Édito - Que ce soit pour vendre des SUV ou un nouveau projet d'autoroute, les communicants et politiques ont trouvé une solution qui est censée apporter l'absolution : mettre des vélos. L'ère du bikewashing a commencé.
À travers toute la France, le constat est un implacable : le vélo comme moyen de déplacement est en plein essor. À Paris, la grève à la RATP a entraîné une forte hausse des cyclistes. Mais bien avant décembre, les signes étaient déjà là que ce soit dans la capitale ou ailleurs. À Lyon, le nombre d'usagers de la bicyclette augmente de 10 % chaque année. Le baromètre des villes cyclables de la FUB a recueilli 185 000 réponses fin 2019, contre 113 000 en 2017.
Un autre détail ne trompe pas, le vélo commence à apparaître comme un alibi. On voit fleurir des communications expliquant que "les SUV sont amis des cyclistes". À Lyon, un projet d'autoroute est présenté avec une image montrant une famille à vélo. Les publicités regorgent de personnes sur des deux roues non motorisés... Cette tendance permet de s'amuser à un petit jeu : "spot the bike !", traduction, "repérez le vélo !" Parfois, ce dernier n'est utilisé que pour se parer d'une bonne conscience de façade et semble hors sujet.
Avec les élections de mars 2020, les cyclistes sont devenus soudainement un électorat qu'il faut séduire pour les candidats, mais surtout la circonstance idéale pour se racheter rapidement une conscience écologique. On connaissait le "greenwashing", laver plus vert que vert, voici son petit frère, "le bikewashing". Comme si le vélo pouvait apporter l'absolution pour tout le reste.
Presque trop simple à repérer
Le "bikewashing" en est presque trop simple à repérer, car employé trop souvent comme un sous-produit du "greenwashing". Ainsi, ceux qui le pratiquent vont essentiellement se focaliser sur l'aspect "vert" du vélo, oubliant systématiquement qu'il s'agit d'un mode de déplacement parmi les plus efficaces en milieu urbain, pour un coût réduit. Pire, ils pourraient ne voir que l'aspect sportif, s'affichant avec des coureurs en tenues saillantes, très loin des utilisateurs qu'on croise en ville.
De même, ils omettront les questions de partage, occupation et rééquilibrage de l'espace public, mais aussi celle de l'emprise au sol par chaque mode de déplacement, en fonction du nombre de personne(s) qui l'utilisent (à ce petit jeu, en omettant la marche, ce sont les transports en commun qui gagnent, suivis par le vélo et la voiture loin derrière avec un nombre d'humain(s) à l'intérieur proche de "1" dans les centres urbains).
La quantité sur la qualité
Si les candidats sont sortants, ils seront souvent incapables de dire combien d'automobilistes ont été verbalisés dans l'année pour stationnement sur une piste cyclable par leur police municipale (un choix de curseur qui reste du domaine de la volonté politique après tout). Ils se contenteront peut-être de parler du nombre d'arceaux déployés, sans aborder le stationnement sécurisé, ou dérouleront le bilan des kilomètres de pistes cyclables durant le mandat, se focalisant sur la quantité plutôt que la qualité. La question "est-ce que vous laisseriez un enfant pédaler ici seul ?" permet rapidement de faire le tri.
Enfin, ils imagineront des infrastructures routières dans dix ou quinze ans, utilisant le vélo pour faire passer la pilule. Mais négligeront qu'ils seraient en capacité d'améliorer dès le début de leur mandat les déplacements des citoyens en déployant très rapidement des infrastructures dédiées aux cyclistes. Il suffit pourtant d'une seule petite année pour mettre en place un réseau express vélo avec de larges pistes cyclables sécurisées pour quadriller une ville aussi bien que plusieurs métros (et convaincre ceux qui ont encore peur de se lancer).
Bienvenue dans l'ère du bikewashing ! Quand le marketing commercial et politique peut toujours tenter de tromper les cyclistes. Une tentative parfois cynique qui se heurtera systématique à la réalité. Les usagers de la solution vélo et ceux qui aimeraient franchir le pas ne seront pas les idiots utiles des candidats et marques cette année.