Suite à l’appel à candidatures du CSA du 18 octobre 2011, 34 dossiers seront déposés quai André Citroën. Le jour même de la clôture officielle des dépôts, soit le 12 janvier 2012, nous avions déjà la liste des 6 chaînes qui émettraient onze mois plus tard. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Aurions-nous le don de seconde vue cher à Balzac ? La vérité est plus prosaïque : l’appel à candidatures fonctionne à l’envers, et n’est lancé par le CSA que lorsque l’Élysée a donné son aval aux futurs bénéficiaires. Alors, dans ces conditions, pourquoi concourir quand même ? C’est que le pouvoir a nourri un doute grandissant sur le groupe NextRadioTv, dirigé par Alain Weill : situation financière et personnelle extrêmement fragile, chiffre d’affaires issu à 90% de la publicité, actionnariat de plus en plus dilué, positionnement éditorial jugé trop opportuniste… les principaux conseillers de Nicolas Sarkozy -Patrick Buisson, président de la chaîne Histoire, appartenant au groupe TF1, et Camille Pascal, ancien secrétaire général de France Télévisions- finiront eux-mêmes par douter du bien-fondé de leur décision initiale. Jusqu’à ce que Weill les menace, en pleine campagne présidentielle, de "lâcher tous les matins Bourdin contre Sarkozy". On ignore si l’animateur était au courant, mais l’argument fut en tout cas décisif, puisque le groupe Next obtiendra finalement RMC Découverte, dont Weill fera, comme on pouvait s’y attendre, un robinet de docus-réalité bas de gamme, made in ailleurs.
Alain Weill est coutumier de ce type de comportement, et nous l’avons nous-même expérimenté avec un certain amusement tout au long du processus destiné à désigner les nouvelles chaînes de la TNT. Inconnu du grand public, ce tueur de coûts aux méthodes radicales, qui, à l’instar de son modèle Lakshmi Mittal, ne s’embarrasse guère de questions sociales mais profite à fond de toutes les failles du système et rêve de produire de l’info sans journalistes, sait se faire complètement oublier pour jaillir au moment opportun, tel un crocodile mangeur d’hommes. A plusieurs reprises, quand il a appris que nous étions dans la course, avec quelques chances d’obtenir à sa place le canal qui lui avait été promis, il a fait écrire et publier contre nous des articles très ciblés et plutôt nauséabonds, sur le mode, "attention, le projet D-Facto est porté par des gens très à droite". Assez piquant, quand on entend son animateur vedette Jean-Jacques Bourdin tous les matins sur RMC, relancer les auditeurs sur un mode populiste. A côté, les militants du Front national passeraient presque pour de gentils socialistes ! Bref, une posture autant qu’une imposture.
Ainsi, juste avant notre audition au CSA le 8 mars, Alain Weill, qui paie ses salariés au lance-pierres (à l’exception notable de Bourdin émargeant à 23.000 euros mensuels) mais qui sait aussi s’appuyer utilement sur certains syndicalistes, fera publier une ignominie dans le n°2078 de La Lettre de L’Expansion du 5 mars. Selon la brève, les conseillers du CSA devaient concentrer notre audition sur nos positions politiques censées être proches de l’extrême droite… Évidemment, il n’en sera rien, mais cette lettre confidentielle sera pourtant largement photocopiée et distribuée. C’est une méthode éprouvée, la sempiternelle histoire de la paille et de la poutre : quand on est incapable de convaincre par son propre talent, on tente de salir et de discréditer son compétiteur, en lui reprochant ses propres turpitudes.
Un financier vorace et sans états d’âme
Alain Weill procèdera ainsi avec nous à plusieurs reprises, tantôt sur ses propres sites d’information, en n’hésitant pas à faire relayer des "articles" pourtant attaqués en justice, tantôt via La Tribune, un beau cadeau que lui a fait Bernard Arnault en 2008, avec plus de 40 millions d’euros de trésorerie… que Weill consommera en à peine deux ans avant d’abandonner le navire à Valérie Decamp, sa directrice générale, pour un euro symbolique. Depuis, La Tribune n’en finit plus de mourir. Simultanément à ses campagnes de presse, Alain Weill nous fait toujours envoyer un mail par sa régie afin, sait-on jamais, que l’on achète de la pub à ses chaînes. Business is business et, pourvu qu’il rentre, l’argent n’a pas d’odeur, et, en tout cas, il n’empeste plus "l’extrême droite".
