Siné déconne !

Vieux con antisémite pour les uns, anar enragé pour les autres, Siné a accueilli Lyon Capitale dans les locaux (très enfumés) de son nouveau journal, Siné hebdo.

Siné, Bob ou Maurice. Qui connaît vraiment Monsieur "Sinet" ? Depuis 1981, il a tenu sa rubrique Siné sème sa zone dans Charlie Hebdo comme un tenancier de bar sait faire part de ses impressions toutes personnelles sur l'actualité, façon café du commerce, sans que jamais il ne parle vraiment de soi. Le bon patron de café détient le secret de cette familiarité qui sait garder l'intimité à bonne distance. Il est un peu comme ça Siné. Multiplier les patronymes garantit contre les risques de se faire démasquer. Siné pour les fidèles, Bob pour les intimes et Maurice Sinet pour l'état civil.

Il hérite du nom du mari de sa mère, Albert Sinet. Elle en divorcera pour retrouver le père naturel du petit Maurice, Laurent Versy. Ses parents sont morts chez lui. Il les a gardés jusqu'à la fin plutôt que les "foutre dans une maison de vieux". Lorsqu'il les évoque, Siné se montre peu bavard concernant sa mère. "Elle était rien du tout, simplement elle me disait bosse, faut gagner ta croûte pour dépendre de personne". Le souvenir de son père le rendra plus expansif : "ah moi j'adorais. C‘était mon maître à penser. Il était tatoué, alcolo, un peu analphabète. Il avait tous les défauts qu'on peut reprocher à un bon prolo. Il s'intéressait à la boxe et au foot. Tout ce que je déteste ! Le samedi soir, c'était les beuveries avec les potes. Vraiment une vie de con. Travailler toute la semaine pour se saouler la gueule le week-end. Ça fout le trac !" Abruti par son travail de ferronnier, le père sera condamné aux travaux forcés. Il détestait les flics, les curés, l'armée. "Moi j'ai pris tout ce côté" explique Siné pour justifier son anarchisme. "On n'avait pas de conversation. J'ai jamais parlé à mon père moi, on ouvrait un coup de rouge et on regardait la téloche". Être anar n'a donc rien d'une posture intellectuelle, d'un engagement ou d'un échafaudage théorique. C'est plutôt l'indice d'une attitude, d'un comportement ; être anar revient à un geste d'humeur, c'est l'humeur des classes aliénées par le capital, selon un lexique désormais usé.
Anar, c'est le plus pratique
Ce que Siné tire de son père, c'est moins une conviction que l'envie de se foutre de tout. "Ouais, anar', c'est le plus pratique. Y'a des mecs qui m'engueulent en disant que ce que je fais, c'est pas assez de gauche. Les vrais anars', les purs et durs de la fédération anarchiste, ils doivent me détester. Moi j'ai envie de me marrer avec tout le monde, de faire le con quoi !". Il fera tellement con qu'il ne gagnera aucun procès intenté contre lui et ses dessins. Parfois, il franchira même la ligne jaune. En 1982, dans le contexte de l'invasion du Liban par Israël et après l'attentat de la rue des rosiers à Paris, Siné déclarera sur les ondes de la radio Carbone 14 : "Je suis antisémite depuis qu'Israël bombarde. Je suis antisémite et je n'ai plus peur de l'avouer. Je vais faire dorénavant des croix gammées sur tous les murs... Rue des Rosiers, contre Rosenberg-Goldenberg, je suis pour. On en a plein le cul. Je veux que chaque Juif vive dans la peur, sauf s'il est pro palestinien. Qu'ils meurent ! Ils me font chier". Il s'excusera auprès de la Ligue contre le Racisme et l'Antisémitisme (LICRA) qui retirera sa plainte. "Le but du jeu, ça avait été de s'enfermer dans un studio avec Jean-Yves Lafesse avec une bouteille de whisky chacun et puis on avait dit l'émission se termine quand la bouteille sera vide. Pas étonnant que ça ait fait des dégâts. Mais y'avait pas que les Juifs, tout le monde y passait. J'avais chié sur les Arabes et tout. Le juge m'a même dit que c'était un vrai crime contre l'humanité. Oh, j'avais dit de belles conneries !".

L'antisionisme est-il un antisémitisme ?
L'antisionisme de Siné cristallise depuis des soupçons d'antisémitisme. Quand dans sa chronique du 2 juillet 2008 dans Charlie, il fait un lien entre la conversion supposée de Jean Sarkozy au judaïsme afin d'épouser l'héritière de la famille Darty, le journaliste Claude Askolovitch lance une accusation d'antisémitisme là où d'autres ne verront que la dénonciation de l'opportunisme. "Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! ".

Voilà comment Siné a semé sa zone dans le monde intellectuel français en plein cœur de l'été. Mais derrière l'affaire Siné se cache une question qui ravive toujours des débats passionnés dans l'intelligentsia française : l'antisionisme est-il un antisémitisme ? Sous ses faux airs de formulation sartrienne, cette question est le type même de questions aporétiques, sans issue et insolubles. Elle procure le même hébètement que la vieille question de Parménide : pourquoi y a-t-il de l'être plutôt que rien ? "Je suis antisioniste. C'est contre Israël que j'en ai. Pas contre les Israéliens, ni les juifs. Je suis antisioniste, oui, je suis pour la disparition d'Israël" explique Siné. Il rappelle que lui aussi a des héros juifs comme Stan Getz ou ces musiciens de jazz juifs qui sont "comme un chaînon manquant entre les noirs et les blancs". Ou encore Saul Steinberg, ce juif roumain devenu le dessinateur star du New Yorker, qui lui donna envie de faire ce métier.

A 80 ans, Siné a l'allure de ces patrons de presse américains des années 1950 en manches de chemises et en bretelles. Ne lui manque que le cigare. Mais un appareil à oxygène qu'il doit porter 16 heures par jour lui rappelle plutôt ses poumons encrassés par trop de cigarettes fumées. Par la force des choses, il est devenu patron de presse. Viré de Charlie Hebdo, il a fondé Siné Hebdo. Il espère passer la main rapidement. Avec Benoît Delépine de Groland, il a acheté un caveau au cimetière de Montmartre pour y être incinéré. En guise de stèle, il fait faire une énorme main de deux mètres avec un doigt d'honneur histoire de déconner jusqu'au bout. "Mourir ? plutôt crever !"

Siné en dates
Né le 31 décembre 1928 à Paris
1952, il publie son premier dessin dans France Dimanche
1981, il rejoint Charlie Hebdo avec sa rubrique Siné sème sa zone
1982, polémique suite à ses propos sur les juifs sur les ondes de Radio Carbone
2 janvier 2004, sa maison en Corse est soufflée par un attentat
27 et 28 janvier 2009, procès de Siné à Lyon pour incitation et provocation à la haine raciale

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