L’ex-députée Renaissance du Rhône a visité le CRA 2 de Lyon Saint-Exupéry. (@NC)

Reportage dans le centre de rétention administrative 2 de Lyon : "l'état d'esprit a changé"

Ce vendredi, la députée du Rhône Renaissance, Sarah Tanzilli a visité les deux Centres de rétention administrative de Lyon, alors qu'elle examine cette semaine le projet de loi immigration.

"Pourquoi ne pas faire des cours de français ? On manque d'activité ici, ça pourrait enlever de la tension." Cet homme de 31 ans, "Pakistanais Marocain" est retenu au Centre de rétention administrative 2 de Lyon Saint-Exupéry depuis 75 jours (la durée maximale permise par la loi "asile immigration" de Gérard Collomb est de 90 jours). Demandeur d'asile en Belgique, il est resté en France après que sa femme est tombée enceinte dit-il. Dans l'étroite chambre qu'il partage avec un autre retenu, la télévision, protégée par une vitre après de nombreuses dégradations, diffuse ironiquement la chaîne CNEWS. "Ici y'en a qui prennent des médicaments et ils deviennent ravagés", explique-t-il, montrant des draps qu'il a noué pour fermer sa porte la nuit, tenter d'obtenir intimité et sécurité.

La cour extérieure ne permet pas de distinguer l'horizon puisque totalement emmurée. Le ciel est lui aussi à peine distinguable à travers les grilles. (@NC)

Addictions, troubles psychiatriques et violences

Vendredi 24 novembre, la députée de la 13e circonscription du Rhône, Sarah Tanzilli, a visité le CRA 2 puis le CRA 1 de Lyon Saint-Exupéry accompagnée de Caroline Abadie, députée de la 8e circonscription de l'Isère. A quelques jours du début de l'examen du projet de loi immigration en commission des lois, elles souhaitaient "constater l'état de ces centres, ainsi que les conditions de rétention des personnes ayant vocation à être reconduites à la frontière". En avril dernier, le barreau de Lyon et le sénateur EELV Thomas Dossus avaient eux-aussi visité le CRA 2, fraîchement ouvert en janvier 2022 pour un montant de 25 millions d'euros, et avaient alerté sur un établissement à l'atmosphère "anxiogène, pire que la prison".

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Un CRA c'est quoi ?
Un centre de rétention administrative (CRA) est une structure d'accueil où sont placées des personnes en situation irrégulière sur le territoire français, en vue de leur expulsion du pays. Les CRA sont destinés à accueillir des étrangers en situation irrégulière qui ont été interpellés par les autorités françaises pour non-respect des règles d'entrée et de séjour sur le territoire.
Les personnes placées en CRA peuvent être des demandeurs d'asile déboutés, des personnes en situation de séjour irrégulier ou des étrangers en attente de leur transfert vers un autre pays européen dans le cadre des accords de Dublin. Le placement en CRA ne peut être effectué qu'après une décision administrative ou judiciaire et pour une durée limitée (maximum 90 jours).
Pendant cette période, les personnes retenues peuvent faire l'objet d'une procédure d'expulsion ou d'un recours devant le juge des libertés et de la détention pour contester leur placement.

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De fait, si les centres de rétention administrative sont historiquement conçus sur un modèle hôtelier, le CRA 2 de Lyon - par ailleurs pilote pour de nouveaux CRA partout en France - est construit sur un modèle pénitentiaire assumé. D'une capacité théorique de 140 places, 115 places étaient opérationnelles vendredi 24 novembre, un important incendie cet été en ayant immobilisé 25. L'établissement est construit en sept blocs - dont un réservé aux femmes et familles - de 22 places chacun. Chaque bloc dispose d'une "cour extérieure", sorte de cage grise depuis laquelle il est impossible de distinguer le moindre horizon. Une table de tennis de table y est installée. "Ils ont des raquettes ?", demande Caroline Abadie. "Oui, sur demande, mais il y a beaucoup de dégradations" lui répond-on. Même constat avec la console de jeux et la machine à café dont disposaient tous les blocs mais qui, à force de dégradations, ont été supprimées.


