Ce lundi, la direction de Sanofi vient à Neuville pour défendre le plan social. Les salariés les attendent de pied ferme, mobilisés contre ce projet de restructuration qui prévoit 800 suppressions de postes. Le géant pharmaceutique ferme le site chimique de Neuville-sur-Saône pour y implanter un pôle vaccins. En cause : les brevets des médicaments “phares” du groupe pharmaceutique qui vont prochainement tomber dans le domaine public. Explications.
1. L’anticipation de la chute des blockbusters
L’air commence à être connu : Sanofi-Aventis, comme ses principaux concurrents, doit anticiper la “chute de plusieurs médicaments majeurs”. C’est la première cause avancée par la direction de Sanofi-Aventis pour expliquer la“mutation” annoncée par voie de communiqué de presse le 31 mars. En fonction des pays, les brevets des produits phares des grands groupes, autrement appelés les “blockbusters”, tombent progressivement dans le domaine public. Ce qui signifie que d’autres industriels, les “génériqueurs”, peuvent les copier à des prix très avantageux. Les génériques étant fabriqués essentiellement dans des pays à faibles coûts de main d’œuvre.
L’une des trois meilleurs ventes de Sanofi est concernée : le Plavix, une sorte d’aspirine ultrapuissante qui prévient la thrombose (la formation de caillots). Le groupe pharmaceutique anticipant la baisse des volumes de production, qui va résulter de la concurrence des génériques, a décidé de transférer une partie de la production du site de Neuville-sur-Saône à Sisteron (Alpes de Haute-Provence). “Neuville n’est pas directement impacté par les génériques", concède le directeur de l’usine de Neuville-sur-Saône, Hervé Lebrun. "Mais le groupe, au lieu de multiplier les plateformes chimiques faiblement remplies, va concentrer l’activité sur certains sites pour leur garantir un niveau suffisant d’activité. Et on va reconvertir les autres en fonction du développement des biotechnologies”.
Pour autant, Sanofi est un des groupes les moins menacés par les génériques : il a une grande diversité de produits dans son portefeuille alors que beaucoup de groupes, comme Pfizer ou GlaxoSmithKline, sont dépendants d’un ou deux produits.
2. Des gains de productivité qui ne profitent pas à Neuville
Entre 60 et 70% de la production du site de Neuville concernent les corticostéroïdes que l’on trouve, dans le commerce, sous la forme de différents produits à base de cortisone. Sanofi, qui ne commercialise pas ce type de produits sous son nom, vend les principes actifs à d’autres industriels, sur le marché générique. Ces principes actifs sont fabriqués en trois étapes : d’abord à Romainville (Seine-Saint-Denis) puis à Neuville et enfin à Vertolaye (Puy-de-Dôme).
Grâce à une innovation, le procédé de fabrication sera davantage basé sur la biochimie plutôt que sur la chimie de synthèse. Ce qui permettra, selon la direction du site, de diviser par deux le nombre d’étapes nécessaires à la fabrication, d’augmenter la productivité et, par conséquent, de gagner en compétitivité au niveau international. “Aujourd’hui, on ne peut pas se battre à procédé identique avec des compétiteurs chinois et indiens à faibles coûts de main d’œuvre, précise le directeur du site. Avec cette innovation nous allons prendre une avance technologique qui va défendre nos parts de marché”. Les coûts devraient être réduits de 20 à 40% selon les gammes de produits.
“Sanofi n’est pas aux abois", relativise Éric Solal, un des experts de l’industrie pharmaceutique, du cabinet d’étude Cidecos. “Sur certains produits, il y a une vraie concurrence des pays émergents comme l’Inde. Ce n’est pas le cas des “cortico” dont Sanofi capte environ 30% du marché. Avec cette innovation, le groupe a décidé d’améliorer sa rentabilité en faisant des gains de productivité. Et ce seront eux qui “menaceront” les pays émergents”.
Conséquence de cette innovation technologique, Sanofi va concentrer toute la production des corticostéroïdes sur les sites de Saint-Aubin-Lés-Elbeuf (Seine-Maritime) et Vertolaye (Puy-de-Dôme). Les sites de Romainville (Seine-Saint-Denis), 200 postes, et de Neuville, 800 postes, vont donc fermer.
