INTERVIEW - A l'occasion du sommet franco-italien de ce mardi, Lyon Capitale interroge Jean-François Ploquin, directeur général de ''Forum réfugiés'', association lyonnaise de prise en charge des demandeurs d'asile. Il rappelle que 27 000 Tunisiens sont déjà arrivés sur le sol français depuis la révolution de Jasmin, 76 au moins à Lyon, retenus au centre de rétention (CRA). Il explique pourquoi "un événement ponctuel" et relativement mineur ne doit pas "menacer un des piliers de la fondation européenne" : la libre circulation des personnes.
Lyon Capitale : Que pensez-vous des annonces de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi ce mardi prévoyant une réforme des accords de Schengen* sur le libre-échange ''dans des circonstances exceptionnelles'' et demandant ''une plus grande collaboration'' des pays européens avec les autres pays du sud de l'Union européenne ?
Jean-François Ploquin : Je crois que si l'on touche à la lettre du traité européen, le fil de la négociation va être long et compliqué. Les gouvernants français et italien ont pour l'instant le souci de gérer leurs opinions publiques, c'est donc une réaction fondée sur un événement (l'arrivée des migrants tunisiens et libyens en Europe, ndlr). Or, il faut absolument éviter qu'un événement ponctuel menace un des piliers de la fondation européenne. Le traité Schengen possède finalement une dimension beaucoup plus large : 400 millions d'européens sont concernés par la libre-circulation au sein de l'UE.
20 000 à 30 000 migrants tunisiens auraient déjà été identifiés sur l'île italienne de Lampedusa depuis le début des révolutions arabes, qu'en est-il ?
27 000 Tunisiens sont effectivement arrivés en Europe. Le chiffre n'est pas négligeable mais reste modeste. Par comparaison, chaque année, 200.000 personnes sont en moyenne admises en long séjour en France. L'Europe va engager ses efforts dans deux domaines : d'une part, une demande transmise à la Tunisie de surveiller ses frontières extérieures, et d'autre part, en contrepartie, un investissement de l'Union européenne dans le développement de ce pays afin d'éviter que sa population ne soit obligée de s'expatrier.
Les migrants tunisiens bien qu'ils soient munis d'un titre de séjour (octroyé par le gouvernement italien pour une durée de six mois), se voient parfois placés dans des centres de rétention administrative (CRA) en France. Quelle est la situation à Lyon ?
Les premiers immigrés tunisiens sont arrivés le 17 février. A ce jour, soixante-seize personnes ont été retenues au CRA de Lyon. Le plus grand nombre d'entre eux a été libéré par le juge administratif, mais quelques uns ont été renvoyés vers l'Italie, le pays qui les a supposément ''accueillis'' en premier. Notre mission au sein de l'association ''Forum réfugiés'' est d'informer les retenus de leurs droits. Une fois informés, s'ils le demandent, on peut les accompagner. Aucun Tunisien n'a demandé l'asile au sein de nos services.
Pourquoi ?
Ces personnes ne craignent pas d'être persécutées dans leur pays et ne sont donc pas en recherche de protection. Ce sont des migrations de travail : chacun est à la recherche d'un boulot, donne 1000 euros à un passeur, et ''se jette à l'eau'', au propre comme au figuré, pour rejoindre l'Europe et en particulier la France.
Qu'en est-il de la suspension par le gouvernement français des trains en provenance de l'Italie vers le sud de la France ?
Il me semble qu'il n'y a eu qu'un seul événement de la sorte (un train en provenance de Vintimille bloqué à la frontière franco-italienne, le 17 avril dernier, ndlr). C'était un acte isolé, pour lequel la Communauté européenne a donné raison à la France, et qui n'a pas été suivi d'autres faits similaires. Il s'agissait bien là de préserver la sécurité publique et non de violer les droits des migrants.
(*) La convention de Schengen signée en 1985 et étendue à tous les pays européens par le traité d'Amsterdam en 1997 promulgue l'ouverture des frontières entre les pays signataires. Le traité de Lisbonne de 2007 en modifie les règles juridiques. Désormais, les citoyens étrangers qui disposent d'un visa de longue durée pour l'un des pays membres peuvent circuler librement à l'intérieur de la zone.