Crédits : Nolwenn Jaumouillé

Réforme de la police : à Lyon, le monde du pénal uni pour défendre la PJ

Enquêteurs, magistrats et avocats ont fait front ce lundi 17 octobre devant le tribunal judiciaire de Lyon pour exprimer leur inquiétude face à la réforme de la police judiciaire souhaitée par le ministre de l'Intérieur.

Des dizaines de personnes étaient attroupées à midi sur le trottoir qui jouxte le tribunal judiciaire de Lyon, rue Servient dans le 3e arrondissement. Robes d'avocats, robes de magistrats et cuirs de PJistes tagués dans le dos "police liquidation judiciaire"... tous les maillons de la justice se sont rassemblés ce lundi avec un objectif commun : s'opposer au projet de réforme de la police judiciaire contenu dans le projet de loi d'orientation et de programmation porté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. Déjà voté par le Sénat, il doit être examiné par l'Assemblée nationale.

"À ma connaissance, c'est la première fois qu'il y a un rassemblement aussi unanime de l'ensemble de la chaîne pénale, pour la justice dans son ensemble et pour les citoyens" s'est félicité Yann Bauzin, enquêteur spécialisé en délinquance économique et financière à la PJ de Lyon, et président de l’Association nationale de la Police judiciaire (ANPJ), créée en août pour mobiliser autour de la réforme.

La réforme en question ambitionne notamment de mutualiser l'ensemble des moyens des différents services de la police au sein d'une grande direction à l'échelle de chaque département, nommée direction départementale de la police nationale (DDPN), et ce avec l'objectif affiché de rationaliser le travail de la police et le rendre plus efficace. "Nous avons peur que les moyens de la PJ qui sont dédiés à la criminalité organisée et dépassent largement les limites du département soient phagocytés pour venir en aide à de l'investigation de sécurité publique qui traite de problématiques plus territoriales et plus immédiates".

En d'autres termes, la police judiciaire craint de voir ses moyens et effectifs absorbés par l'investigation dans la petite et moyenne délinquance – qui offrent des résultats plus rapides et donc des statistiques plus visibles – au détriment de la lutte contre la criminalité organisée et notamment la délinquance financière. "La réforme se fait à effectifs constants donc il va forcément falloir prendre des effectifs quelque part pour améliorer la situation ailleurs. Il faudra déshabiller Pierre pour habiller Paul".

"Cette réforme ne semble répondre à d'autre objectif que ceux de la gestion de la pénurie par déspécialisation et concentration des effectifs, recherche des impératifs de résultats visibles et de maintien de l'ordre." renchérit Véronique Drahi, déléguée régionale du Syndicat national de la magistrature et juge des contentieux et de la protection au Tribunal judiciaire de Lyon. "Nous connaissons cela dans la magistrature : ce qui est urgent est préféré à ce qui est important."

Crédit : Nolwenn Jaumouillé

Indépendance de la justice

Magistrats et avocats s'inquiètent d'ailleurs que cette nouvelle organisation mette en danger l'indépendance de l'autorité judiciaire. "Outre le fait que la délinquance s’arrête rarement aux limites du département, des critères d’opportunité pourront guider la répartition des moyens par le DDPN : exigences statistiques, pression des élus, spécificités de la délinquance locale" a rappelé une intervention de plusieurs syndicats de magistrats. C’est privilégier l’arrestation du petit trafiquant, aussitôt remplacé, plutôt que le démantèlement des réseaux, ou du vendeur à la sauvette plutôt que de ceux qui l’exploitent." 

L'unification du commandement  des différents services fait ainsi craindre aux procureurs la perte de leur liberté d'action, comme l'explique Véronique Drahi. "Le Directeur départemental de la police nationale, lui-même aux ordres du préfet, désignera les OPJ en charge de ces enquêtes" – là où le procureur fait aujourd'hui lui même appel aux services de son choix. "On pourra ainsi opposer au procureur une insuffisance conjoncturelle de moyens et priorité ponctuelle pour faire échec à la politique pénale décidée par un procureur sur son ressort, ou faire échec à une enquête pénale sensible".

Une inquiétude que Michel Neyret partage. "Il y a un vrai risque de mettre un coup de canif dans la séparation entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire", commente l'ex-numéro 2 de la PJ lyonnaise, déchu mais non moins observateur averti de la police judiciaire pour qui il a travaillé pendant 35 ans avant d'être condamné pour corruption en 2016.

Discours ambivalent de Darmanin

Jusqu'ici, l'ANPJ estime ne pas avoir été entendue par le ministère de l'Intérieur. "Malgré les promesses d'ouverture du ministre début septembre, la tournée du directeur général de la police nationale dans les services n'a pas mené à la concertation", estime Yann Bauzin.

"Dans les dernières communications de Gérald Darmanin, ce weekend, on entend un peu tout et son contraire et on attend de lui qu'il explicite sa position. D'un côté il maintient la départementalisation, de l'autre il affirme qu'il conservera l'ensemble des moyens de la police judiciaire. Nous sommes aujourd'hui organisés en directions zonales de la police judiciaire donc nous voyons mal comment nous pouvons le rester tout en étant départementalisés". Une incohérence que souligne également Michel Neyret. "Je ne vois pas comment dans ces conditions il peut y avoir une organisation rationnelle de ces services, il y aurait un conflit d'autorité". 

Il est par ailleurs reproché au ministère de l'Intérieur de ne pas avoir dressé de rapport des expérimentations de la réforme, déjà menées dans 8 départements de France. Or, affirment les syndicats de magistrats mobilisés, "les premiers retours de l’expérimentation en cours sont alarmants". "L’autorité judiciaire est identifiée comme simple gestionnaire de flux, les priorités de politique pénale définies par les procureurs ne sont pas respectées et la justice a perdu ses interlocuteurs spécifiques à la police judiciaire."

Pour répondre aux problématiques réelles que connaît la police et les lacunes existantes dans la lutte contre la petite et moyenne délinquance, estime Yann Bauzin, "il faut recruter, et cela nécessite du temps pour avoir des effectifs qui arrivent sur le terrain formés, nous le comprenons parfaitement, mais on veut conserver la spécificité de la PJ en sanctuarisant ses moyens et ses effectifs".

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