3. Adieu la chimie, bonjour les vaccins
Pour remplacer la chimie, Sanofi-Aventis promet la création, sur l’ancienne plateforme de Neuville, du troisième pôle européen du groupe dédié aux vaccins, après Marcy l’Etoile (Rhône) et Val-de-Reuil (Eure). 350 millions d’euros au total devraient être investis. En mai dernier, Chris Viehbacher, directeur général de Sanofi-Aventis, avait posé la première pierre de l’unité de fabrication du vaccin contre la dengue… qui n’est pas encore mis au point. Pour calmer l’inquiétude des salariés, le directeur de Neuville avance d’autres vaccins qui seront fabriqués sur le site : “Les installations sont dimensionnées pour d’autres projets que la dengue”, poursuit Hervé Lebrun. Il n’a pas souhaité préciser quels vaccins pourraient être produits. Ils sont toujours “en recherche”. Il a toutefois précisé que ce sont des projets “dans le domaine des maladies nosocomiales et de santé publique générale”. Mais au-delà de la création d’un troisième pôle vaccin, la concentration de la chimie de synthèse sur quelques sites interroge.
Depuis deux ans, Sanofi concentre ses activités chimiques. Certains, comme Éric Solal du cabinet d’étude Cidecos, font l’hypothèse que cette dernière concentration sur deux sites (Saint-Aubin-Lés-Elbeuf et Vertolaye) préparent peut-être “une opération de vente en bloc de ce type d’activité de grosse biochimie qui comporte plusieurs vitamines et antibiotiques, vendus principalement à d’autres industriels”. Ce faisant, Sanofi suivrait les traces de Roche, qui fait figure de modèle dans le domaine. Dans le milieu des années 90, le laboratoire suisse a anticipé la “chute” des blockbusters en abandonnant ces produits de masse, en rachetant des laboratoires et en développant une recherche de produits pointus à forte valeur ajoutée. Et pour financer cette transformation, le groupe a vendu toutes les activités vitamines.
Sanofi pourrait vendre pour financer sans baisser sa rentabilité la “mutation vers les biotechnologies”. Une “mutation” qui passe par l’accélération de la recherche et développement et par le rachat des “petits” laboratoires de biotechs, chers à l’achat mais bien plus rentables que la vieille biochimie.
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Sanofi-Aventis, le groupe “le plus rentable du CAC 40”
Le quatrième groupe pharmaceutique mondial et leader mondial de la fabrication de vaccins a été couronné groupe le plus rentable du CAC 40 avec 8,5 milliards d’euros de bénéfice en 2009 pour un chiffre d’affaires de 29,3 milliards. L’activité est composée à 92% de la chimie et à 12% des vaccins (3,5 milliards d’euros). En décembre, plusieurs centaines de salariés de Sanofi Pasteur ont fait trois semaines de grève pour obtenir 3% d’augmentation. En vain.
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La promesse d'un plan social sans licenciement
La plateforme chimique fermera ses portes début 2014. La direction de Neuville a engagé un énorme plan de sauvegarde de l’emploi (terme juridiquement consacré pour désigner un plan social) qui prévoit un peu moins de 800 suppressions de postes avec pour objectif zéro licenciement. Pour parvenir à ce résultat, le groupe dit s’être donné “le temps”, jusqu’à 2014, et “les moyens”. Seront notamment proposés “sur la base du volontariat”, selon la direction : environ 300 cessations anticipées d’activité (sorte de préretraite dont le revenu est versé par l’entreprise), 400 postes dans la division “vaccins” dont 250 à Neuville et le reste à Marcy l’Etoile, et “des” postes en chimie dans l’ensemble des sites français. Avant de prendre les postes “vaccins”, un “plan d’accompagnement” est prévu avec des formations universitaires ou “avec des professeurs d’université”.
Pour les syndicats, le compte n’y est pas. À deux niveaux. Sur le principe, ils s’opposent à ce plan de restructuration. Dans un communiqué commun, les trois syndicats dénoncent “la recherche effrénée de la rentabilité financière qui mine l’entreprise” et qui conduit, selon eux, à la diminution des capacités de production et de recherche. “La direction supprime la chimie seulement parce qu’elle la considère comme pas suffisamment rentable”, affirme Fabien Mallet, le secrétaire CGT de Neuville-sur-Saône.
Quant au plan social, les syndicats estiment que le compte n’y est pas et que la direction a tendance à gonfler les chiffres : “Pour au moins une centaine de personnes, il n’y a pas de solutions. Elles risquent d’être licenciées”, estime Séverine Dejoux de la CGT. En réponse, le directeur du site réaffirme : “Il n’y aura aucun licenciement. Une offre valable sera une offre acceptée par la personne. Le nombre de postes et de départs en cessation d’activité va faire l’objet de discussion avec les partenaires sociaux”.