Rythmes scolaires : quel impact pour les enfants ?

La question des rythmes scolaires se pose depuis près de trente ans, avec la difficulté de conjuguer l’intérêt des enfants et ceux des parents et des enseignants. Retour sur une réforme qui suscite un débat passionné. (Article publié dans le mensuel n°714 de Lyon Capitale).

Je serai toujours et d’abord le ministre des élèves”, avait déclaré Vincent Peillon dix jours après sa nomination, au congrès national de la FCPE, principale fédération de parents d’élèves. Près d’un mois plus tard, le ministre réaffirme, dans une lettre adressée à tous les personnels de l’Éducation nationale, la priorité du Gouvernement accordée au primaire. Priorité qui passera entre autres par une réforme des rythmes scolaires. Ce sujet divise depuis trente ans. D’où la mise en place d’une concertation avec l’ensemble de la communauté éducative, officiellement lancée le 5 juillet, pour faire avancer ce grand chantier. À cette étape, le ministère n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet, d’autant plus sensible qu’il concerne aussi l’industrie du tourisme, le monde des transports et les collectivités locales.

Alléger des journées surchargées

Selon un rapport remis au précédent ministre de l’Éducation, Luc Chatel, en juillet 2011 par un comité de pilotage, les rythmes scolaires en primaire sont source de stress et d’échec scolaire. Aujourd’hui, les écoliers français ont six heures de cours par jour – un record en Europe –, auxquelles il faut ajouter une demi-heure d’aide personnalisée pour les élèves en difficulté. Une aberration, quand on sait que les enfants de 6 ans sont attentifs au maximum 4h30 dans une journée… La suppression des samedis matin d’école n’a pas arrangé les choses. Les semaines resserrées sur quatre jours imposent un rythme encore plus soutenu. Les élèves français ont peu de jours de classe : 144 par an, contre 180 en moyenne dans les autres pays européens. “Cela fait des années que l’on tire la sonnette d’alarme, déplore Claude Bardonnet, psychologue à Lyon. Depuis plus de quarante ans, on fait vivre les enfants à des rythmes d’adulte. Fatigue, moindre mémorisation, irritabilité, violence… les conséquences sont désastreuses. Résultat : il y a de plus en plus d’enfants en échec scolaire. Ceux qui ont de grosses capacités y arrivent, mais pour les autres c’est dur. Ce système creuse les inégalités.” Un constat partagé par la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) : “Six heures de cours par jour, c’est trop long pour les enfants de primaire, commente Jacqueline Lédée, secrétaire générale de la fédération du Rhône. Alléger les journées contribuerait à améliorer les apprentissages et à diminuer la souffrance scolaire.”

Mieux articuler la journée scolaire

Pour coller davantage au rythme biologique des enfants, une réorganisation des journées de classe semble s’imposer. C’est d’ailleurs ce que préconise le rapport sur la réforme des rythmes scolaires. Objectif : disposer d’un temps scolaire plus qualitatif, de façon à diminuer le stress et améliorer les résultats des élèves. Chronobiologistes et psychologues s’accordent pour dire que l’après-midi l’attention des élèves est en berne. D’où l’idée du Gouvernement de proposer des activités extrascolaires sur ce créneau : “En primaire, les apprentissages cognitifs doivent se faire le matin, de 8h30 à 12 heures, explique Claude Bardonnet. C’est là que l’enfant est le plus productif, avec un pic d’attention aux alentours de 11 heures. L’après-midi devrait être consacré aux activités culturelles, sportives, artistiques… Autre avantage : le fait de proposer des activités périscolaires dans le temps d’école favorise l’égalité des chances. On retrouve vraiment l’école républicaine. Car, jusqu’à présent, ceux qui font faire des activités extrascolaires à leurs enfants, ce sont les parents fortunés. Et, même dans le cadre des MJC, beaucoup ne peuvent pas se le permettre.”

Pourtant, d’autres inégalités pointent à l’horizon. Car quelles activités pourra-t-on proposer aux élèves ? Qui va les encadrer ? Et… qui les financera ? S’il s’agit des municipalités, comme cela a été évoqué, certaines auront les infrastructures et les moyens financiers, d’autres pas. “Par exemple, là où j’enseigne, le gymnase n’est disponible que le lundi matin”, commente Yannick Le Du, du SNUIPP (principal syndicat d’enseignants du primaire) du Rhône. “Il ne peut donc pas être mis à disposition des écoliers les après-midi. D’autre part, il faut se poser la question des personnes qui encadreront. Toutes les collectivités locales ne pourront pas proposer des animateurs compétents. Notre crainte, c’est que ce temps qui doit être consacré aux activités périscolaires ne se transforme en deux heures d’étude, où l’on dira à l’enfant de prendre sa feuille et son pot de crayons et de se débrouiller.”

Équilibrer la semaine

Pour compenser l’allégement des journées d’école en primaire et mieux étaler les apprentissages dans le temps, un retour à la semaine de cinq jours est envisagé pour la rentrée 2013. Une mesure qui rencontre peu d’opposants, à quelques exceptions près. Si les fédérations de parents d’élèves – la FCPE et la PEEP – sont pour, cette proposition ne fait pas forcément l’unanimité parmi les parents d’élèves eux-mêmes. Selon un sondage Ifop réalisé en mai 2012, 55 % des parents d’élèves n’approuvent pas ce retour à la semaine de cinq jours.

