La Saint-Valentin, le 14 février, est une date bien connue des amoureux, bien que le saint de ce nom soit très obscur.
Nadine Cretin est docteur en histoire (Ecole des hautes études en sciences sociales) est spécialiste des relations entre le territoire et ses usages festif, rituel et spirituel. Elle a signé le livre Fêtes de la table et traditions alimentaires (Le Pérégrinateur). Elles nous raconte l'histoire de la Saint-Valentin.
"Escript le jour saint Valentin
Ou mains amans tres le matin
Choisissent amours pour l'année.
C'est le droit de celle journée."
Henry Ansgar Kelly, Chaucer and the Cult of Saint Valentin, 1986.
"Près de la tombe d'un martyr inhumé au deuxième mille de la Via Flaminia, entourée de bonne heure par d'autres tombes, fut construite une église dédiée à saint Valentin : cette basilique, attribuée au pape Jules I (337-352) et restaurée sous le pape Honorius I (625-638), fut le lieu d'un pèlerinage très fréquenté. D'après le récit tardif et légendaire du martyr de Marius, Marthe et leurs compagnons, groupe originaire de Perse dont le culte s'étendit à Rome au VIe siècle, en raison de la translation de leurs reliques, saint Valentin aurait été un prêtre romain, martyr au IIIe siècle. A la fin du XIIIe siècle, le corps de saint Valentin fut transféré, comme beaucoup d'autres, dans la chapelle Saint-Zénon de l'église Sainte-Praxède, près de Sainte-Marie-Majeure. Rien ne le prédisposait au patronage des amoureux.
Ce Valentin fut confondue avec un autre du même nom, "évêque" de Terni selon une tradition qui ne remonte pas au-delà du VIe siècle, martyrisé à Rome vers 273 et fêté également le 14 février. Terni est situé aussi sur la voie Flaminienne, au 63e mille. Là encore, sur l'emplacement estimé de la tombe du martyr, on construit )à une époque reculée une basilique attestée au VIIIe siècle.
A la suite d'un récit tardif (mais antérieur au VIIIe siècle), ce second Valentin était réputé guérisseur et aurait exercé son sort auprès des filles d'un certain Craton - citoyen romain ou philosophe grec -, avant d'être arrêté puis décapité sur la voie Flaminienne. Il reste que nous pouvons nous étonner de la présence de deux martyrs du même nom, célébrés le même jour, martyrisés tous les deux au IIIe siècle. Valentin ne serait-il pas le nom d'un unique personnage dont le culte importé tôt à Terni serait devenu tout simplement celui d'un saint local ? L'évêque de Terni aurait-il été au contraire le seul Valentin, tandis que la basilique de la deuxième ville aurait porté le titre de son donateur, un dénommé Valentin sanctifié par erreur ? Qu'en serait-il alors du tombeau du martyr trouvé là ? Depuis, d'autres Valentins ont ajouté à la confusion !
L'étymologie prometteuse du nom de Valentin (du latin valere, être fort, bien se porter, réussir) semble être à l'origine du patronage des amoureux car, pour cette raison, la Saint-Valentin était marquée par de nombreux présages de bonheur, surtout l'obtention d'un fiancé ou d'un mari. Mêlé à une croyance médiévale relative à l'appariement des oiseaux ce jour-là, la popularité de ce saint grandit. Propre aux Iles britanniques, la légende selon laquelle les oiseaux s'apparient à la Saint-Valentin, diffère quelque peu de la croyance française selon laquelle ils se fiancent le jour de sa fête et se marient un peu plus tard, à la Saint-Joseph (le 19 mars) : c'est l'explication la plus fréquente de cette réputation de la Saint-Valentin. Avec l'avènement de la courtoisie, le poète de cour anglais Geoffrey Chaucer parle de la Saint-Valentin et de l'avènement du printemps où les oiseaux se choisissent une compagne dans The Parliament of Fowles ( vers 1382). Selon des exemples donnés par le poète et son contemporain John Gower, des manifestations courtoises avaient lieu le 14 février dans le milieu aristocratique anglais. Le valentinage,"sorte de mise à l'épreuve amoureuse", consistait à associer pour l'année - ou seulement la journée - des couples formés selon leur libre consentement ou selon le hasard (première rencontre du matin, tirage au sort...), y compris chez les personnes mariées. Le Valentin et sa Valentine, dont l'association restait secrète, se faisaient galanteries et menus cadeaux.
Toujours au XIVe siècle, la coutume du valentinage fut connue à la cour de Savoie par le capitaine des armées anglaises Othon de Grandson, chevalier-poète, puis par Pardo, chevalier espagnol de Valence, et enfin à la cour de France au siècle suivant, grâce aux rondeaux et ballades de Charles d'Orléans, qui avait été prisonnier à Londres de 1415 à 1440.
La tradition aristocratique se répandit en Lorraine au XVIe siècle, s'amalgamant à la coutume carnavalesque connue par ailleurs de la "parodie populaire des bans".
La Saint-Valentin, connue en France, en Angleterre et en Ecosse, s'étendait à l'instar de la Lorraine, et ne régnait pas seulement dans les cours aristocratiques. Son "coupable usage" fut dénoncé par les gens d'Eglise, en particulier en 1603. Les jeunes gens et jeunes filles écrivaient leurs noms sur des billets séparés disposés dans une urne. Après tirage au sort, le hasard rapprochait ainsi un Valentin d'une Valentine en formant des couples qui contractaient pour l'année "d'étroits rapports d'amitié". Le Valentin devait porter tout ce temps sur son coeur ou sur son bras le billet de sa Valentine et se faisait "une profession particulière de la servir, de la mener aux promenades, aux assemblées, aux bals, sans oublier de lui faire divers présents". Au tirage au sort, François de Sales eut l'idée de remplacer le nom de l'amoureux par celui d'un saint. Mais cette proposition fut accueille par de violentes réactions de ses ouailles, ce qui laisse penser que l'usage était établi depuis longtemps.
Avant même l'envoi des cartes de Noël, l'Angleterre connaissait, dès le XVIIIe siècle, celui de cartes de voeux, les valentines, messages amoureux parfois anonymes. La carte portait l'inscription "To my Valentine". S'étant développée à son tour en Amérique du Nord, la coutume du Valentine's Day revint en Europe, en particulier à la suite de la IIe Guerre mondiale grâce aux soldats américains. Aujourd'hui encore, les Américains adressent des valentines, cartes représentant des couples, des coeurs, des cupidons...., aux couples amis ou aux jeunes gens en âge de se marier.
La coutume actuelle est de célébrer cette fête en tête-à-tête ou, tout au moins, de se faire des cadeaux entre amoureux. Les restaurants proposent des dîners aux chandelles et des menus particuliers."