À l’occasion des 20 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, Lyon Capitale a rencontré l’une des rescapés du massacre qui fit plus de 800 000 morts. Jeanne Allaire, 37 ans, nous raconte son histoire, avec un calme qui force l’admiration.
“Je me rappelle du jour où je me dis que je ne vais pas mourir.” Rwanda, juin 1994. Voilà trois mois que la barbarie fait rage. Jeanne, 17 ans, et Claire, sa sœur de 20 ans, se réfugient dans un orphelinat de Nyanza, au sud du pays. “C’était le 29 ou le 30 juin, raconte Jeanne, qui a perdu la notion du temps. Le Front patriotique rwandais arrive dans l’orphelinat. Juste avant, des soldats de l’armée régulière étaient venus, ils nous avaient regroupés et avaient commencé à tirer en l’air. Donc, quand on a vu ces soldats débarquer, on n’y croyait pas ! Ils nous donnaient un message de paix.”
Pendant deux mois, Jeanne et sa sœur ont couru dans la forêt, traquées comme des animaux. Les Hutus en furie massacrent les Tutsis, qu’ils identifient grâce à leur carte d’identité. Et puis, il y a les stéréotypes propres à l’épuration ethnique, qui les définissent comme des êtres grands, à la silhouette élancée. Comme Jeanne. “C’était un génocide de proximité. Les voisins tuaient les voisins. On a toujours su qui était tutsi ou hutu, on avait de bons rapports, on partageait tout, on allait ensemble à l’école…” Pour éviter d’être repérées par les miliciens qui fouillaient les maisons, les deux jeunes filles se cachent alors dans les bananiers. “La question, ce n’était pas de survivre, c’était : Comment je vais mourir et quand ?”
Le jour d’après
Jeanne ne meurt pas, mais l’après-génocide est tout aussi effrayant. “Ce qui est bouleversant, c’est de se réveiller et de ne trouver rien de ce qu’on connaissait, explique-t-elle. Plus de frères et sœurs avec qui partager des souvenirs, plus de photos, plus d’habits, plus d’enseignants, plus de camarades, plus d’école… Ton histoire est effacée et il faut tout recommencer.” Malgré tout, Jeanne s’estime chanceuse : quand les massacres ont commencé, en avril 1994, sa famille vivait dispersée dans le pays et à l’étranger, ce qui les a sauvés, pour la plupart. “C’est plus difficile de se cacher à cinq qu’à deux. J’ai perdu mon père et une sœur, mais j’ai retrouvé ma mère, mon frère et une petite sœur. Ce n’est pas courant de garder une famille aussi nombreuse.”
“Je ne suis pas malheureuse”
En surface, la commémoration de ce drame ne semble pas affecter son quotidien. “Je joue le jeu de l’anniversaire, mais ce n’est pas une journée qui est différente de mes journées habituelles”, lâche-t-elle. Juriste de formation, Jeanne vit aujourd’hui à Lyon avec son mari. Vice-présidente de l’association Ibuka Rhône-Alpes depuis 2012, elle est parvenue à se reconstruire, à “apprivoiser le génocide”, comme elle dit. “Je ne suis pas malheureuse. Je pense que je suis plus en paix que les tueurs, confie-t-elle. Je suis restée, je ne peux pas me permettre de gâcher ma deuxième chance !”