Frédéric Ploquin
Frédéric Ploquin , spécialiste du rand banditisme, est auteur de « Les narcos française brisent l’omerta »

"Si les trafiquants de drogue mettent fin aux émeutes, ils rendent service à l'Etat, ce qui les place dans une situation pour le moins assez singulière"

Spécialisé dans le grand banditisme, Frédéric Ploquin s'explique. Le constat : les émeutes nuisent au trafic de drogue. La question : est-ce que ce sont les trafiquants qui rétablissent l'ordre dans les banlieues ?

Frédéric Ploquin est spécaliste du grand banditisme et auteur de Les narcos français brisent l'omerta (Albin Michel), dans lequel il décortique par le menu le business model de ce qui est devenu un « empire indestructible ».

Lyon Capitale: On entend dire, ici et là, de source policière, que ce sont les dealers qui rétablissent l'ordre dans les cités pour préserver leurs trafics.

Frederic Ploquin : Pour l'instant, j'ai aussi quelques petits échos qui vont dans ce sens. En gros, les trafiquants des stupéfiants sont des gens pragmatiques, ce sont des commerçants , certes illégaux, mais des commerçants quand même. Et comme les commerçants, ils n'aiment pas voir leurs vitrines se faire casser. Or, c'est ce qui se passe depuis plusieurs jours : les points de deal sont au pied des immeubles dans les quartiers, d'où partent et s'agitent les émeutiers. Imaginez une supérette avec des travaux devant chez elle, aucun client ne rentre plus faire ses courses. Pour eux, c'est une perte de chiffre d'affaires. Et quand on connaît les chiffres de certains points de deal à la journée, les pertes peuvent rapidement devenir énormes. Et puis, il y a du stock à écouler.


"Les émeutes sont, pour les narco-trafiquants, particulièrement contre-productivistes."


On peut donc considérer que ces émeutes sont, pour les narco-trafiquants, particulièrement contre-productivistes. A moyen-terme du moins car, à court-terme, les dealers peuvent cautionner ces émeutes et ce pillages pour conforter, dans l'esprit de la police que leurs quartiers sont imprenables, que ce sont eux qui font la loi. C'est ce qui s'était passé lors des émeutes de 2005 : les responsables des coins de deal, à un moment donné, avaient sommé les plus jeunes de rentrer à la maison, soit avec la promesse des les embaucher dans leur organisation criminelle, soit parce qu'ils travaillaient déjà pour eux. Il y a un rapport de soumission entre ces petites mains, cette main d'oeuvre qui trime et payée au lance-pierre, et les caïds.

Lire aussi :  “À Lyon, le trafic de drogue est plus atomisé qu’à Marseille. On pourrait dire qu’il y a du travail pour tout le monde. C’est donc moins conflictuel”

Quand on regarde les profils des émeutiers, on constate qu'il s'agit de mineurs, parfois très jeunes, et extrêmement violents. Une partie de ces mineurs compte-t-elle parmi les petites mains des trafiquants de drogue ?

Tant qu'on n'en a pas un sous la main, c'est difficile à démontrer concrètement. Ce qu'on peut dire, en revanche, c'est que c'est typiquement ce genre de profils que recherchent les dealers : des jeunes qui n'ont pas peur de la police, capables de se défendre et de violence car le trafic est une activité dans laquelle il faut maîtriser la violence – pour être plus clair, on ne se se fait entendre que par la violence dans le trafic de drogue. Donc, à partir du moment où ces jeunes sont aguerris à la violence, ils deviennent une main d'oeuvre potentielle et malléable. Après, l'autre « force morale », si je peux parler ainsi, dans les quartiers, sont les barbus. En 2005, comme aujourd'hui, on a l'impression que certains responsable cultuels, sans généraliser, je ne parle pas de ceux qui sont dans les rangs, mais de ceux qui ont un intérêt à braquer un peu contre la France, qui cultivent cette haine, soufflent un peu sur le braises. Ils ont aussi un intérêt à montrer leur autorité pour tenter de faire la loi. Il y a donc une sorte de compétition entre ces deux sphères, ces deux modèles qui se croisent.


"Il peut y avoir un déplacement des méthodes propres aux trafics de drogue vers les pillages."


Lors du pillage des boutiques, on a vu une certaine organisation avec des guetteurs cagoulés et d'autres qui volaient les marchandises. Des méthodes qui ressemblent à celles qu'on voir sur les points de deal...

C'est comme les blacks blocs qui sont ultra organisés, avec des règles bien précises. Comme eux, les émeutiers ne sont pas des amateurs. Comme eux, ils ont l'habitude de contrôler l'espace public et la rue. Il peut donc y avoir un déplacement des méthodes propres aux trafics de drogue vers les pillages. Il ne s'agit rien moins que de mimétisme.

Le fait que des trafiquants de drogue rétablissent l'ordre en intimant aux émeutiers d'arrêter, qu'est-ce que cela dit de notre société ?

Cela confirme que le trafic de stupéfiants exerce une sorte de contre-pouvoir dans ces quartiers, que les trafiquants de drogue font régner, quand ils le veulent, la loi du ghetto, parallèle à celle de la République. Et ce qui est encore plus dangereux pour la société, c'est que, quelque part, si les trafiquants de drogue vont jusqu'au bout, en mettant fin aux émeutes, ils vont rendre service à l'Etat, ce qui les place dans une situation pour le moins assez singulière.

Lire aussi : "Il y a une porosité entre les narcotrafiquants et les braqueurs"

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