Réforme de l’enseignement : posons-nous les bonnes questions sans bouc émissaire

Un bon vieux bouc émissaire, c’est tellement simple, tellement humain. De tout temps, on aime faire porter le chapeau à une catégorie particulière. C’est bien plus simple que de voir l’ampleur du problème de face et surtout, cela satisfait les basses envies de la foule. Cher Monsieur Camille Walter, votre article sur les enseignants qui refusent la semaine de cinq jours est digne du best of des brèves de comptoir.

Vous vous basez sur des légendes et des idées reçues sans jamais fonder votre argumentation sur des faits précis. Il n’y a qu’à voir votre argument sur ces monstres sans foi ni loi dont l’absentéisme "souvent très calibré, moins de deux semaines pour éviter un remplacement et bien connu de tous les parents du primaire et du secondaire". On nage en plein mythe. D’où sortez-vous cette affirmation ? Arrêtons de colporter des rumeurs qui sont ensuite utilisées par les parents pour refuser de voir la vérité en face : leurs enfants ne sont pas parfaits et s’il y a un problème ce n’est pas forcement la faute de l’enseignant. Tant mieux, la vie est meilleure ainsi.

Les enseignants ont besoin de concret

À l’inverse de ce que vous avancez, les enseignants du primaire ne refusent pas majoritairement la semaine de cinq jours. Leur angoisse n’est pas de savoir s’ils vont devoir travailler le mercredi, au passage, souvent utilisé pour des formations ou des remises à niveau. Je vous conseille l’article du Monde : "Temps de travail des enseignants : pour en finir avec les fantasmes" qui est très instructif. On apprend ainsi : "Les enseignants français donnent 918 heures de cours par an en primaire, 642 en collège et 628 en lycée, contre 805, 756 et 713 en Allemagne, et en moyenne 779 (primaire), 701 (collège) et 656 (lycée) dans l'OCDE."

Le rythme de l’enfant

Non, la vraie peur c’est d’être face à une réforme qui ne s’assume pas. De voir un ministre qui change d’avis selon les humeurs de l’opinion publique, pour au final remarquer que personne ne tranche et que ce sont les mairies qui auront le dernier mot (enfin elles ne semblent pas pressées de l’avoir, surtout avec les élections qui arrivent). Cette réforme est avant tout destinée à prendre en compte le rythme de l’enfant, chose qui n’a pas été remise en cause par les enseignants. Ces derniers s’interrogent : ce changement va-t-il améliorer le quotidien des élèves ? Que fait-on des enfants qui vont avoir trois heures de pause à midi et qui vont rester à l’école ? Que dire de ceux qui arrivent à 7h30 et qui repartent à 18h ? Cette réforme ne changera pas grand-chose pour eux. Pire, une nouvelle crise couve déjà. Lorsque le samedi sera choisi par certaines municipalités, les parents gardant leurs enfants le week-end monteront sans doute à la barricade pour affirmer que l’on assassine leur vie de famille.

Une école dépréciée

La vraie crise de l’éducation nationale ne prend pas ses racines dans le comportement des professeurs, mais bien dans un bouleversement sociologique. L’école est dépréciée, elle a perdu son aura et plus personne ne la respecte. Parlons des parents qui aujourd’hui ne sont plus unis avec le corps enseignant et qui n’hésitent pas à défendre leurs enfants quand ils ont tort. Pensez-vous qu’il soit normal que des parents s’autorisent le droit de contester une sanction parce que leur enfant a triché, sous prétexte que ce dernier est parfait et qu’il ne peut donc pas frauder ? Pensez-vous qu’il soit acceptable que des élèves sèchent l’école en pleine semaine, car c’est plus simple d’aller à Eurodisney le lundi et le mardi, qu’il y a moins de monde ? Que peut faire un enseignant face à de telles situations ? Face aux menaces, aux agressions qui désormais envahissent même les écoles primaires ? Au lieu de trouver des boucs émissaires, posons-nous plutôt la vraie question : pourquoi en sommes-nous là ? Et surtout où allons-nous ? En simplifiant les problèmes, en refusant de voir qu’il y a aujourd’hui une vraie crise de confiance et que le respect n’est plus là, nous nous enterrons un peu plus sous la médiocrité.

Renouer le partenariat avec les parents

L’école doit redevenir l’un des fondements de notre société. L’instituteur doit retrouver ses habits d’agents de la République qui participe à la cohésion nationale et surtout transmet le savoir et les outils pour aborder l’avenir. Pour réussir sa mission, il doit nouer un partenariat solide avec les parents qui vont devoir accepter la réalité : l’école n’est pas un lieu d’occupation, ce n’est pas une garderie, encore moins un endroit pour se débarrasser de ses enfants et être tranquille quelques heures. Le budget des écoles ne doit pas dépendre du bon vouloir des municipalités. Transférons ces compétences aux départements ou aux régions, pour ne plus se retrouver avec des écoles dénuées du moindre ordinateur, tandis que certaines à quelques kilomètres ont des tableaux blancs interactifs. Ne voyons pas l’enseignement privé comme la seule alternative possible.

La théorie du chaos

L’école publique est l’une des rares chances que nous avons encore pour nous en sortir, ne la sabordons pas en répondant à nos instincts les plus bas. Il n’est pas nécessaire de trouver des boucs émissaires. Nous sommes tous coupables à une échelle ou à une autre. La seule chose qui nous reste à faire est de mettre fin à ce cercle vicieux de la médiocrité. Réinventons l’école, avec les premiers concernés : les enfants, leurs parents et aussi les professeurs. La théorie du chaos dit qu’un papillon battant des ailes à Tokyo peut déclencher une tempête à New York. Pas besoin d’être un génie pour savoir qu’un enfant sans le bagage nécessaire aura du mal à s’en sortir quand il sera adulte. C’est là qu’intervient la deuxième partie de la théorie du chaos, qu’on oublie parfois : le battement d’ailes du papillon peut aussi arrêter la tempête.

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