Dans sa circonscription, à Saint-Pierre-de-Chandieu et face à une salle comble, le député Les Républicains Georges Fenech organisait une conférence à propos de la lutte contre le terrorisme avec des interventions du président de l'association de victime du 13 novembre, du médecin urgentiste Patrick Pelloux et d'un ancien officier de renseignement de la DGSE, Alain Chouet.
"Les services de renseignement ont échoué, nous ne remettons pas en cause la qualité du travail des hommes, mais nous remettons en cause l'organisation, ce qui est une responsabilité politique". Ces mots, le député LR du Rhône, Georges Fenech, les prononce dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de Paris, qu'il a présidé en collaboration avec le député socialiste Sébastien Pietrasanta. Pour démarrer la conférence de ce jeudi, une vidéo revient sur les événements tragiques qui ont frappé la France le 7 janvier, puis le 13 novembre 2015. Les prises de position du député dans les médias sont rappelées à l'auditoire, avec, entre autre, une opposition à la politique pénale actuelle et une volonté de "refonte des services de renseignement". "Nous n'étions pas prêts alors que tous les signes étaient là", a répété à plusieurs reprises le député. L'ancien juge remettra un rapport de suivi la semaine prochaine pour poser cette question au gouvernement : "qu'avez-vous fait de notre travail ?"
"Se souvenir de nos enfants"
Lorsque la parole est donné à Georges Salins, président de l'association de victimes 13ONZE15, fraternité et liberté, ce dernier souhaite "rester debout". Dans un diaporama dans lequel apparaît des photos de sa fille, Lola, tuée au Bataclan, il témoigne de l'importance des associations de victimes, leurs revendications et les acquis obtenus. Au lendemain du 13 novembre, ils ne sont qu'une quinzaine à se rassembler dans le but de créer une association : ils sont aujourd'hui 600. "On s'est battu, ensemble, on s'est rencontré, informé, soutenu et souvenu ensemble. Nous avons obtenu la modification du code pénale, afin que l'association puisse se constituer partie civile dans les actions en justice et nous avons demandé une meilleure prise en charge des soins" précise-t-il, en soulignant, comme Georges Fenech précédemment, le travail de la socialiste Juliette Méadel, secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes depuis février 2016."L'association a été un véritable interlocuteur pour les pouvoir publics, pour la justice, ainsi que pour la presse, les artistes ou les chercheurs" détaille Georges Salins, "mais il y a aussi des risques dans ce genre de combat, celui de s'épuiser, de céder au complotisme, de s'exprimer au-delà de ses compétences ou de s'identifier à son statut de victime : il faut pouvoir en sortir et reconstruire sa vie" énonce-t-il dans un discours d'une grande dignité, conclut par l'indispensable action des associations de victimes du terrorisme pour "témoigner et donc contribuer à la résistance de la société".
"Les armes parlent, le courage est en face"
Une résistance dont témoignent les mots du médecin urgentiste et écrivain Patrick Pelloux. Premier médecin sur les lieux de la rédaction de Charlie Hebdo, pour qui il était chroniqueur, il raconte les prises de conscience depuis les attentats. "Dès mars 2012, lors de l'attentat antisémite à l'école Ozar Hatorah par Mohammed Merah, nous avons commencé à réfléchir et à analyser ce qu'il a pu se passer en Afghanistan" indique-t-il, avant de raconter que lorsqu'il évoque l'éventualité d'une guerre à une journaliste, quelques mois avant la tuerie de Charlie Hebdo, il est pris pour un pessimiste. Le 7 janvier 2015, les blessures par armes de guerre de ses amis rappelle de manière dramatique que les services d'urgence français ne sont pas suffisamment formés sur ce type de blessures. "Dès janvier 2015, des instructions ministériels sont données et l'ensemble des personnels du Samu et des sapeurs pompiers sont reformer, notamment aux garrots. En ayant cette anticipation, nous avons pu faire du mieux que l'on ait pu le soir du 13 novembre". Les personnels des hôpitaux parisiens se rendront d'eux même dans leurs services et seront au complet en à peine deux heures. "Ce n'est pas de la bravoure mal placée, du courage à deux balles, mais s'il faut aller sous les balles pour chercher des blessés, on ira !" dit-il avant d'être ovationné par la salle. "Le courage grandit grâce à la culture. Les armes parlent, le courage est en face. Les sapeurs pompiers ont décidé de faire des colonnes d'extraction pour aller chercher les victimes le plus vite possible pour remédier à la méthode française qui était plus longue et où il y avait beaucoup d'attentes. Dans ces cas là, à chaque seconde, les personnes touchées perdent du sang. C'est l'image de la France qui ne baisse pas les bras : on a réussi à sauver toutes les victimes évacuées à l'hôpital ce soir là". Désormais, des exercices sont organisés tous les deux mois et selon Patrick Pelloux, les hôpitaux sont prêts. Il insiste cependant sur la nécessaire "bienveillance" qui consiste à "n'oublier personne" notamment en terme d'accompagnement psychologique qu'il faut continuer à développer pour gérer sur le long terme les cas de stress post-traumatique. Si le médecin concède qu'il y a eu beaucoup de progrès, "ce n'est pas terminé" indique-t-il. "Il y a énormément d'islamistes radicaux en France et nous ne sommes pas à l'abri d'un nouvel attentat, tout le monde est concerné et chacun doit être vigilant. Avec la formation des pompiers aux premiers secours, la défense civile se réveille et se mobilise".
