En l’espace d’un mois, trois réunions publiques se sont tenues à propos des camionnettes de Gerland. Les autorités publiques (préfecture et mairie) ont rapidement torpillé l’embryon de dialogue qu’elles avaient elles-mêmes légitimé.
1ere réunion : le préfet suspend son désir d’un nouvel arrêté anti-prostitution.
Le 5 novembre, l’amphi de l’Ecole Normale Supérieure a rarement connu ce genre de débat. Après le 1er arrondissement, le préfet se déplace “sur le terrain” à la rencontre des riverains pour un “point sur la sécurité dans le 7e arrondissement”. Squats, débits de boissons, problèmes de pied d’immeuble et prostitution sont mis à l’ordre du jour par Jacques Gérault.
Rapidement, la question des camionnettes de prostituées est abordée. Une première personne, responsable d’une entreprise médicale, prend la parole : “Nous n’avons rien contre les camionnettes. Mais c’est gênant pour nos salariés qui rentrent seuls et pour nos clients. On retrouve toute la pègre sur nos parkings”. Un des responsables des chèques postaux enchaînent : “ll y a tellement de camionnettes qu’on ne peut plus se garer pour venir travailler. On en a vu certaines brûler. Et les personnes qui sortent se font racoler”.
Sans surprise, le préfet répond qu’il a été saisi à plusieurs reprises de ce problème. Il a déjà préparé sa réponse : “Il faut de la ténacité. Des personnes n’ont pas à voir ce qu’elles voient. Le trafic de drogue est intimement lié” et de conclure : “Il faut étendre l’arrêté municipal du 20 mai 2008 au boulevard Yves Farge et à la rue Pré Gaudry”. Lequel arrêté, quatrième du genre, a déjà un large périmètre d’interdiction des camionnettes. Le sud de Gerland (au sud de la ligne avenue Debourg/rue Challemel-Lacour) et le Moulin-à-Vent sont en effet concernés ainsi que l’avenue Leclerc et le boulevard de l’Artillerie.
Jean-Louis Touraine, premier adjoint en charge de la sécurité et de la voirie, saisit la balle au bond : “Nous ne pouvons pas l’étendre car il est poursuivi devant le tribunal administratif”. Mais le préfet insiste. Un gendarme de la caserne de la rue Pré-Gaudry enfonce le clou : “Elles évacuent leur urine dans notre jardin, les fourgons brûlent, les souteneurs passent. Un jour, il y aura un problème !”
Une “prostituée de la rue”, comme elle se présente elle-même, prend la parole. Il s’agit de Karen, celle qui a attaqué en justice le dernier arrêté municipal. Malgré l’arrêté, elle continue à “travailler” dans le parc de l’Artillerie. Elle demande qu’il y ait un “dialogue”.
Jacques Gérault ne se défile pas : “Il faut l’écouter” et il enjoint la commissaire du 7e arrondissement d’“instaurer un dialogue”. Du jamais vu ! L’association Cabiria qui avait déjà prévu une réunion au centre social de Gerland appelle toutefois à venir discuter le 25 novembre.
2e réunion : L’espoir d’un dialogue prend corps
Au centre social, changement d’ambiance. Une cinquantaine de participants sont assis en arc de cercle, à parité entre prostituées et riverains. Aucun élu n’a fait le déplacement. La Ville de Lyon est représentée par le directeur des services de la mairie du 7e. Quant au préfet, il a envoyé son délégué pour l’arrondissement. Autre déception pour les organisateurs : les riverains les plus remontés de la réunion de l’ENS n’ont pas fait le déplacement.
Les habitants présents évoquent leurs craintes liées à la prostitution : “ J’ai peur que les camionnettes qui stationnent près de l’école, place Jean Jaurès, servent un jour à la prostitution”, s’inquiète une parent d’élève.
Une assistante sociale de l’allée Pierre de Coubertin, à une encablure du Stade de Gerland, parle de son immeuble qui a été fermé par digicode parce que les résidents en avaient “marre de retrouver des préservatifs dans l’allée”. “C’est surtout la population que ça génère qui nous gêne quand il y a quinze camionnettes de jour comme de nuit. On retrouve des cannettes. Les enfants nous demandent ce que c’est…”
Une femme prostituée, Clara, répond : “La concentration n’est pas de notre fait. Au départ, on était deux par camionnette. Mais les flics ne voulaient pas car, selon la loi sur le proxénétisme, il y en a toujours une qui peut être considérée comme mac de l’autre”.
