste roi en restant phobique. Cela est rare. En général, un patient qui souffre est très motivé et va tout faire pour ne plus subir ses phobies.
Vous dites que cette méthode aide à reconceptualiser le monde réel et à le voir de manière plus rassurante une fois sorti du cyberespace en 3D… Cela marche-t-il aussi bien pour les personnes âgées que pour les jeunes, qui sont plus habitués à s’immerger dans des univers de ce type ?
Par chance, il n’y a pas d’âge pour se soigner par la réalité virtuelle. J’ai eu pour ma part des patients de plus de 80 ans qui souhaitaient réaliser le rêve de leurs petits-enfants, qui souhaitaient les emmener avec eux à la découverte de destinations lointaines et qui sont venus me voir pour que je les aide à surmonter leur peur de “l’aventure”. Les jeunes sont, c’est vrai, plus réceptifs à ce type de méthode, mais ils ne sont pas habitués au genre de cyberespace que nous proposons. Notre procédé, bien que s’inspirant des jeux vidéo, est différent. Il permet une re-conceptualisation très particulière du réel, et propose une confrontation au monde qui les tétanise qui n’existe pas dans les jeux vidéo. Il n’est donc pas important d’avoir, ou pas, l’habitude de s’immerger dans la 3D via des jeux vidéo ou des films pour que les résultats soient plus probants et plus vite. Seules les séances répétées sont une aide.
Dans le livre, vous dites que la 3D permet une thérapie plus progressive et plus motivante qu’une thérapie classique. Comment des patients terrorisés par exemple à l’idée de prendre l’avion, l’ascenseur, ou par la foule, peuvent-ils accepter de s’immerger dans un univers visuel et sonore qui provoque habituellement en eux de telles paniques ?
Prenons l’exemple de la phobie du métro. Dans la réalité virtuelle, nous accompagnons nos patients virtuellement pas à pas. Nous suivons sur nos ordinateurs ce que voient nos patients dans le casque de réalité virtuelle et nous avançons virtuellement avec eux sur une place proche d’une bouche de métro, par exemple. Au fur et à mesure de leur progression vers la station de métro, nous leur demandons d’évaluer leur niveau d’angoisse de 0 à 100. Zéro correspond à la détente, 100 serait une impression de mort imminente. En général, dès que le patient se rapproche de la bouche de métro, son niveau de stress augmente. À ce moment-là, grâce aux différentes méthodes dont nous disposons, nous lui apprenons à gérer son stress en respirant et par conséquent à faire baisser son niveau d’angoisse. Dès qu’il nous dit “Ça va mieux, mon niveau d’angoisse est redescendu”, nous faisons avec lui quelques mètres de plus en direction du métro ou dans le métro. L’intérêt est de faire les choses tout doucement, en vivant la situation avec le patient et en donnant des indications précises pour chaque nouvelle sensation éprouvée, ce que nous ne pouvons pas faire dans la vie quotidienne. Grâce à cette méthode, le patient, en confiance, avance à son rythme dans des conditions optimales.
Selon une étude d’une équipe de neuroscientifiques anglais de l’université de Goldsmiths et du Thrill Laboratory, la 3D aurait des effets bénéfiques sur notre santé et regarder des films en 3D permettrait d’augmenter la “puissance de notre cerveau”. Dans leurs tests, les spectateurs-cobayes ont vu leurs capacités de processus cognitif augmenter de 23 %, leur temps de réaction s’améliorer de 11 %, et il sont bénéficié d’un “boost” du cerveau pendant 20 minutes après le film. Est-ce ce type de processus qui est pris en compte dans la TERV ?
Votre étude ne montre rien de négatif néanmoins la guérison des troubles anxieux par la réalité virtuelle est le fruit d’environnements correspondant audit trouble et au travail patient-thérapeute qui est réalisé, main dans la main. Cette étude montre simplement que les thérapies de ce genre ont eu raison de s’emparer de cet outil fantastique.
Prenons l’exemple d’un agoraphobe. Sur quels critères le thérapeute décide-t-il, à un moment donné de la prise en charge de l’un de ses patients, qu’il peut terminer le traitement chez lui ?
Le thérapeute voit dès la première séance de thérapie virtuelle où commence et où s’accentue le niveau d’angoisse de son patient et comment il peut l’accompagner. Au fur et à mesure des séances, le patient fait part de ses ressentis, des améliorations, et le thérapeute s’adapte au feed-back de son patient. Il s’agit toujours de faire ensemble ce travail. C’est un travail d’équipe. C’est donc également ensemble que nous décidons quand le patient peut commencer à se déplacer seul et se confronter, dans le réel, à l’objet de la phobie. C’est en général très différent de ce qu’il a connu par le passé puisqu’il est désormais armé des techniques qu’il a apprises du thérapeute et de ses expériences en séances.
Avant cette confrontation avec la réalité, une étape se fait à domicile. N’existe-t-il pas des risques de panique accrus à laisser le patient finir ce processus chez lui, en étant qui plus est en contact avec un entourage non préparé à ce qui peut se passer ?
En réalité, non. Le patient ne commence chez lui qu’après l’avoir décidé avec son thérapeute et en sachant évaluer sur l’échelle de 0 à 100 son angoisse. Il sait qu’à ce stade il ne doit pas dépasser les 25. Lorsque cela arrive, il lui suffit de reculer de quelques pas, de quelques mètres, pour éviter une crise d’angoisse. Chez eux, les patients s’entraînent aux mêmes exercices qu’avec moi. Le faire à domicile donne des résultats plus rapides. Et, s’ils ont besoin de faire des points d’étape, il leur suffit de demander un rendez-vous. La confrontation avec la phobie, qui est le seul test concret qui compte finalement, se fait après l’avoir décidé ensemble. Ce retour dans la “vraie vie” varie selon les personnes. En termes de psychanalyse, quand un patient me demande en combien de temps il sera guéri, ma réponse est toujours : “C’est à vous de me le dire.” Cela montre combien la motivation est un élément essentiel à toute thérapie, quelle qu’elle soit, psychanalytique ou non, ou les deux.
Revenons sur les aspects pratiques. Vous en détaillez beaucoup dans votre ouvrage mais, pour donner un aperçu, qui pratique cette méthode en France ? Avec quelle formation ?
Toutes les personnes qui se sont formées en TCC : hôpitaux, psychiatres, psychologues, psychanalyste, kinésithérapeutes.
Quelle prise en charge ?
Les médecins peuvent faire des feuilles de soins, les hôpitaux remboursent.
Le coût du matériel n’exclut-il pas certains patients ?
Les coûts baissent de plus en plus. Ajoutons que des prestataires s’adaptent à des demandes personnelles et spécifiques.
Autres domaines de la santé psychique où la 3D est expérimentée pour améliorer le fonctionnement du cerveau ou lutter contre certaines formes de dégénérescence séniles ?
Personnellement, je ne me suis pas penché sur ces études. Il est certain cependant que la 3D, dans l’avenir, c’est la possibilité d’une meilleure prise en compte de notre santé, par exemple en aidant les chirurgiens à augmenter leurs performances. Cela se fait déjà dans certains blocs opératoires, avec des résultats très probants et valorisants pour les hôpitaux français.
* Biblio
• Rodolphe Oppenheimer, Éric Malbos & Christophe Lançon, Se libérer des troubles anxieux par la réalité virtuelle, éditions Eyrolles, décembre 2017
• Rodolphe Oppenheimer, Peurs, angoisses, phobies, par ici la sortie, éditions Marie B, octobre 2017