Philippe Meirieu
© Tim Douet

Rythmes scolaires : Meirieu d’accord avec Peillon pour raccourcir les vacances d’été

Plusieurs semaines avant la déclaration de Vincent Peillon sur la nécessité de raccourcir les vacances d’été, le plus célèbre pédagogue de France s’était déjà prononcé en ce sens dans nos colonnes. Pour Lyon Capitale-le mensuel, Philippe Meirieu commentait en détail la réforme des rythmes scolaires initiée par le ministre de l’Éducation.

Lyon Capitale : Le rythme scolaire des enfants fait irruption au cœur du débat politique. Est-ce selon vous un sujet majeur pour réformer l’école ?

Philippe Meirieu : C’est évidemment un sujet important, et pas seulement pour les enfants. Il interroge la société tout entière, notamment la vie des familles, les contraintes professionnelles et économiques, etc. Mais je crains que la focalisation médiatique sur la seule question des rythmes scolaires n’obscurcisse le vrai débat sur l’école, et que l’on oublie ainsi des questions plus fondamentales sur les contenus, les programmes scolaires, la finalité de l’école, la pédagogie, les rapports entre l’école et les familles...

Beaucoup s’opposent à l’allongement de la pause de midi pour raccourcir la journée des écoliers. Vous aussi ?

Je n’y suis pas opposé en soi, tout dépend des activités que l’on fait. Si on fait deux heures de récréation ou du soutien scolaire au moment où l’attention des enfants est faible, cela n’a pas de sens. Si c’est du sport, il faut savoir si c’est avant ou après l’heure du repas. On ne peut pas définir le cadre sans voir le contenu. On ne peut pas remplir des plannings sans s’interroger sur la nature des activités proposées. Il y a un caractère absurde à la démarche qui est imposée aujourd’hui : au lieu de partir d’un projet éducatif pour les enfants, de s’interroger sur les activités qui leur seraient utiles et du moment où il faudrait les faire, on fige des cadres et, ensuite, on remplira des cases !

Préférez-vous le retour au samedi matin travaillé ?

C’est un peu dommage de maintenir cette hypothèse uniquement sous forme dérogatoire, car très peu d’écoles vont alors utiliser le samedi matin. La pause de deux jours durant le week-end fait que l’enfant se couche tard trois soirs de suite, les vendredis, samedis et dimanches. Il commence la semaine fatigué.

Il y a un deuxième argument qui plaide en faveur du samedi matin travaillé : beaucoup d’enseignants estiment que c’est un moment privilégié pour le rapport entre l’école et les familles. Car les parents ne travaillent généralement pas et sont moins pressés que les autres jours. Cela peut être l’occasion de contacts et de dialogues féconds. Ceci dit, je suis hostile à une formule unique imposée de façon jacobine.

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Faudra-t-il raccourcir les vacances d’été ?

C’est indispensable. Nous avons trop peu de jours de classe, et les journées sont trop chargées. La longueur des vacances d’été est un véritable obstacle à la continuité pédagogique. Le ministre s’est engagé sur le sujet et il semble déterminé. J’espère qu’il ne cèdera pas sous le poids des lobbies du tourisme et des autoroutes.

Combien de temps devraient selon vous durer ces vacances ?

6 à 7 semaines, et pas seulement pour le primaire. Au lycée, les vacances d’été durent parfois 10 à 11 semaines, ce qui est beaucoup trop.

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Ne trouvez-vous pas que les manifestations et mobilisations syndicales expriment plus un réflexe corporatiste qu’un souci du bien-être des enfants ?

On peut interpréter les choses comme cela. J’ai eu dans ma carrière affaire à des syndicats hostiles à des réformes que je proposais. Mais le SnuIPP est un syndicat de la FSU ouvert aux questions pédagogiques. Ce mouvement traduit surtout le malaise des enseignants. Nous sommes un des pays d’Europe où ils sont le moins bien payés.

Il faudra donc les augmenter ?

Le ministre a promis un coup de pouce d’environ 400 euros par an. Il faudra, un jour ou l’autre, aborder cette question de manière plus ambitieuse, sinon on aura des problèmes de recrutement. Mais ce n’est pas le seul problème. Certains enseignants ont vraiment le sentiment de devoir vider l’océan à la petite cuillère. Ils reçoivent tous les jours des enfants stressés, qui sont de plus en plus en manque de sommeil, des enfants excités, parfois cassés... De plus, la société se défausse sur l’école de plus en plus, en lui demandant de faire ce qu’elle fait de moins en moins, en matière de formation civique et citoyenne en particulier.

N’est-ce pas regrettable que l’on réduise presque de moitié le nombre d’heures consacrées à l’aide personnalisée ?

Elle avait été mise en place par Xavier Darcos [ministre de l’Éducation du gouvernement Fillon, NdlR] au moment où il avait institué la semaine de quatre jours. Elle se déroulait durant la pause de midi ou en fin de journée, avec pour conséquence d’allonger la journée de travail des élèves qui étaient déjà les plus en difficulté. Ce qui est d’évidence trop lourd pour eux. Cela avait notamment permis au ministère de supprimer les Rased*, qui apportaient un soutien significatif aux élèves les plus fragiles. De toute façon, dans une classe, on doit pouvoir organiser des temps de travail collectif et des temps de travail individuel. Faire classe à des enfants de primaire, ce n’est pas dispenser des cours magistraux en permanence. C’est forcément de la pédagogie différenciée.

Dans une tribune au Monde**, vous défendez les programmes élaborés en 2002. Pourquoi ?

Les programmes de 2002 avaient été élaborés avec le corps enseignant et représentaient pour moi un bon point d’équilibre, permettant d’articuler des activités périscolaires. Nicolas Sarkozy, dans sa volonté de reprise en main, a exigé de Xavier Darcos qu’on fasse des programmes plus directifs, centrés sur les “savoirs fondamentaux”. En quelques semaines, ont été élaborés des programmes totalement bâclés, avec des énoncés simplificateurs et instituant un apprentissage mécanique.

Certains s’inquiètent des moyens qu’auront les communes pour instituer des activités périscolaires qui viendront alléger les journées de travail, avec notamment un risque de distorsion entre communes riches et pauvres. Êtes-vous aussi inquiet ?

On peut avoir une double inquiétude : la capacité de financement des communes, et les compétences des personnes amenées à intervenir en classe, si on ne veut pas que ce soit uniquement de la garderie. Il faut laisser le temps aux communes de faire le go between entre les écoles et les associations culturelles, artistiques et sportives. Il faut que tout cela se fasse dans l’élaboration concertée de vrais “projets éducatifs locaux” impliquant les enseignants, les parents, les élus, les associations, le tissu artistique et sportif, les quartiers...

Quelles activités imaginez-vous ?

Il faut que l’école se dote d’activités de qualité avec une forte fonction éducative : du sport, de la culture, des pratiques artistiques. Et aussi des respirations : pourquoi pas du yoga, du chant, des maquettes ?

Que pensez-vous du ministre Vincent Peillon ?

Il s’investit beaucoup. Il a obtenu gain de cause dans les arbitrages budgétaires difficiles. Pourtant, la refondation promise n’est pas au rendez-vous. On est beaucoup plus dans la réparation des dégâts des années Sarkozy – et c’était nécessaire. Mais l’école a besoin d’un souffle qui mobilise les parents et qui tire les enseignants vers le haut.

* Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté.

** Le 12 février 2013.

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Entretien paru dans Lyon Capitale-le mensuel de mars.

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