Toujours sur la concentration des camionnettes, l’expérimentée Jocelyne complète l’explication. Elle raconte qu’avec quelques femmes, elle a tenté de s’installer dans une rue d’une zone industrielle de Saint-Fons quand la mairie a interdit les camionnettes dans la partie Sud de Gerland. “En deux heures, les flics sont arrivés et nous ont virées”.
Un salarié de l’association Cabiria, co-organisatrice de la soirée, fait le lien entre une recrudescence de l’activité de la police pour faire appliquer l’arrêté anti-prostitution dans la zone de l’artillerie, au Sud de Gerland et le déplacement d’une trentaine de camionnettes autour de la rue Pré-Gaudry, qui est le nouveau point de tension.
Après ces explications, la directrice de Cabiria, Florence Garcia, insiste sur la nécessité de travailler conjointement entre personnes prostituées et riverains pour trouver des solutions pour cohabiter. Elle lance des pistes : la rédaction d’une charte de bon voisinage et la mise en place de poubelles et de toilettes publiques. Le directeur du centre social, Jean-Paul Vilain, rebondit sur l’idée : “Le centre social pourrait s’associer à cette démarche en installant des toilettes sèches. Ça permettrait de parler d’écologie”. En partant, les quelques riverains qui restent laissent leurs coordonnées. On promet de se revoir.
3e réunion : la préfecture a un message à faire passer
Après une invitation distribuée par des agents de police, les prostituées sont nombreuses au rendez-vous. Elles représentent les trois quarts de la soixantaine de personnes qui remplissent la salle des mariages de la mairie du 7e. Cette réunion de “dialogue” à l’initiative de la préfecture est animée par Zorah Aït Matem, première adjointe (PS) du maire de l’arrondissement. Au cours de la réunion elle distribuera la parole à toutes les autorités en charge du dossier : commissaires de police, le commandant de la brigade des mœurs et le directeur de cabinet du préfet délégué à la sécurité.
Les riverains les plus remontés sont revenus, accompagnés de leurs collègues, gendarmes pour la majorité. Dès la première intervention, le ton est donné. “Les nuisances sonores, olfactives que vous faites quand vous travaillez… Sous mes yeux une dame a baissé son pantalon pour déféquer !”
Un autre gendarme tout aussi remonté demande l’application immédiate de la loi sur le racolage, ce qui permettrait, selon lui de “vider toutes ces personnes”.
La commissaire du 7e demande alors aux personnes qui travaillent rue Pré-Gaudry, dans la rue de la caserne de gendarmerie de lever la main. Personne ne s’exécute.
Les anciennes prennent tour à tour la parole. Elles disent ne pas vouloir “ramasser pour des filles qui foutent la pagaille, comme dans n’importe quel métier”. Toutes rajoutent qu’elles ne “peuvent plus travailler tranquillement parce qu’elles sont pourchassées de partout”.
Le directeur de cabinet coupe court au dialogue et à la recherche de solutions alternatives : “Il y a eu des désagréments à Perrache, on a pris des arrêtés. Si ça perdure, de nouvelles mesures seront prises”. S’en suit une série de prises de parole de sa part où il s’adresse directement aux femmes pour leur demander de “s’organiser comme toutes les professions, comme les banquiers le font”.
Ce fonctionnaire expérimenté doit certainement ignorer la loi sur le proxénétisme qui interdit toutes formes d’associations à des fins prostitutionnelles, ce qui en fait une “profession” pas comme les autres. Le message de la préfecture est clair : si vous ne partez pas de vous-même, un nouvel arrêté vous fera partir. À aucun moment, les représentants de la police et de la préfecture n’ont osé ouvrir une discussion autour de solutions alternatives soutenues par les personnes prostituées ou les associations qui travaillent à leur contact, comme la suppression des arrêtés municipaux pour permettre davantage d’étalement ou la mise en place de poubelles ou toilettes publiques. D’ailleurs cette volonté de ne pas dialoguer transpirait dans la liste des invités puisque ni les associations, ni le conseil de quartier, ni le directeur du centre social n’ont été conviés.
Cette gestion autoritaire par la préfecture de la question était d’autant plus criante que la seule élue, la première adjointe, s’est coulée dans les pas des représentants de l’État : aux prostituées de tout faire, alors que leurs demandes n’ont pas été entendues et qu’elles ont des capacités d’organisation très limitées du fait de la loi sur le proxénétisme. La phrase de conclusion de la première adjointe du 7e “Structurez-vous de manière à ne pas vous laissez envahir par les clandestins !” sonnant étrangement dans la bouche d’une élue
socialiste.