La sénatrice (UDI-UC) de la Seine-Maritime Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication, a déposé hier un amendement concernant les obligations conventionnelles des nouvelles chaînes TNT. Une avancée importante dans la lutte contre la spéculation, dont Numéro 23 est la caricature.
Lors de la cession d’une chaîne TNT, le CSA doit donner son agrément. Celui-ci est accordé, notamment, après une étude d’impact qui examine les conséquences de l’opération envisagée sur le marché publicitaire. Mais, jusqu’à présent, le régulateur ne pouvait refuser ledit agrément au seul motif que l’éditeur de la chaîne n’aurait pas respecté ses obligations conventionnelles. Un véritable problème, exploité par des éditeurs peu scrupuleux dans le seul but de s’enrichir sur le dos de la collectivité nationale.
Cette faille législative devrait être désormais comblée, puisque l’amendement sénatorial précise que l’agrément sera “délivré en tenant compte du respect par l’éditeur, lors des deux années précédant l’année de la demande d’agrément, de ses obligations conventionnelles relatives à la programmation du service”. Car il y a évidemment un lien entre le fait de pouvoir disposer gratuitement d’une fréquence et celui de respecter ses obligations d’investissement. En effet, en accordant une fréquence à titre gratuit, l’État se dépossède d’un actif pour un motif d’intérêt général, en l’occurrence le soutien à la création. Le fait de ne pas respecter ses obligations, pour le détenteur d’une chaîne, revient donc à porter atteinte à l’intérêt patrimonial de l’État.
Avec cette disposition intelligente, Catherine Morin-Desailly prend véritablement la mesure du problème, car le quadruplement de la taxe spécifique sur la revente de fréquences, dans le cadre du projet de loi Macron (une sorte de quitus fiscal sur un bien mal acquis) semblait bien insuffisant en matière de lutte contre la spéculation.
Le CSA peut enfin agir
Rappelons que l’escroquerie intellectuelle Numéro 23, vendue publiquement le 8 mars 2012 aux Sages comme une “chaîne de la diversité”, devait offrir une programmation cinéma alternative dans le paysage audiovisuel. Dans sa convention, la chaîne s’engageait ainsi à privilégier “les cinématographies provenant d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique”. Mais le CSA a fait ses comptes : en 2014, 92 % des films diffusés étaient américains, tandis qu’aucune œuvre africaine n’était proposée. Également en cause, le quota d’œuvres européennes et de films d’art et d’essai, qui n’a pas non plus été respecté par la chaîne de la TNT.
De son côté, RMC Découverte est accusée de ne pas avoir proposé assez d’émissions européennes et françaises sur sa grille, privilégiant notamment des formats américains. Aux heures de grande écoute, la chaîne a diffusé 32 % d’œuvres européennes (contre 55 % imposés) et seulement 5 % d’œuvres françaises (contre 35 % imposés) !
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a mis en demeure les deux chaînes en les invitant, dans un contexte où la seconde tente de racheter la première, “à se conformer, dès l’exercice 2015 et à l’avenir, à leurs obligations de diffusion d’œuvres audiovisuelles”. Dans un cas comme dans l’autre, le retard pris est tel que les chaînes ne pourront cette année respecter leurs engagements respectifs, loin s’en faut.
Avec l’amendement sénatorial, la revente de Numéro 23 s’éloigne encore davantage et donne enfin au CSA, autorité administrative indépendante, l’outil qui lui manquait en matière d’agrément. Ou comment, dans une société de droit qui retrouve un fonctionnement normal, passer de l’immoral à l’illégal, en évitant qu’une escroquerie intellectuelle ne se transforme en escroquerie tout court – Alain Weill, le patron de NextRadioTV (RMC, BFM) a en effet annoncé, au mois d’avril, s’être porté acquéreur de cette ressource publique pour 90 millions d’euros… le pacte d’actionnaires de ladite chaîne prévoyant en toutes lettres, dès octobre 2013, la revente en 2015.
Les richissimes amoureux de “toutes les diversités”, de l’ex-émir du Qatar à un oligarque russe en passant par la fine fleur du CAC 40, ont désormais de quoi se réjouir : la loi va leur permettre de continuer à financer à long terme la lutte contre toutes les formes de discrimination françaises, si chère à leur cœur. Quand on aime, on ne compte pas.