De : <xxxxxxxxxxx@nextregie.fr>
Objet : RE: RDV BFM Business
Date : 18 décembre 2012 12:02:13 HNEC
À : Didier Maïsto
Cc : yyyyyyyyyy@nextregie.fr
Bonjour Monsieur,
Auriez-vous quelques disponibilités à me proposer à la période la plus propice pour vous ?
Merci d’avance.
Xxxxxx de Xxxxxxx
Directeur de la Publicité
BFM BUSINESS Radio / TV / Web
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12 rue d’Oradour sur Glane
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Port : 06 20 93 XX XX
En ce qui nous concerne, en quarante-deux ans d’existence, nous n’avons jamais vendu une seule société, jamais procédé à aucun plan social, mais au contraire créé et sauvé plusieurs milliers d’emplois en France. En période de crise, nous naviguons au plus juste mais nous n’abandonnons pas nos matelots. C’est ce qu’Arnaud Montebourg appelle "le patriotisme économique" et Alain Weill "l’extrême droite". Au commencement était le Verbe…
Le plus drôle dans tout cela, c’est qu’au fil du temps nous nous sommes pris au jeu. Nous étions, au départ, quasiment sûrs de n’obtenir aucun canal, puisque, comme je l’ai déjà écrit, les jeux étaient faits en amont et que nous connaissions la liste des 6 chaînes. Et puis, dans ce petit monde médiatico-politique où l’addition des intérêts particuliers fait rarement l’intérêt du public, je décidai, en accord avec mon équipe, de jouer les candides. Le résultat fonctionna bien au-delà de ce que j’avais espéré !
Je n’ai jamais trouvé d’explication satisfaisante, mais quand on prend l’air vraiment idiot –les mauvaises langues diront que je n’ai pas à me forcer- les gens vous parlent… et vous parlent beaucoup. En l’occurrence, je parviendrai même à les faire écrire. Pratique, ensuite, pour remonter le temps et ne pas commettre d’erreur. Car il faut savoir rester modeste et admettre que la mémoire, c’est comme la télé, ça peut jouer des tours.
Mon rendez-vous avec Buisson
Le président d’un institut de sondage, auquel nous commandons de temps à autre des études, proposa de me mettre en contact avec Patrick Buisson, le principal conseiller de Nicolas Sarkozy, alors président de la République. "C’est lui qui tire toutes les ficelles, je peux t’organiser un rendez-vous. Il connaît tout ça par cœur, en plus c’est le patron de la chaîne Histoire, qui appartient à 100% à TF1". Banco. Le grand manitou se fera un peu désirer et je devrai laisser deux messages avant qu’il me rappelle. Rendez-vous est finalement pris le 25 janvier 2012 à 18h00 au Royal Monceau. Ne souhaitant pas m’y rendre seul, je me ferai accompagner par le consultant qui nous a aidés à élaborer notre projet, bon connaisseur des arcanes du CSA et dont je tairai le nom, pour ne pas le gêner dans ses activités professionnelles. Le patron de l’institut de sondage sera également présent au rendez-vous.
Tout vêtu de noir, Patrick Buisson arrivera avec une demi-heure de retard. Nous passons en revue les différents projets.
Patrick Buisson : Bon, on ne va pas se raconter d’histoires, TF1 et M6 c’est fait, NRJ et TVous la Diversité aussi. Restent les cas BFM et L’Équipe, pour eux c’est un peu plus compliqué.
Didier Maïsto : Les autres chaînes je peux comprendre, mais TVous, franchement, ça me dépasse complètement. Comment peut-on sérieusement défendre un tel projet ? La diversité ça doit être transversal, ça ne peut pas être sur un seul canal, ça n’a pas de sens…
PB : Ne cherchez pas à comprendre, sa chaîne il l’a, c’est déjà fait, c’est comme ça.
DM : C’est ce que tout le monde me dit, mais moi j’aime bien ça, chercher à comprendre. C’est même mon métier. Et là, chaque fois que j’essaie d’en savoir plus sur ce dossier, il y a comme un malaise qui s’installe…
PB : Donc, comme je vous l’ai dit, il y aurait peut-être quelque chose à jouer pour vous. Weill est fragile en ce moment et pour L’Equipe, contrairement à ce qu’on raconte, rien n’est encore fait.
DM : Mais on m’a dit que madame Amaury en personne était venue plaider sa cause auprès de Nicolas Sarkozy…
PB : Oui, d’accord, mais ça ne veut pas dire qu’elle aura sa chaîne.
(A ce moment, Patrick Buisson prend notre volumineux document de présentation de la chaîne, puis le repousse d’un air un peu dédaigneux).
