S'opposer à l'horreur sans en reproduire la logique

Ils ont été offerts en holocauste pour racheter les crimes des auteurs et des complices de la shoah devenus, depuis, les protecteurs de l'Etat d'Israël. Ils sont aussi victimes de la logique qui préside aux relations internationales. Ils ont la malchance de faire partie de l'humanité dont les droits comptent peu. Tant que la vie d'un être humain n'aura pas la même valeur que celle de n'importe quel autre humain, tant que les vainqueurs de la 2ème Guerre mondiale auront le privilège d'imposer leur volonté à l'ONU pour faire valoir leurs intérêts et ceux de leurs alliés au détriment des droits élémentaires du reste de l'humanité, ce genre de drame, avec son lot d'horreurs et de barbarie, continuera à se reproduire.

Comment mettre fin à cet ordre ? Certainement pas en en intégrant la logique et en la reproduisant au niveau des relations au sein des sociétés qui en sont victimes : le grand problème des pays du Sud, dont les pays arabes, c'est que leurs sociétés et leurs systèmes politiques sont structurés par la même logique : la vie des petites gens n'a aucune valeur, leur droits élémentaires sont bafoués et les privilèges de leurs gouvernants, et des proches de ceux-ci, n'ont comme limites que celles que leur imposent les intérêts supérieurs des grandes puissances dont ils dépendent. Les gouvernants ne peuvent pas dénoncer les effets d'un système qu'ils reproduisent et dont ils dépendent ; d'où leur silence honteux. Les populations réagissent à l'injustice de l'ordre qu'elles subissent, tant au niveau international que local, en reproduisant la même logique : mes droits contre ceux de mon ennemi. Les souffrances et les droits de l'Autre, l'ennemi absolu, sont niés au nom des miens.

Les intellectuels et les forces de paix ont le devoir de dénoncer les injustices de l'ordre international et celui des systèmes politiques qui les reproduisent au niveau de chaque pays, non pas en caressant dans le sens du poil des réactions primaires de " solidarité mécanique " avec tel ou tel camp, mais en faisant appel à l'universalité de l'humain et de ses droits, en invitant les populations des camps opposés à prendre en charge, la mémoire, les souffrances et les droits de celui qui leur est présenté comme l'ennemi absolu. Dénoncer les crimes de l'Etat d'Israël à l'égard du peuple palestinien ne peut pas justifier le négationnisme ou légitimer la judéophobie. De même, le souvenir de la shoah, le rejet de l'antisémitisme et l'horreur des crimes nazis ne doivent pas servir de prétexte au soutien inconditionnel à la politique d'Israël, au silence devant ses crimes à l'égard des Palestiniens, et aux reflexes islamophobes alimentés par les amalgames entre résistance et terrorisme, islam et fanatisme.

Il faut aussi sortir de la logique opposant l'islam (dont la Palestine et le monde arabe) à l'Occident (dont Israël) comme deux entités éternelles, monolithiques, irrémédiablement et complètement étrangères, fermées et hostiles l'une à l'autre. Pour rompre avec cette logique, il est important de faire entendre les voix, nombreuses, des Juifs, d'Israéliens et d'occidentaux qui dénoncent l'occupation et les massacres auxquels se livre l'armée israélienne contre les Palestiniens, et s'opposent aux politiques des grandes puissances dans le monde arabe et tous les pays du Sud. Il faut aussi donner la parole aux Arabes et aux musulmans qui refusent les reflexes identitaires et appellent à une solution prenant en compte les drames et les aspirations légitimes des populations embarquées dans un conflit absurde qui hypothèque leur devenir et menace la paix dans toute la région.

Par Mohamed-Chérif Ferjani, professeur à l'Université Lyon 2

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