En attendant le dépôt de plaintes et un éventuel procès contre le bouclage de la place Bellecour le 21 octobre, une quarantaine d’associations et organisations politiques de gauche tenaient un meeting, mercredi 24 novembre, en forme de réquisitoire.
Rappel des faits. Le 21 octobre, après cinq jours de scènes d’émeutes dans le centre-ville de Lyon, le préfet du Rhône a bouclé la place Bellecour de 13h30 à 19h, en enfermant à l’extérieur les quelque 600 personnes qui s’y trouvaient. Ce procédé est jugé illégal, par une quarantaine d’organisations de gauche qui se sont regroupées dans un "Collectif du 21 octobre". Pour faire toute la lumière sur cette journée, une plainte devrait être prochainement déposée pour "entrave à la liberté de circuler et de manifester". Avant le dépôt de la plainte, le collectif tenait un meeting, mercredi dernier, à la bourse du travail de Lyon. Devant une salle comble (environ 400 personnes), une amorce de procès s’est tenue. Des magistrats et des avocats étaient conviés à la tribune pour dire tout le mal qu’il pensait de cette opération de police.
Des témoins "à la barre"
Et comme dans tous les procès, on a d’abord entendu les témoins. Trois témoignages ont été lus parmi la trentaine recueillie par le collectif. La première à être venue est une élève du lycée Saint-Exupéry. Elle ne raconte pas le jeudi 21 octobre mais, la veille, le mercredi quand, déjà, la police avait bouclé un groupe de manifestants sur le pont de la Guillotière pendant plus d’une heure (voir photo). Un jeune avait même sauté dans le Rhône pour tenter d’échapper aux forces de l’ordre. Le deuxième témoin raconte brièvement la journée du 21 octobre, place Bellecour, où il a été retenu jusqu’à 19h30. Cet homme de 38 ans, "profession libérale", venue manifester ce jour-là, précise particulièrement les conditions du contrôle d’identité qu’il a subi. Sa carte grise n’ayant pas été jugée suffisante pour prouver son identité, il a dû monter dans un bus, direction l’hôtel de police de la rue Marius Berliet (8e arrondissement de Lyon). "Dans le bus ainsi qu’au tri des passagers, les citoyens se sont vu tutoyés, des termes utilisant le délit de faciès ont été dis ("les bronzés", "toi l’africain")". Il s’est finalement retrouvé "dans un bureau de la brigade des mœurs". Il a finalement été relâché, "avec des excuses", à 21h45.
"Délit de faciès"
Le troisième témoignage est écrit par une "étudiante agrégée", venue également pour manifester. Elle revient en détail sur les longues heures qui se sont "déroulées dans le calme et l’ennui" puis les moments de "peur" quand les grenades lacrymogènes ont été utilisées. "Nous avons été gazés, malgré tous nos efforts pour rester en dehors des gaz car il n’y avait aucune issue possible pour sortir. Après les détonations, j’ai vu une fille à terre, inconsciente, qui était tombée tête la première. Elle avait de l’écume aux lèvres". Les tirs ont continué. Des CRS ont chargé vers la place Antonin Poncet. Après une nouvelle salve de lacrymo, elle s’est réfugiée dans une cour intérieure de la place Bellecour. "Un collégien ou lycéen d’origine maghrébine était là. Le garçon nous a expliqué qu’il était bloqué par un policier qui l’avait reconnu comme un casseur (de ce matin) alors qu’il faisait une "interro" à 9h. Un CRS lui avait dit que les blancs passaient mais pas les autres". Finalement, l’étudiante et son compagnon n’a pas eu à subir de contrôle d’identité pour partir de la place : "des personnes aisées et blanches qui habitent la place nous ont servi de véritables boucliers humains pour sortir".
Réquisitoire contre "l’Etat-policier"
Au cours de la deuxième partie du meeting, avocats et magistrats ont tenté de mettre en perspective tous ces témoignages. Myriam Plet membre du Syndicat des avocats de France (le SAF), a fait le point sur la manière dont ces témoignages pouvaient être utilisés. Ils devraient servir d’abord pour déposer une plainte pour "entrave à la liberté de circulation". Ensuite, ils pourraient conduire à la saisine de la CNDS (Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, chargé de "contrôler" les activités policières) et de la CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté). Les avocats du SAF soupçonnent que les photos de manifestants prises le 21 octobre puissent fournir un fichier de police. Le juge d’instruction Albert Lévy, membre du Syndicat de la magistrature (SM) a rappelé que le bouclage d’un quartier "n’a rien d’original" puisque, par deux fois, la place du Pont (quartier autour de la place Gabriel Péri) à la Guillotière l’a déjà connu. "Personne ne dit quoi que ce soit, ce qui est grave. L’effet du 21 octobre est important car il a concerné tous nos gamins. C’est toujours un problème de libertés individuelles que l’on confisque".
Où sont les jeunes ?
Un avocat a repris la parole. Le président national du SAF, Jean-Louis Borie, a expliqué que ces bouclages d’un quartier se faisaient "sur réquisition du procureur de la République, à la demande du préfet". Et d’ajouter : "le parquet est instrumentalisé par l’exécutif". Enfin, Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris et membre du SM, a radicalement conclu le meeting. "Pour moi, nous entrons dans une sorte d’Etat policier. Ce qu’on a vécu place Bellecour, c’est ce qui se passe tous les jours, sur réquisition du procureur, pour les étrangers. Depuis le temps que l’on dit que le sort des étrangers, c’est ce qui nous arrivera, ça nous arrive. Avec des policiers qui peuplent de plus en plus les préfectures, c’est l’appareil d’Etat qui se transforme".
Serge Portelli a regretté l’absence des jeunes dans la salle. Des jeunes qui étaient majoritairement place Bellecour. "Ces jeunes-là, ils n’ont pas le même discours que nous. C’est un mouvement de révolte terrible que nous devons entendre et qu’on n’a pas entendu ce soir. Ces jeunes ne nous entendent pas car nous ne nous adressons pas à eux." L’un des animateurs du "Collectif du 21 octobre" a également constaté "l’absence encore plus nette des jeunes issus de l’immigration". Il a appelé à "inventer d’autres formes de lutte qui fasse la jonction entre les militants et les jeunes". Evidemment absent de la soirée, la préfecture du Rhône. Contactés par Lyon Capitale, les représentants de la préfecture ne souhaitent pas communiquer sur le 21 octobre.
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