PB : D-Facto ça ne veut rien dire ! Quelle est la promesse de la chaîne ?
DM : Comment ça la promesse ? C’est écrit en toutes lettres ! D-Facto, la chaîne docs et débats.
PB : Ce n’est pas assez précis ça, pas assez thématique. La chaîne Histoire, on sait tout de suite ce que c’est.
DM : Vous préféreriez quoi ? D-Facto, la chaîne de Sarko ?
(Patrick Buisson, surpris sans doute par mon franc-parler, me regarde droit dans les yeux et esquisse enfin un sourire).
PB : Bon, faites-moi porter un exemplaire par coursier demain matin.
DM : Il paraîtrait que certains conseillers auraient des velléités d’indépendance, à cause des sondages…
PB : Pff... Quand Sarkozy dit quelque chose, le président du CSA écoute. Demain je suis à l’Elysée, je lui en parle.
Sur les rives d’Atlantico
Le lendemain, c’est en fait le patron de l’institut de sondage qui me rappellera, pour me demander de recevoir, dans les meilleurs délais, le fondateur du site Internet Atlantico, Jean-Sébastien Ferjou (que j’avais déjà reçu quelques mois plus tôt, mais je n’avais pas donné suite). "Ça peut favoriser ton dossier" me glissera-t-il, il cherche des fonds pour se développer et Patrick a pensé que vous pourriez l’aider. Le procédé est plutôt inédit et pour le moins direct, mais je recevrai à nouveau Jean-Sébastien Ferjou, le lundi 30 janvier à 16h00, un homme au demeurant sympathique, intelligent et cultivé, avec lequel le courant est bien passé. Bien entendu, je ne m’engagerai sur rien, si ce n’est de nous revoir.
Pendant ce temps, Alain Weill continuera à s’agiter. Concurrencé par L’Equipe du côté de son projet de chaîne sport -laquelle venait d’obtenir le soutien du CNOSF -Comité national olympique et sportif français- concurrencé contre toute attente par notre projet du côté de sa chaîne documentaire de secours, il développera une stratégie vers trois directions. Primo, il continuera à tenter de nous discréditer dans la presse, jamais directement, mais par le biais de journalistes dociles restés dans son giron.
Ainsi, dans La Tribune encore, pourra-t-on découvrir une nouvelle ignominie, à savoir que notre chaîne était "censée donner la parole à tous ceux qui n’apparaissent pas dans les grands médias" et faire valoir "tous les points de vue"... et bien sûr le journal fera perfidement le lien avec de prétendus « détracteurs » (lesquels ? ce n’est évidemment pas précisé) qui pointeraient nos idées "flirtant avec l’extrême droite". Si j’ai effectivement rencontré Alain Weill (une fois) et Patrick Buisson (une fois aussi), je le jure, je n’ai jamais pris ne serait-ce qu’un café avec Jean-Jacques Bourdin….
“Je vais lâcher Bourdin contre Sarko tous les matins”
Deuxio, il pleurnichera durant ses auditions sur le mode "on a tellement travaillé, vous ne pouvez pas nous faire ça mesdames et messieurs les conseillers", avec un incroyable talent d’acteur, qui arracherait des larmes dans les chaumières. Tertio, il déploiera ce qui sera sans doute le plus efficace, une véritable stratégie de terreur. N’oublions pas que nous sommes dans la période janvier/mars 2012, en pleine campagne présidentielle, Sarkozy est plombé, Hollande s’envole dans les sondages et Buisson est à la manœuvre. C’est une vraie partie de poker menteur qui va se jouer alors entre Sarkozy et Weill. En ce qui nous concerne, nous étions censés représenter, pour le pouvoir de droite, la solution de repli – et effectivement, nous étions jugés crédibles par les spécialistes car nous avions les reins assez solides pour cela, tant sur le plan financier que sur le plan professionnel.
Dans un premier temps, Weill tentera de convaincre Sarkozy – qui se plaignait du mauvais traitement infligé, selon lui, par BFM- en affirmant qu’au contraire la chaîne était bien ancrée à droite, qu’elle était une chaîne libérale qui lui apporterait un soutien décisif dans la bataille difficile qui s’annonçait, et que déjà, avec le traitement en continu de l’affaire DSK, elle avait bien dézingué le PS. Pas assez convaincant et trop opportuniste, jugera Sarkozy. Dans une situation financière difficile, en proie à de sérieuses difficultés personnelles, Alain Weill jouera alors son va-tout, menaçant, selon sa propre expression, de "lâcher Bourdin contre Sarko tous les matins". Sarkozy et son cabinet se débineront assez vite et finiront par lui délivrer un troisième canal, tant il est vrai qu’à l’époque le candidat Hollande était donné à 32% au premier tour… et gagnant à 58% au deuxième et qu’il fallait bien se raccrocher à quelque chose et tenter de fabriquer des obligés, surtout dans ce monde de la télé qui fascine tant les politiques, et réciproquement.