"Il y a un vrai sujet sur la formation des policiers"

Sarah Tanzilli, député Renaissance du Rhône

"On a senti une vraie évolution depuis l'été 2022, l'état d'esprit au sein des CRA a changé" explique Amandine Tisserand-Kerkor, directrice zonale adjointe de la Police au frontières (PAF) zone Sud-Est. Un bouleversement qui correspond aux directives du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui annonçait "vouloir être méchant avec les méchants", priorisant ainsi la mise en CRA de personnes "délinquantes" ou "présentant un risque de trouble à l'ordre public". Entre 20 à 30 % des retenus sont ainsi des personnes sortant de centres pénitentiaires. Souvent visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), elles sont retenues le temps pour les autorités d'obtenir un laisser-passer consulaire de leur pays d'origine. Si le ministre de l'Intérieur communique à tour de bras depuis le tragique attentat islamiste ayant emporté le professeur Dominique Bernard à Arras, "le taux d'éloignement est stable, voir en légère baisse", note Amandine Tisserand-Kerkor.

Le centre de rétention administrative 2 de lyon
Le centre de rétention administrative 2 de Lyon Saint-Exupéry. (@NC)

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Environ 5 à 6 % des retenus restent 90 jours au CRA pour une durée de rétention moyenne "autour des 31/32 jours". Tous les 28 jours, si la préfecture sollicite une prolongation du séjour en CRA, un juge des libertés et de la détention est saisi pour statuer. Si les perspectives de renvoi dans le pays d'origine du retenu sont compromises, la justice va libérer le retenu. "On se retrouve avec des populations plus délicates", ajoute la directrice zonale de la PAF. Au sein du CRA 2, le maintien de l'ordre est assuré par des policiers qui ne disposent par ailleurs d'aucune formation spécifique. "Il y a un vrai sujet sur la formation des policiers", juge Sarah Tanzilli, comme l'avait relevé la bâtonnière de Lyon lors de sa visite. Le changement de paradigme dans les CRA s'est également traduit sur la santé mentale des retenus. Si une unité médicale est bien installée au sein de l'établissement, - gérée par un prestataire employé par les HCL après leur retrait - aucun suivi psychologique ni psychiatrique n'est pour l'heure assuré.


"Beaucoup de retenus sont drogués. Lorsqu'ils arrivent ils sont sevrés et enfermés en même temps, ils deviennent fous"

Un policier du CRA 2 de Lyon

"Beaucoup de retenus sont drogués. Lorsqu'ils arrivent ils sont sevrés et enfermés en même temps, ils deviennent fous", glisse un policier. "Nous avons quotidiennement des transferts dans des hôpitaux", appuie Amandine Tisserand-Kerkor. Résultat, policiers et personnels sont régulièrement confrontés à des situations auxquelles ils ne sont pas préparés. L'association Forum Réfugiés pourtant habituée à l'accompagnement en CRA a exercé à plusieurs reprises son droit de retrait pointant du doigt le fonctionnement du CRA 2 notamment le manque de policiers et la seule petite heure quotidienne par bloc pour rencontrer à la fois l'Ofii, Forum Réfugiés et les membres de l'unité médicale.

Comme nous l'avait annoncé la préfecture du Rhône après un précédent article sur le CRA 2, un sas de sécurité a en ce sens été installé à l'entrée de cette dernière. "Au moment de leur heure de sortie, ils se ruaient tous vers l'unité médicale pour obtenir leur médicaments, c'était ingérable", explique un policier. "C'est un vrai sujet et un vrai besoin que des psychologues et psychiatres viennent au sein des CRA. Ce n'est pas le cas pour l'instant, mais c'est quelque chose à travailler", reconnaît Sarah Tanzilli.

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