canon
©DR Des rebelles syriens du groupe Jabhat al Nusra

Qui arme la rébellion syrienne ?

Au moment où les chancelleries occidentales, France comprise, assurent hésiter encore sur la décision de livrer des armes aux rebelles, sur le terrain les dissidents utilisent des armes étrangement sophistiquées.

Depuis quelques semaines, les armes affluent dans la région de Deraa, au sud de la Syrie, non loin de la frontière jordanienne. Sur le blog de Brown Moses, un expert en armement, on découvre une photo, publiée début mars, où figure un M60 en position de tir servi par des hommes encagoulés. Ce petit canon affublé de deux roues et d’un long tube provient à coup sûr d’arsenaux croates. Le pavillon noir planté aux côtés des combattants et la légende en arabe indiquent leur allégeance à Jabhat al Nusra, un groupe rebelle proche d’al-Qaïda en Irak. Sur le même site, des vidéos, datant de début avril et réalisées dans la même région, témoignent de la livraison de lance-rockets individuels auprès de combattants arborant le même drapeau sombre frappé de la profession de foi islamique, symbole des salafistes.

Alors que Deraa semblait une région difficile à conquérir pour les rebelles en raison d’un manque cruel d’armement, les combattants paraissent désormais armés jusqu’aux dents. La région est d’ailleurs devenue le théâtre de succès inespérés pour les opposants. Selon Isabelle Feuerstoss, spécialiste de la Syrie à l’Institut français de géopolitique, aucun doute, ces armes livrées récemment expliquent les multiples victoires des insurgés. Désormais, la rébellion devrait s’emparer rapidement de la ville de Deraa, capitale du gouvernorat. Cependant, Isabelle Feuerstoss reste prudente dans l’analyse de ce conflit particulièrement erratique : “Les groupes de rebelles sont loin d’être unis et se battent régulièrement entre eux dans les zones dites libérées. Le régime, devenu une sorte de milice de la communauté alaouite, peut profiter de cette faiblesse pour se maintenir.”

FAL, M60, équipements antichars…

Mais d’où viennent donc ces armes ? Selon un article du Washington Post publié fin mars, les Qataris et les Saoudiens les ont achetées en Croatie puis expédiées l’hiver dernier en Turquie et en Jordanie pour les livrer aux opposants.

Ces informations semblent corroborer celles d’un observateur occidental présent dans le nord de la Syrie durant cette période : “Jusqu’à fin 2012 on ne voyait que des armes de type soviétique dans la région d’Alep. Entre septembre et août, il existait déjà un trafic d’armes légères mais en provenance de la Turquie. Les rebelles avaient aussi récupéré du matériel lourd, antiaérien, grâce à l’attaque de bases militaires près d’Alep. Mais progressivement au mois de décembre je les ai vus manipuler un armement plus sophistiqué, de type Otan, comme les fusils d’assaut belges et autrichiens, puis en janvier et février j’ai vu des sortes de missiles antichars et le canon M60 dont on sait qu’il provient de stocks croates.”

Qatar, Arabie saoudite, bras armés des Occidentaux ?

Officiellement, la pugnacité des pays du Golfe, pressés d’en découdre avec le régime honni des Assad, expliquerait l’envoi d’armes plus efficaces contre les chars et les hélicoptères syriens. Mais la réalité est plus nuancée. Selon Frédéric Pichon, chercheur sur la Syrie, les Occidentaux sont très certainement derrière cette stratégie de renfort de la rébellion, mais ils sont liés par des accords internationaux qui leur interdisent de livrer directement des armes dans un pays en guerre. “Il existe cependant des parades à cela, assure-t-il. Il s’agit de faire livrer des armes par des pays tiers – qui n’ont pas ratifié ces accords – qui vont ainsi les acheminer eux-mêmes. On a vu cela en Libye : la France et la Grande-Bretagne ne pouvaient pas livrer ou vendre des armes aux opposants libyens. Le Qatar a donc proposé de les acheter et de les acheminer vers la Libye.” Aujourd’hui, la plupart des experts reconnaissent que les pays du Golfe ne pourraient pas agir sans l’accord des Occidentaux. Il est même probable que certains d’entre eux soient contraints de s’impliquer sous la pression de puissances occidentales, estime un chercheur.

Des groupes proches d’al-Qaïda en profitent déjà

Officiellement, la France, les Britanniques et les États-Unis ne fournissent que du matériel non létal et une aide humanitaire. Mais François Hollande, le mois dernier, a sans doute voulu lever une partie du voile en annonçant son intention de remettre en question l’embargo européen sur les armes en Syrie. Peu après, le président français s’est finalement ravisé, précisant que la France ne bougerait pas sans la certitude qu'il y ait un contrôle total par l'opposition de la situation”.

Malheureusement, “il n’est pas possible de s’assurer que les armes resteront dans les mains des combattants à qui nous les aurions données, martèle l’observateur occidental ayant passé plusieurs mois sur place. Certains se battent puis s’arrêtent et vendent leur matériel ou s’allient avec d’autres, le conflit est très mouvant”.

Pourtant, les Occidentaux fournissent déjà un soutien militaire, non seulement par l’intermédiaire de leurs alliés mais aussi par la formation des rebelles en Jordanie. Dans des camps militaires, les forces spéciales françaises, britanniques et surtout américaines instruiraient les rebelles au maniement de lance-rockets notamment, des armes indispensables pour espérer l’emporter contre les blindés de l’armée syrienne. D’où la percée spectaculaire des dissidents dans la région de Deraa, toute proche de la frontière jordanienne.

Et ce que semble craindre, officiellement, le président français est déjà arrivé : de nombreuses armes livrées via les pays du Golfe sont aujourd’hui dans les mains de groupes proches d’al-Qaïda, comme le montre le blog de Brown Moses sur l’armement des rebelles.

En vidéo, un groupe de rebelles syriens salafistes, qui exhibent sur Internet des armes modernes arrivées de Croatie en Syrie, en passant par la Jordanie, probablement grâce à l'Arabie saoudite.

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