Allô allô, y a plus d’eau dans le tuyau
Personnellement, j’aurai alors de plus en plus de mal –et pour cause- à obtenir des renseignements de la part de Patrick Buisson, mais également de la part de Camille Pascal -je reviendrai dans un prochain épisode sur mon rendez-vous totalement surréaliste à l’Elysée, avec un certain Norbert Balit (ici) et ce fameux Camille Pascal, qui fut la plume de Sarkozy durant la campagne, après avoir été l’ancien secrétaire général de France Télévisions (ici). Mais personne n’aura le courage de me dire simplement que "les carottes étaient cuites"… alors que j’étais par ailleurs informé de la situation en temps réel. Car ce qui caractérise avant tout le petit monde de la télé, c’est le fait qu’on s’y trahisse encore plus vite et plus fort que dans le monde politique, c’est dire. Pourquoi ? "Parce qu’en plus des questions d’ego il y a des questions de fric", me confiera une collaboratrice du CSA le 15 février, à l’occasion d’un déjeuner en tête à tête à côté de la Maison de la radio.
Alors, perdu pour perdu – et sincèrement, je peux le dire aujourd’hui, je ne pensais même pas arriver jusque là quand on s’est lancé dans l’aventure – j’ai décidé de m’amuser un peu... et de continuer à envoyer des mails à mes deux interlocuteurs sur le sujet. J’écrirai ainsi à Patrick Buisson le 13 mars à 20h15. Réponse à 23h22 : "Je m’occupe de votre dossier et vais en parler au Président. Bien à vous, PB". Puis le 15 mars à 12h00, réponse à 12h12 : "Je viens de parler au PR. Je vous tiens informé". Ensuite, le 16 mars à 15h04, à Patrick Buisson et à Camille Pascal, pour les informer du soutien de Yazid Sabeg et de Salima Saa à D-Facto. Réponse de Patrick Buisson, 9 minutes plus tard : "Tous ces "soutiens" sont totalement inutiles… Ne perdez pas votre temps". Puis, le 19 mars à 15h38, réponse de Patrick Buisson à 15h51 : « Je préviens le PR ». Le 20 mars à 11h14, à Patrick Buisson et à Camille Pascal, réponse de Patrick Buisson à 11h30 : "Je suis le dossier avec l’intéressé". Et enfin, le dernier mail, le 23 mars à 17h13, réponse de Patrick Buisson à 17h37 : "Je vous transmettrai les infos dès que nous en aurons. Bien à vous. PB".
D-Facto in memoriam
Las ! Le canal officieusement officiel ne me transmettra plus aucune info et le 27 mars à 14h05, je recevrai le mail suivant, d’une personne méritante et qui s’est bien démenée pour notre projet, au cœur de ce système si particulier et pour laquelle, là encore, je souhaite préserver l’anonymat afin de lui éviter des ennuis.
De : < >
Objet : Réexp : Communiqué CSA : Sélection de six nouvelles chaînes en haute définition pour la TNT
Date : 27 mars 2012 14:05:39 HAEC
À : Didier Maïsto
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C'est malheureusement raté pour le magnifique projet D-FACTO, qui aurait pourtant apporté tellement d'air frais au paysage...
Le CSA a joué les pures cartes politiques :
- 1 "grosse" chaîne généraliste à chacun des groupes TF1 (HD1), M6 (6Ter) et NRJ (CHERIE HD), telles que ces groupes le demandaient
- 1 chaîne sportive, à L'EQUIPE TV, assez légitime
- 1 chaîne au groupe NEXTRADIO TV (RMC Découverte), malgré toutes les faiblesses de ce groupe et de ce dossier
- enfin 1 chaîne de pur affichage politique, TVOUS LA DIVERSITE, offerte à un faiseur de fric aux multiples réseaux.
D-FACTO était bien dans la "very short list" mais a été victime des arbitrages en faveur de RMC Découverte et de TVous la Diversité, dans des conditions qui, je l'espère, seront éclaircies un jour.
Mais j’éclaircis, cher ami, j’éclaircis.
Didier Maïsto