Côté enseignants, certains affichent quelques réticences. “Il faut savoir que dans le Rhône la semaine de quatre jours est en vigueur depuis plus de vingt ans, rappelle Yannick Le Du. Certains enseignants sont contre un retour à la semaine de cinq jours. Forcément, cela bouscule les habitudes.”

Le choix de la demi-journée supplémentaire fait aussi débat. Le mercredi matin semble avoir la préférence du Gouvernement. Une option qui serait semble-t-il plus favorable aux familles. “Il faut bien considérer que l’enfant n’est pas seul en société, souligne Luis-Georges Quintelas, président départemental de la PEEP. Il faut viser à lui donner un équilibre familial. Parents et enfants ont besoin de temps d’échange entre eux. Le samedi et le dimanche, les parents ont un maximum de disponibilité pour leurs enfants.” Les partisans du mercredi y voient aussi le moyen de ne pas grignoter le temps précieux que les parents séparés passent avec leurs enfants le week-end.

Interviewé sur France Info le 7 juin 2010, Philippe Meirieu, professeur des universités en sciences de l’éducation et membre d’Europe Écologie-Les Verts, prônait quant à lui le rétablissement des samedis matin : “La suppression du samedi matin a été à la fois précipitée et inopportune. Le samedi matin, c’était aussi un moment où les parents pouvaient aller chercher leurs enfants à l’école. Il y avait des rapports privilégiés entre les enseignants et les parents (…). Je trouve que là on a choisi le confort des adultes au détriment de l’intérêt de l’enfant. (…) Je pense que la coupure est importante en milieu de semaine. Je pense que les deux jours de coupure [du week-end], ça déséquilibre. On se lève tard le samedi matin, on se lève tard le dimanche matin, on ne peut pas se coucher le dimanche soir, on n’arrive pas à se lever le lundi matin. Tout ça fait que les enfants sont fatigués.”

Claude Bardonnet va plus loin : “Je préconise cinq jours identiques d’affilée : cinq matinées d’apprentissages, suivies de cinq après-midi d’activités extrascolaires. Cela éviterait aux enfants d’avoir leurs activités extrascolaires le soir de 17 heures à 18 heures. Et cela simplifierait les problèmes de garde des enfants le mercredi. Je vois beaucoup d’enfants qui, dès le primaire, sont livrés à eux-mêmes seuls chez eux des mercredis entiers, parce que les parents n’ont pas de solution pour les faire garder.”

Un rythme régulier toute l’année

Depuis le 28 juin, c’est officiel : les vacances de la Toussaint dureront deux semaines. Sur le calendrier 2012, les enfants entameront leurs vacances le 27 octobre et retourneront à l’école le 12 novembre, au lieu du 8. Deux petits jours de classe en moins qui font toute la différence. De l’avis des spécialistes, une coupure de deux semaines complètes est nécessaire pour que l’enfant se repose vraiment. Repos d’autant plus mérité que le premier trimestre, avec ses quatorze semaines, est non seulement le plus long de l’année, mais aussi le plus fatigant car il coïncide avec l’entrée dans l’hiver. Selon les chronobiologistes, la première semaine, les enfants décompressent, se défont des horaires de l’école et dorment mieux. La deuxième semaine, ils récupèrent, se détendent avec des loisirs. Autre avantage de ces deux semaines, l’enfant bénéficie toute l’année d’un rythme régulier : sept semaines de cours, en alternance avec deux semaines de vacances. Une mesure qui peut cependant poser problème au niveau de la garde des enfants.

“Cette cadence de sept semaines de cours, deux semaines de vacances, c’est une des revendications de la FCPE, car c’est un rythme qui permettra aux enfants de mieux récupérer”, affirme Jacqueline Lédée, de la FCPE du Rhône. “Mais on peut comprendre que, pour certains parents, il faudra s’organiser pour la garde des enfants”, souligne-t-elle. “De toute façon, le casse-tête pour faire garder ses enfants existe déjà, notamment quand on est un parent isolé, ou quand on n’a pas de famille sur place, déplore Luis-Georges Quintelas, de la PEEP. On se demande simplement s’il y aura des structures qui proposeront quinze jours d’activités pour les enfants pendant les vacances de la Toussaint.” Les journées de vacances ajoutées à la Toussaint seront rattrapées notamment pendant les grandes vacances, qui débuteront le 6 juillet 2013 (au lieu du 4). Un calendrier adapté à tous les élèves ? Pas si sûr… “Dans la réalité, ce ne sera pas forcément facile à mettre en place. Il y a de grandes disparités sur tout le territoire. Dans certains établissements, fin juin, beaucoup d’élèves ne sont déjà plus là”, explique Yannick Le Du.

Au-delà des rythmes scolaires

Mais la question des rythmes scolaires ne règle pas tout. Si les journées sont denses, c’est que les programmes scolaires le sont aussi. Certains experts soulignent en outre qu’il ne faut pas oublier le contenu des cours et la qualité des pratiques pédagogiques, fortement mobilisateurs chez les enfants. “Les rythmes scolaires, c’est le petit bout de la lorgnette, souligne Yannick Le Du. Il faut savoir que le primaire a été délaissé pendant des années. Depuis 2008, les programmes sont tellement lourds qu’ils sont intenables. Par ailleurs, on ne peut pas déconnecter la formation de l’enseignant de celle de l’élève. Avec les rythmes scolaires, on est sur du quantitatif. Il est important aussi de mettre l’accent sur du qualitatif. Garantir aux enseignants des formations de qualité a une influence directe sur la qualité de l’enseignement dispensé aux enfants.”

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