Commissaire X, le héros qui a enfreint le protocole
"Je n'ai rien contre la police, mais en cette période on ne peut pas accepter des querelles de personnes" estime Patrick Pelloux. Pour Georges Fenech, qui reprend la parole, un temps précieux a été perdu entre le mois de janvier et celui de novembre 2015. "Nous aurions dû réagir " dit-il, "car ce n'est plus le terrorisme des années 80 où il était possible de négocier avec des personnes qui pouvaient éventuellement accepter de se rendre. Désormais, ce qui est recherché, c'est le massacre et la mort en martyr." Lors de l'enquête parlementaire qu'il a mené sur les événements du 13 novembre, Georges Fenech a réalisé les discordes internes et les protocoles qui ont retardé l'intervention au Bataclan, il raconte pour illustrer ses propos l'histoire du commissaire et du brigadier à l'origine de la fin du massacre et qui ont gardé l'anonymat. "Ce commissaire X était dans sa voiture, piloté par un brigadier de police. Les deux hommes sont amis, ils tirent ensemble et sont de très bons tireurs. Ils se détournent de leur chemin pour se rendre sur les lieux. Ils entendent les tirs à l'intérieur de la salle, les militaires de l'opération Sentinelle n'ont pas ordre de tirer et il leur est impossible de prêter leurs Famas. La Bac est également désemparée de ne pas pouvoir intervenir, faute d'ordre. Le commissaire estime que son travail est de porter secours et qu'il ne peut laisser des gens se faire tuer de cette manière. Il entre dans la salle avec son ami brigadier, ils sont munis de leurs armes de poing face à des kalachnikovs. Sur la scène, l'un des trois auteurs de la tuerie fait signe à un homme de s'agenouiller devant lui. Les deux hommes sont à 25 mètres, ils épaulent et tirent à quatre reprises, le terroriste s'affaisse et actionne son gilet, le jeune homme face à lui ne sera pas atteint. L'assaillant, Samy Amimour, va décéder. Un effet de sidération stoppe les deux autres terroristes en haut du Bataclan. La tuerie s'arrêtera là. Ce commissaire a permis d'épargner une quantité de vies parce qu'il a enfreint le protocole et qu'il est entré dans la salle." Pour Georges Fenech, l'ordre qui a été donné ce soir là aux militaires ainsi qu'à la BAC, celui de ne pas ouvrir le feu et d'attendre l'arrivée des forces d'élites, n'est "pas normal". "Un jour, il faudra bien que quelqu'un s'en explique" estime-t-il.
23 administrations différentes de lutte antiterroriste
Le dernier intervenant de la soirée, Alain Chouet, est un ancien officier de renseignement de la DGSE. Pour lui aussi, des leçons sont à tirer des événements qui ont frappé la France afin d'adapter une stratégie à plusieurs niveaux. Il détaille d'abord les précédentes "vagues de terrorisme" auxquels les services de renseignement français ont été confronté dans les années 70, 80 et 90 et déplore des ordres pas toujours cohérents. "En juillet 2001, quelques mois avant le 11 septembre, alors que les services de renseignement sentaient que quelque chose de gros se préparait, j'ai reçu l'ordre de reconvertir la moitié des effectifs anti-terroristes pour lutter contre l'immigration illégale. Je ne l'ai pas fait, et lorsque le 11 septembre est arrivé, cette décision n'était plus d'actualité."Il déplore que le gouvernement et certains politiques n'évaluent pas non plus l'utilisation de certains termes. "Les français ne sont pas en guerre sur leur propre sol, et on pourra toujours courir après les exécutants du terrorisme. Mais on s'attaque aux effets… pas aux causes" estime-t-il. Quand la parole est donnée à la salle pour poser des questions, Alain Chouet précisera dans une de ses réponses que l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), est composé de 23 administrations différentes. Un constat également concédé par Georges Fenech, qui estime nécessaire d'avoir moins d'instances différentes pour éviter les éventuelles rivalités entre les différentes branches. La soirée se terminera sous les applaudissements de la centaine de personne venue assister à cette conférence. Avant le pot lyonnais et pour clôturer l’événement, la salle sera appelée à se lever pour entonner la marseillaise.